Retour à l'accueil
26 février 1832 - Numéro 18
 
 

 



 
 
    

M. Gerbaud vient de publier une brochure intéressante intitulée1 : Projet de loi en remplacement des droits réunis. Cet écrit est plein de vues essentiellement économiques, et l’auteur traite toutes les questions avec parfaite connaissance de cause.

Croirait-on que l’économiste, l’homme qui a attaqué un droit que chacun regarde aujourd’hui comme un contresens avec la charte-vérité ; croirait-on qu’il ait été renvoyé d’un modeste emploi qu’il occupait d’après la publication de cet écrit ? C’est ce qui est arrivé à M. Gerbaud. Ne pouvant analyser toute cette brochure pleine de sens et de clarté, nous en extrayons le passage suivant pour que nos lecteurs puissent juger du mérite de l’ouvrage et de l’intérêt que prend son auteur aux classes pauvres :

« Un rapport, dit Rousseau, qu’on ne compte jamais et qu’on devrait toujours compter le premier dans la répartition de l’impôt, est celui des utilités que chacun retire de la confédération sociale qui protège fortement les immenses possessions du riche, et laisse à peine un misérable jouir de la chaumière qu’il a construite de ses mains. Tous les avantages de la société ne sont-ils pas pour les puissans et les riches ? tous les emplois lucratifs ne sont-ils pas remplis par eux seuls ? toutes les grâces, toutes les exemptions ne leur sont-elles pas réservées ? et l’autorité publique n’est-elle pas toute en leur faveur ? Qu’un homme de considération vole ses [4.1]créanciers ou fasse quelques friponneries, n’est-il pas toujours sûr de l’impunité ? Les coups de bâton qu’il distribue, les violences qu’il commet, les meurtres même et les assassinats dont il se rend coupable, ne sont-ce pas des affaires qu’on assoupit et dont au bout de six mois il n’est plus question ? Que ce même homme soit volé, toute la police est aussitôt en mouvement, et malheur aux innocens qu’il soupçonne ! passe-t-il dans un lieu dangereux, voilà les escortes en campagne ; l’essieu de sa chaise vient-il à se rompre, tout vole à son secours ; fait-on du bruit à sa porte, il dit un mot et tout se tait ; la foule l’incommode-t-elle, il fait un signe et tout se range ; un charretier se trouve-t-il sur son passage, ses gens sont prêts à l’assommer, et cinquante piétons honnêtes allant à leurs affaires seraient plutôt écrasés qu’un faquin oisif retardé dans son équipage : tous ces égards ne lui coûtent pas un sou ; ils sont le droit de l’homme riche et non le prix de la richesse. Que le tableau du pauvre est différent ! plus l’humanité lui doit, plus la société lui refuse. Toutes les portes lui sont fermées même quand il a le droit de les ouvrir ; et si quelquefois il obtient justice, c’est avec plus de peine qu’un autre n’obtiendrait grâce : s’il y a des corvées à faire, une milice à tirer, c’est à lui qu’on donne la préférence. Il porte toujours toute sa charge, celle dont son voisin, plus riche, a le crédit de se faire exempter : au moindre accident qui lui arrive, chacun s’éloigne de lui ; si sa pauvre charrette renverse, loin d’être aidé par personne, je le tiens heureux s’il évite en passant les avanies des gens lestes d’un jeune duc : en un mot, toute assistance gratuite le fuit au besoin, précisément parce qu’il n’a pas de quoi la payer. Mais je le tiens pour un homme perdu, s’il a le malheur d’avoir l’ame honnête, une fille aimable, un puissant voisin. Une autre attention non moins remarquable à faire, c’est que les pertes des pauvres sont beaucoup moins réparables que celles du riche, et que la difficulté d’acquérir croît toujours en raison du besoin. On ne fait rien avec rien, cela est vrai, dans les affaires comme en physique, l’argent est la semence de l’argent, et la première pistole est quelquefois plus difficile à gagner que le second million. Il y a plus encore, c’est que tout ce que le pauvre paie est à jamais perdu pour lui, et reste ou revient dans les mains du riche, et comme c’est aux seuls hommes qui ont part au gouvernement, ou à ceux qui en approchent, que passe tôt ou tard le produit des impôts, ils ont même, en payant leur contingent, un intérêt sensible à les augmenter.

Notes (M.  Gerbaud Gerbaud vient de publier une...)
1 L’auteur de ce texte est Marius Chastaing d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).

 

 

Contrat Creative Commons

LODEL : Logiciel d'édition électronique