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26 février 1832 - Numéro 18
 
 

 



 
 
    
ABUS DES ÉCRITURES SUR LES LIVRES D’OUVRIERS.1

Il y a plus de 30 ans, à une époque où l’on voulait aussi réformer les abus, il fut fait une loi qui spécifiait que les écritures des livres seraient faites par chacune des parties contractantes, c’est-à-dire, que l’ouvrier écrirait de sa main les matières et l’argent qu’il recevait sur le livre du négociant, et que ce dernier écrirait de même sur les livres des ouvriers l’argent et les matières. Cette loi, qui n’a point été abrogée, mais qui fut toujours sans force à Lyon, parce qu’elle était inexécutable, serait encore trop prématurée aujourd’hui. Aussi n’est-ce point ce que nous proposerons, seulement nous croyons indispensable, pour éviter beaucoup d’erreurs et de contestations de part et d’autre, que le nombre de mateaux, la qualité des matières, ainsi que leurs poids, soient écrits en toutes lettres, avec la date du jour où elles sont données ou reçues.

Cette manière d’écrire, qui n’offre aucune difficulté dans l’exécution, mettrait, par son usage, fin à beaucoup de contestations qui sont toujours scandaleuses, et dont les prud’hommes sont très-embarrassés pour les juger, surtout lorsqu’il existe des chiffres refaits ou ajoutés sur les deux livres, sans explication de date du [3.1]nombre de mateaux de trames. Ces chiffres, disons-nous, rendent ainsi les erreurs impossibles à découvrir. La bonne foi du négociant, ainsi que celle de l’ouvrier, étant mise en doute, les juges ne peuvent donc que concilier les parties, en les engageant à se partager le déficit. Dans ce cas, aucune des parties ne paraît satisfaite du jugement, et l’ouvrier en est toujours la victime. Pour preuve de ce que nous avançons, nous pourrions montrer des livres où aucune date, ni la qualité des matières n’est écrite, on n’y trouve que des chiffres qui sont faciles à être ajoutés ou refaits. Nous avons vérifié tout récemment le livre d’un ouvrier qui se trouvait en solde de 500 grammes par le fait d’un zéro transformé en 8, et nous avons, au lieu du poids de 1,050 grammes qu’il avait reçu, trouvé celui de 1,850 grammes, après avoir été forcé de laisser son livre entre les mains des commis de la maison pendant dix jours pour le régler. De pareils faits, qui sont impossibles à juger, parlent assez haut pour prouver l’urgence d’adopter le mode que nous proposons, qui est déjà en usage dans les premières maisons de Lyon, qui tiennent à faire preuve d’exactitude et de justice envers leurs ouvriers, et qui nous ont elles-mêmes souvent manifesté leur étonnement de ce que les ouvriers n’avaient pas réclamé plutôt contre de semblables abus, dont le moindre est pour eux la perte de leurs avances ; perte dont ceux qui ne savent pas compter, ne s’aperçoivent que lorsqu’on règle leurs livres, c’est-à-dire tous les six mois ou toutes les années.

Pour mettre fin à de pareils abus, et terminer avec justice toutes les difficultés qui pourraient s’élever à ce sujet, nous concluons : que toutes les fois qu’il y aurait réclamation de la part de l’ouvrier, et qu’il serait impossible de reconnaître l’erreur, parce que le nombre des mateaux des trames, le nombre des bobines, ainsi que leurs poids, ne seraient pas écrits en toutes lettres, le déficit serait à la charge du négociant, comme seul chargé d’écrire et de tenir ses comptes en règle, de les établir clairement à la portée de toutes les intelligences, et, par conséquent, le négociant doit être responsable de toutes les erreurs qui peuvent s’y glisser.

Dans notre prochain N°, nous traiterons de l’urgence, sinon de régler les comptes de toutes les pièces, du moins de les additionner.

Nota. Nous avons appris que quelques négocians, pour se soustraire à payer les tirelles, lorsque les ouvriers rendent leurs roquets et leurs peignes, y ajoutent le mot tirelle. Nous prions les chefs d’ateliers de se tenir en garde contre cette manœuvre d’une nouvelle invention, et par laquelle ils se trouvent exposés à perdre leurs droits sur les tirelles.

Nous rappellerons donc aux chefs d’ateliers que le droit qu’ont les ouvriers de faire des tirelles à toutes les pièces, n’a jamais été abrogé par aucun réglement des prud’hommes, seulement l’usage s’est établi de n’accorder que 15 grammes aux pièces qui n’en ont point. Les premières maisons de commerce n’ont jamais dérogé à cet usage ; ce que nous avançons a été confirmé par le conseil des prud’hommes.

Notes (ABUS DES ÉCRITURES SUR LES LIVRES D’OUVRIERS.)
1 L’auteur de ce texte est Joachim Falconnet d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).

 

 

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