une exécution militaire.Nous empruntons à l’Indicateur stéphanois la narration suivante. C’est un vétéran qui parle.
Il y a quelques années, vers la fin d’octobre, j’étais à Orléans. Par une de ces froides matinées d’automne, je promenais le reste de ma personne, examinant la nature qui, comme une vieille coquette, déployait avec peine une fugitive verdure. La route que je suivais traversait une épaisse forêt, dont le mourant feuillage diversement coloré frappait agréablement la vue. Tout-à-coup mes yeux exercés crurent reconnaître de loin l’uniforme militaire, et quelques instans après, j’entendis une musique martiale dont les accens, répétés par les échos de la forêt, firent battre mon cœur. Elle cessa tout-à-coup, et je n’entendis plus que les tambours d’un régiment suisse.
Après une demi-heure de marche, le régiment fit halte dans une petite plaine bordée par la forêt. Je demandai à un vieux sergent usé par les campagnes, si c’était une promenade militaire. – Non, dit-il, tordant sa moustache couleur d’acier ; non, on va juger et sans doute fusiller un soldat de ma compagnie. – Pour quel crime ? lui dis-je. – Un vol commis dans la maison où il était logé. – Quoi ! dis-je, incapable de maîtriser mon indignation, quoi ! jugé, condamné et exécuté en même temps ? – Oui, répondit l’automate rouge, les ordres du général sont précis.
On ne pouvait répondre à cela, l’argument était irrésistible. Tout avait été bien prévu par le code pénal. Le crime d’un côté, la peine de l’autre, abstraction faite de la justice et de l’humanité.
Si vous êtes curieux et que vous désiriez être témoin de ce jugement, dit le sergent, mettez-vous là ; ce ne sera pas long. Je fus curieux, faut-il l’avouer ? et je m’acheminai en silence vers le point qui m’était assigné.
Le régiment se forma en carré ; plus loin, sur le bord de la forêt, quelques soldats étaient occupés à creuser une fosse sous les ordres d’un jeune sous-officier, qui dirigeait militairement chaque mouvement de ses hommes, tant il est vrai qu’il y a de la discipline dans tout ce qui est militaire, pour boire, pour manger, pour dormir et même pour mourir.
[4.1]Au milieu du carré, neuf officiers étaient assis sur des tambours ; le dernier, qui paraissait le plus jeune, avait à la boutonnière un encrier, et de temps en temps interrompait la conversation de ses supérieurs pour en écrire quelques passages.
Le prisonnier fut introduit (libre et sans fers) comme le dit la loi, et conduit devant ses juges ; il était escorté par deux de ses camarades.
Je le vis tout à mon aise : il pouvait avoir dix-neuf ans, un léger duvet ombrageait à peine sa lèvre supérieure. C’est en vain que, dans ses beaux yeux bleus et sur son front pâle, je cherchais une marque d’infamie. Rien ! Lavater n’eût point mieux trouvé l’expression de la candeur et de la bonté. A son arrivée on fit le plus grand silence ; une femme s’approcha : c’était le seul témoin contre lui.
Le colonel allait la questionner, quand l’accusé lui dit : mes aveux vous éviteront cette peine, mon colonel. – J’ai volé un mouchoir à cette brave femme.
– Vous Pierre, s’écria le colonel avec la marque du plus grand chagrin, vous que j’ai toujours cité comme le modèle du régiment.
– Mon colonel, j’ai fait tout ce qui dépendait de moi pour faire mon devoir et honorer mon drapeau, et en cette occasion si j’ai failli, ce n’est pas pour moi, c’est pour Marie.
– Qui est Marie ? demanda le colonel.
Marie, pauvre petite Marie, nous devions nous marier dans deux ans, dit le soldat essuyant une larme avec le revers de sa main ; elle demeure au village le plus voisin d’Aremberg… Un vieux chêne abrite le chalet de son père ; c’est sous son ombre, qui devait aussi garantir notre vieillesse, que je lui dis adieu, adieu ! pour la dernière fois !… et une nouvelle larme fut essuyée.
– Mais, poursuivit le colonel, quel rapport existe-t-il entre le crime que vous venez de commettre et ces souvenirs du pays ? Expliquez-vous clairement. – Cette lettre vous dira tout, et Pierre remit à son colonel un papier chiffonné dont jamais je n’oublierai le contenu.
– Le voici :
(La suite au prochain numéro.)