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26 avril 1835 - Numéro 17
 
 

 



 
 
    

Lyon, le 16 avril 1833.

Monsieur,

Je ne peux que vous remercier de la bienveillance que vous m’avez témoigné en m’offrant les colonnes de votre journal pour répondre à une lettre signée Gauthier, relative au projet de réforme commerciale et industrielle que j’ai livré à la publicité. Je regrette beaucoup que plusieurs raisons péremptoires, telles que défaut de temps, et aussi la crainte de compromettre votre feuille vis-à-vis du parquet, m’empêchent d’en profiter aussi largement que je le désirerais.

Je me bornerai donc à vous dire que je m’en réfère aux articles intitulés amélioration industrielle qui ont été publiés dans l’Indicateur. Quoique rédigés un peu à la hâte, je les crois suffisans pour donner une idée générale de la transformation que doit subir le commerce dans l’intérêt de la société entière et particulièrement dans celui des classes laborieuses.

Pour tout ce qui a rapport aux questions si multipliées d’administration, de division du travail, etc., etc., un article de journal serait insuffisant ; la pratique seule peut en donner la solution. Or, d’après ce qui se passe, il y a tout lieu d’espérer que la mise à exécution ne se fera pas long-temps attendre, alors les faits parleront d’eux-mêmes, et pour comprendre il n’y aura qu’à regarder.

Agréez, etc.

N. D. R. M. Derrion ne répond absolument rien aux objections graves et précises contenues dans la lettre de M. Gauthier (voy. n. 15.). Il renvoie à ses articles insérés dans l’Indicateur. Cette argumentation est vicieuse et n’est autre qu’une pétition de principes ou un subterfuge. C’est justement parce que ces articles auxquels M. Derrion renvoie, n’ont pas satisfait à la condition première de tout système, celle d’établir la possibilité d’exéction, que M. Gauthier a cru devoir demander des explications. Tant que M. Derrion n’aura pas répondu d’une manière satisfaisante, nous serons en droit de traiter son système d’impossible, afin de nous servir d’une expression honnête. M. Derrion nous ajourne à la prochaine exécution de son plan ; alors, dit-il, avec emphase, les faits parleront d’eux mêmes et pour comprendre il n’y aura qu’à regarder. Il est possible qu’une tentative ait lieu, mais il y a loin de là à la réussite ; en [2.2]effet, nous avons entendu tenir le même langage aux disciples de fourrier, à ceux de St-simon, à ceux de mazel. Où sont aujourd’hui le Phalanstère des premiers, l’Eglise des seconds, l’Association commerciale d’échanges des derniers. La ruche harmonique, inventée par Fourrier, n’a pas trouvé d’abeilles pour l’habiter ; les apôtres St-Simoniens ont quitté leur costume et sont rentrés dans le giron de la société. Ils ont renoncé à trouver la Femme libre, peut-être parce que lorsque cette femme s’est présentée, ils ne lui ont plus trouvé les grâces de son sexe. Insensés ! la minerve qu’ils demandaient a été créée par Homère il y a quatre mille ans, mais elle n’habite que l’Olympe.

Mazel, à l’heure qu’il est, cherche comment son système n’a pu prévaloir sur les passions basses et ignorantes d’un peuple réputé le plus éclairé de l’univers et s’occupe sans doute à le reconstruire sur une autre base. Voulez-vous encore un exemple : voyez cette belle conception d’Emile girardin : la société pour l’émancipation intellectuelle. À quel chiffre sont réduits les cent trente mille souscripteurs des connaissances utiles au prix de quatre francs par an ? – Nous sommes bien loin de verser aucun blâme sur ces entreprises ; la dernière était sublime, les autres ont ajouté quelque chose, on doit l’avouer, à la masse des lumières. La doctrine St-Simonienne a fait faire un pas immense à l’économie sociale, mais dès l’instant que, de la théorie, elle a voulu passer à la pratique, elle a succombé. La doctrine de Fourrier a été loin d’un succès pareil. Il est vrai qu’à l’exception de Victor Considérant1, elle n’a eu que de bien faibles disciples, et dont le premier tort a été de ne pas vouloir écrire comme tout le monde. Tous ces systèmes nous le disons ont péché par la base, défaut de connaissance du cœur humain, et le reproche que nous faisons à leurs auteurs est commun à tous les novateurs. M. Derrion n’échappera pas à la règle commune, un jour il reconnaîtra son erreur : il ne sera plus temps, et le préjudice porté à la cause de l’émancipation des prolétaires sera fait, car toute tentative non suivie de succès recule d’autant son triomphe.

Au demeurant, nous attendons encore la réponse de M. Derrion à la lettre de M. Gauthier, mais une réponse catégorique et non des phrases. Le parquet n’interviendra sans doute., pas dans une discussion pacifique, réduite, en quelque sorte à de simples chiffres, telle que M. Gauthier l’a posée, avec raison ; et c’est en ce sens seul que nous avons offert nos colonnes à M. Derrion : nous les lui offrons encore dans l’espérance qu’il trouvera le temps de défendre son système ; c’est bien la moindre chose qu’on puisse demande à celui qui prétend opérer une réforme commerciale. Personne ne saurait être cru sur parole ; et pour avoir le droit de dire avec Scipion : montons au capitole, il faut avoir vaincu Carthage ; encore les journalistes de ce temps-là firent-ils observer que Scipion était un fort mauvais comptable.

Notes (Lyon Lyon , le 16 avril 1833 16 avril 1833 ....)
1 Nouvelle mention de Victor Considérant (1808-1893), alors principal chef de file du mouvement fouriériste, auparavant rédacteur avec Jules Lechevalier et Abel Transon de la Réforme industrielle ou Le phalanstère et qui avait publié en 1834 les volumes de Destinée Sociale.

 

 

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