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3 mai 1835 - Numéro 18
 
 

 



 
 
    
AU RÉDACTEUR.

L’intérêt général de la classe ouvrière doit passer avant les mesquines considérations de tranquillité personnelle. C’est dans ce sentiment [3.1]que j’ai l’honneur de vous adresser la présente pour vous signaler un fait sur lequel j’appelle votre attention ainsi que celle de vos lecteurs ; ce fait, c’est la tendance de monsieur le président du conseil des prud’hommes à rétablir une espèce de huis clos pour toutes les causes qui intéressent les négocians et l’empressement de ces derniers à provoquer ce changement, afin de se soustraire à la publicité des débats. J’ai résisté à cette manière d’agir. Voici ce qui s’est passé :

Ayant avec un négociant de cette ville une difficulté relative à un remisse qu’il s’était engagé à me fournir moyennant une somme d’accord, ce qu’il ne voulait plus exécuter, je le fis inviter devant le conseil. Ce négociant répondit qu’il n’irait pas. Le lendemain je reçus de M. le président une lettre fort polie par laquelle il me priait de me rendre le jour même à 11 heures au greffe du conseil, ayant à me demander quelques renseignemens sur le différend que j’avais avec MM....

Je m’empressais de lui répondre par écrit que je le remerciais de sa bienveillance, et le priais d’user de son influence auprès de ces messieurs pour les engager a ne pas faire défaut à l’audience du soir pour laquelle ils étaient invités, et à ne pas reculer devant la publicité. Cependant ces messieurs ne se rendirent pas à l’audience ; je pris un nouveau billet d’invitation, et sur leur réponse itérative qu’ils ne se rendraient pas à l’audience, je crus pouvoir profiter de la bonne volonté que M. le président avait témoignée, soit à moi, soit à mes parties adverses (je l’ignore), pour lui demander une lettre à l’effet de recommander à MM..... de ne pas manquer de se rendre à une invitation légale. M. le président refusa assez brusquement, mais en définitive j’obtins ce que je demandais, et qui était de toute justice, puisque c’était l’exécution d’un marché.

Maintenant que mon affaire est terminée je demande comment il se fait que le cabinet d’un président se transforme en bureau de conciliation et quel que soit l’envie que puisse avoir un magistral de terminer à l’amiable les différends qui peuvent survenir entre ses justiciables, de quel droit voudrait-il les soustraire à la discussion publique qui peut seule en faire apprécier la moralité. Si ce mode était sanctionné par l’usage, l’action des prud’hommes ouvriers serait annulée et l’audience publique se restreindrait aux contestations entre les chefs d’ateliers et leurs compagnons ou apprentis ; les négocians ne paraîtraient plus à la barre du conseil et, en définitive, nous serions jugés par M. le président seul. Je n’entends pas accuser son impartialité, mais la publicité de l’audience est une trop grande garantie pour y renoncer.

J’ai l’honneur, etc.

B..... N.

 

 

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