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5 avril 1835 - Numéro 29
 
 

 



 
 
    
aide-toi, le ciel t?aidera.

[1.1]Paroles tout à la fois ingénues et sublimes, qu?un de nos fabulistes donnait autrefois pour consolation aux malheureux, et qui peuvent faire le résumé de notre conduite dans la marche d?amélioration industrielle que nous avons entreprise et dans laquelle nous persévérerons ; si nos regards se portent parfois en arrière, ce sera pour profiter des leçons du passé et prendre de la résolution pour l?avenir.

La persévérance est une force de l?ame qui résiste aux obstacles et poursuit sa marche jusqu?à la réussite du bien qu?elle convoite ; elle diffère de la constance, en ce que cette dernière, spectatrice impassible, attend patiemment le résultat qu?il plaira au hasard de lui envoyer, se contentant seulement de désirer. L?une est la digue opposée au torrent, l?autre est la nacelle sans pilote, qu?une main invisible conduit au port. En d?autres termes, la première est la créatrice du bien auquel tendent tous ses efforts, la seconde jouit sans l?avoir mérité. C?est au développement de ces deux pensées que nous nous attacherons, pour montrer que de nous seuls dépend notre félicité.

Nous avons fait connaître dans un précédent numéro les avantages du travail pour la classe ouvrière ; nous l?avons fait envisager comme la source, non-seulement de notre bonheur, mais encore comme le canal par lequel s?infiltrent toutes les jouissances que le travailleur peut se procurer. Nous avons stigmatisé ce travail forcé, ces veilles accablantes, causes de la détérioration de nos organes ; poison lent, qui livre avant le temps nos corps épuisés, à la poussière des tombeaux. Mais notre tache n?est point remplie, et il nous reste à montrer que de nous seuls, de notre concours mutuel peut éclore cette félicité dont le c?ur humain est insatiable.

Ce n?est point assez de désirer le bonheur résultant de l?amélioration, et de rester spectateur oisif de tout ce que la scène du monde livre chaque jour à nos regards ; il faut, qu?armés de la persévérance, nous travaillions tous à la réalisation de notre félicité ; il faut que, bien déterminés à ne nous retirer de la lutte qu?après la victoire, nous sachions réparer les pertes du combat et profiter des leçons de l?expérience ; que tous les travailleurs mettent la main à l??uvre, que tous s?aident à saper, un à un, les abus qui nous dévorent. S?il ne nous est pas donné de rompre le faisceau, délions-le, faisons refléter par la publicité le soleil de la justice sur ces exactions, et mettons en pratique les moyens qui peuvent nous amener à jouir des bienfaits de l?amélioration commerciale. Si l?homme avec le temps et la persévérance a pu miner des rocs, percer des montagnes, creuser [1.2]des canaux pour faciliter le développement de son commerce, que ne peut-il pas, en employant les mêmes moyens, contre la contagion de l?égoïsme ? Travailleurs, ayons confiance en notre avenir ; mais ne nous abusons pas, la réussite dépend de notre concours mutuel.

Lorsque quelques maisons de fabrique, par exemple, calculent avec astuce les moyens frauduleux qu?ils pourront mettre en usage pour nous spolier nos droits ; ne nous serait-il pas permis d?employer des voies légales pour déjouer leurs projets ? Ne pourrions-nous pas, en livrant à la publicité l?immoralité de leur conduite, les forcer à prendre des expédiens plus justes ; ne pourrions-nous pas cesser tous rapports avec eux si le mal était tellement gangrené qu?il ne fut plus possible d?y apporter un remède ? Oui, mais pour atteindre ce but, il faut que tous les travailleurs emploient le même moyen ; il faut que tous sentent la noble mission de la presse industrielle, comprennent sa plus insigne prérogative, parce que tous, nous sommes appelés à cueillir les fruits qu?elle aura fait mûrir. Il ne faut pas que quelques dévoués seuls se présentent et assument sur leur front la responsabilité d?un dévoûment qui pourrait leur devenir funeste ; que toute les fois qu?un acte illégal aura été commis au détriment d?un chef d?atelier, ce chef d?atelier ne serait utile à ses confrères qu?en ayant le courage de désigner ceux qui n?ont pas rougi de le lui faire supporter. Dépouillons-nous de cette faiblesse qui nous a fait si souvent temporiser. Ne disons plus ; mais si je livrais ce fait à la publicité, je n?aurais plus d?ouvrage ? Soyons convaincus que le nombre des négocians qui emploient de tels procédés est minime, et qu?il est autant dans l?intérêt du commerce en général que dans celui des chefs d?atelier, comme nous l?avons développé dans un précédent numéro, et croyons que cette concurrence illicite, fondée sur l?astuce et la fraude, disparaîtra enfin du centre des affaires commerciales. Les commandes, quoique retirées de ces maisons, par la raison que personne ne voudra plus être en rapport avec elles, ne laisseront pas pour cela de s?effectuer ; seulement étant réparties en des mains sages et délicates, le travailleur y trouverait son salaire et ne servirait plus de rouage pour faire mouvoir à son détriment la fraude et la rapine.

Que chacun de nous donc, prenne la ferme résolution de rompre les mesures coupables de nos adversaires ; mais que chacun aussi prenne énergiquement la responsabilité de ses dépositions. N?attendons pas de jouir dans une indolence funeste de la moisson que peu d?entre nous auront semée ; le champ est vaste, chacun peut y apporter sa part de travail : ne nous contentons pas de glaner quand [2.1]il nous est donné d?avoir notre part à la récolte commune. Que, mûris par l?adversité, nous sachions enfin saisir les moyens à la fois pacifiques et sûrs qui doivent améliorer notre destinée. Ne nous épuisons plus en plaintes stériles, puisque nous pouvons, dès aujourd?hui, commencer par nous-mêmes la réforme de ces abus ; alors les obstacles s?aplaniront et nous aurons fondé l?édifice qui doit remplacer celui que l?égoïsme et la cupidité fortifient depuis des siècles.

 

 

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