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17 mai 1835 - Numéro 35 |
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DES SALLES D’ASILE [1.1]La bienfaisance, cette vertu qui prend naissance dans l’amour de l’humanité, et qui porte l’ame sensible à chercher mille moyens pour adoucir les peines du malheureux lorsqu’il ne lui est pas donné de faire succéder l’aisance à la privation, le bien-être à l’excessive misère. La bienfaisance fut le seul moteur qui suggéra aux philanthropes le dessein de fonder ces établissemens, où la classe laborieuse et peu fortunée peut en toute sécurité confier à des soins vraiment paternels, l’éducation et l’instruction première de ces jeunes plantes que la misère aurait laissées sans culture. Dans un prochain numéro nous nous attacherons à faire connaître les avantages de ces institutions par rapport aux travailleurs surtout, en faveur desquels elles ont été fondées : mais aujourd’hui nous démontrerons que la cause d’hygiène qui détourne bien des parens de profiter des bienfaits que leur présente les salles d’asile, peut en quelque sorte être mal fondée. La tendresse des parens pour leurs enfans est un effet naturel, que l’on ne saurait maîtriser et qui les porte à s’enquérir minutieusement de tout ce qui pourrait porter atteinte à leur santé et à leur constitution ; l’on ne peut qu’applaudir à cet élan de l’amour paternel ; mais il ne faut pas qu’une tendresse aveugle soit l’obstacle invincible qui les prive des avantages que leur présentent ces maisons. Beaucoup apportent pour principe de la répugnance qu’ils éprouvent la crainte où ils sont que leurs enfans se trouvent mêlés parmi d’autres dont la santé chancelante annonce un principe rachitique qui souvent s’exhalant au-dehors, les exposeraient à se trouver infectés d’un venin auquel leur naturel n’avait aucune propension, soit en respirant un air insalubre, soit par un contact qu’il est moralement impossible d’empêcher parmi des enfans. Nous leur répondrons d’abord que s’il en était ainsi, et que la constitution des enfans pût être le moins du monde compromise, nous serions de leur avis ; attendu que les parens doivent avant tout prendre les moyens les plus propres à leur léguer cette force physique qui doit un jour être de la plus grande utilité, puisqu’une bonne santé est toujours l’apanage des personnes robustes. Mais c’est précisément sur ce point que leur opinion est erronée ; car l’étendue des salles dans lesquelles les enfans sont assemblés, le courant d’air qu’on y fait circuler à diverses reprises dans la journée et, par-dessus tout, l’extrême propreté qui y règne doit les mettre en toute sécurité à cet égard. Autrement il faudrait supposer que [1.2]les hommes généreux qui se sont voués, avec tant de zèle au bonheur de la génération naissante, ont froidement calculé les moyens qui pourraient lui être plutôt préjudiciables qu’avantageux ! Or, loin de nous de semblables suppositions. Libres de refuser d’entrer en participation des bienfaits que ces asiles doivent procurer, n’attaquons pas à la légère et inconsidérément une œuvre que nous ne nous sommes jamais donné la peine d’approfondir : car si nous l’eussions fait, notre jugement eut été bien différent. Cette institution n’est point une création nouvelle qu’on peut taxer d’inexpérience, mais une œuvre ancienne que la philanthropie moderne a ressuscitée. Interrogez la Grèce, fouillez les documens de la république romaine, et vous verrez que dans ces états les enfans étaient réunis pour leur instruction ; que sous les yeux de maîtres consciencieux et érudits on les exerçait dès l’âge le plus tendre aux sciences, aux arts, et à la gymnastique, exercice propre à développer leurs facultés physiques, en même temps qu’on s’attachait à former leurs esprits à la morale. Les soins les plus assidus étaient employés pour raffermir la complexion délicate des uns, et maintenir aux autres l’état prospère de santé dont la nature les avait doué. Ce sont de ces écoles publiques, de ces salles communes à tous les enfans sans distinction de rang et de fortune, que sont sortis tant de grands hommes qui ont illustré ou fait fleurir leur patrie par leurs écrits éloquens ou leurs actions glorieuses ! Mais, nous dira-t-on, il existait dans ces écoles tout ce qui peut contribuer à assurer aux enfans une santé vigoureuse, et des médecins étaient chargés d’en éloigner ceux qui auraient pu par leur présence y apporter le moindre venin. Hé bien ! nous répondrons qu’il existe aussi dans les salles d’asile des hommes de l’art chargés spécialement de la vérification des enfans qui en excluent ceux dont les maladies pourraient compromettre la santé leurs camarades. Or, plus d’équivoques à cet égard, plus de craintes que le moindre examen pourrait détruire plus d’appréhension pour des maux qui ne sauraient se propager dans les salles d’asile, puisque ceux qui en seraient le principe en sont repoussés. Travailleurs, vous que votre position laborieuse met dans la nécessité de recourir aux bienfaits de ces établissemens, ne vous laissez pas dominer par de faux préjugés, ne persistez pas à croire ce qui ne saurait exister en admettant que la santé de vos enfans, loin d’y être protégée, se trouverait compromise ; voyez plutôt la sollicitude vraiment maternelle avec laquelle le fondateurs de ces maisons s’attachent à rendre cette génération naissante [2.1]qui leur est confiée, digne de ceux qui l’auront formée. Si la santé est ce qui contribue à donner le plus de force physique à l’homme, l’instruction est le levier qui lui aide à se dégager souvent des entraves que les vicissitudes de la vie amoncèlent autour de lui. C’est donc dans ces établissemens, dignes en tout de la philanthropie de leurs fondateurs que vous trouverez réunis ces deux avantages.
SOUSCRIPTION
ouverte au Bureau en faveur de l’Indicateur condamné à six cents francs d’amende et aux frais de la procédure. Un ecclésiastique, ami des ouvriers, 12 f. Ginet, 50 c. Dié, 1 f. Thévenet, 50 c. Genety, 1 f. Etienne Benoît, 1 f. Beunachi, 1 f. Une dame, 50 c. Dagan, 75 c. Monet, 50 c. Les ouvriers de M. Trossard, 1 f. 50 c. Trossard, 2 f. Rongé, 50 c. Sauge, 50 c. Chaczet, 50 c. Clément, 50 c. Un mutuelliste, 50 c. Forêts, 50 c, Jean-Baptiste Perret de Mornant, 2 f. Total, 27 f. 25 c. Listes précédentes, 487 f. 90 c. Total, 515 f. 15 c.
Croix-Rousse, le 15 mai 1835. Monsieur le rédacteur, Dans votre journal du 26 avril, vous eûtes la complaisance de publier des notes que je vous avais transmises, concernant M. Charnier, qui depuis, pour toute réfutation, a fait imprimer dans la Tribune prolétaire : qu’il ne voulait pas répondre à un lâche anonyme, à un faiseur de plats quolibets. On reconnaît là une défaite gauchement mise en avant, faute de meilleurs moyens ; car il est impossible qu’un esprit délié comme celui de M. Charnier n’ait pas saisi, qu’il n’avait pas à me répondre, attendu que je ne lui écrivais pas, et qu’il suffisait d’opposer à ces notes des preuves de nature à en démontrer la fausseté ; cela fait sans être contredit, son amour-propre pouvait être sauf, et je crois que ce devait être son unique envie. Aujourd’hui, M. le rédacteur, je viens vous prier de transcrire à la suite de ces réflexions la lettre ci-incluse, copie de celle que j’ai écrite à M. Charnier et qu’un ami a eu la complaisance de porter à domicile mardi passé ; depuis lors j’ai cessé d’être l’anonyme si gaillardement traité de lâche, et cependant je n’ai point reçu de réponse. M. Charnier qui est appelé comme témoin à Paris, partirait-il sans mot dire ? ce serait par trop fort. Je suis avec considération, M. le rédacteur, ph. daverede. A M. Charnier. Croix-Rousse, le 11 mai 1835. Monsieur, Répondant seulement à ce qui a rapport à moi dans votre lettre insérée à la Tribune prolétaire du 10 mai, je commence par vous déclarer que c’est moi qui, sous le nom de Solitaire de la Montagne, ai fourni à l’Indicateur des notes ayant pour but de prouver que le titre de fondateur du Mutuellisme, que vous vous êtes donné dans une lettre, n’était qu’une ridicule usurpation et qu’il avait fallu pour avoir l’idée d’un tel acte, que votre cerveau fût quelque peu troublé. Ces notes, je l’avoue, n’avaient rien de flatteur pour vous, et pour moi, c’est grand déplaisir de trouver des hommes comme vous, auxquels une ostentation quatre fois ridicule, fait encourir l’affront de démentis publics. Après cela, monsieur, je dois vous prévenir que, m’occupant plus sérieusement que vous de mon état, je n’ai ni le temps, ni le goût que vous paraissez avoir pour les longues et fastidieuses discussions ; que par ces raisons, je me borne à prendre ici la responsabilité de ce que j’ai dit de vous dans l’Indicateur du 26 avril passé, me faisant fort, si vous me le demandez, de vous donner la preuve par écrit et signée de la majorité des personnes inscrites pour faire partie de l’association par vous projetée en 1826 ; que vous n’êtes pas le fondateur de la société industrielle mutuelliste. En outre, je vous renvoie la qualification de lâche, que vous m’avez inconsidérément donnée dans votre lettre ; qualification qui, je crois, a été trouvée pour vous être justement appliquée ; attendant, à présent que vous me connaissez, que vous me mettiez [2.2]dans le cas de vous prouver encore cette fois que vous avez menti. Salut. ph. daverede.
Nos lecteurs, qui connaissent nos intentions et notre franchise, ont dû être surpris s’ils ont lu les lettres de M. Charnier, insérées dans le n° 34 de la Tribune prolétaire ; aussi ils se rappellent que nous avions fait mention d’une de ces lettres, qui nous était adressée pour répondre à celle du Solitaire de la montagne qui donnait un démenti formel à M. Charnier, qui se disait fondateur du mutuellisme. Certes, tous les mutuellistes n’avaient pas besoin de cette lettre pour connaître le fondateur de leur société, ils savaient bien que M. Charnier en était plutôt le démolisseur que le fondateur ; mais ils ont été surpris de voir un homme qui ose mentir à plus de trois mille chefs d’atelier qui faisaient dans le temps partie du mutuellisme. Pour en revenir à la lettre susdite de M. Charnier qui nous était adressée, si nous ne l’avons pas insérée dans notre feuille, ce ne fut que d’après ses vœux, puisqu’il nous disait dans son poscriptum : Dans le cas où, sans le vouloir, j’aurais écrit une ligne ou même un seul mot qui vous fasse juger utile d’insérer une note à titre d’observation, veuillez le rayer plutôt que de provoquer de ma part la moindre réponse. Je ne veux pas de réplique, je ne veux pas m’en occuper ; mieux encore, je crois m’en abstenir. Je veux que me connaissant un caractère caustique, malgré mes intentions, je pourrais mordre à l’hameçon de la polémique ravineuse, etc. Après une telle demande, était-il convenable d’insérer cette lettre toute cousue de mensonges sans faire des réflexions, sans dire à M. Charnier qu’il était un tartuffe, puisqu’il l’avait avoué lui-même en présence d’une dizaine d’hommes présens lorsque nous lui reprochions son orgueil et son peu de travail au conseil ; car chacun sait qu’on ne l’a aperçu pour la défense des ouvriers qu’en exigeant de la caisse municipale un traitement qu’il n’avait pas gagné, attendu qu’il n’a pas siégé, et qu’il en est résulté de ce plat orgueil une perte pour les chefs d’atelier appelés au conseil, vu qu’ils avaient deux négocians contre un ouvrier. Mais bref, revenons à sa lettre, c’est-à-dire à son paragraphe confidentiel, qui est encore un mensonge à sa mode ; car lorsqu’il remit sa lettre dans nos bureaux je ne m’y trouvai pas, et le mot confidentiel ne fut point prononcé : or, on voit facilement que M. Charnier, quoiqu’il en dise, ne demanderait pas mieux que d’avoir des polémiques pour ennuyer nos abonnés, et pour faire un plaisir si désireux aux rédacteurs de la Tribune prolétaire. Hé bon dieu ! quel intérêt ont-ils donc, ces gens-là ? Voudraient-ils montrer au public qu’ils ont un plus beau style que nous ? Oh ! nous n’y tenons pas à ce beau langage ; nous aimons mieux notre simplicité, et qu’on ne nous reproche pas que nous avons trompé le public : c’est un peu fort, n’est-ce pas, monsieur Charnier ? Hé bien ! vous l’avez trompé, vous, par la Tribune prolétaire, dans une lettre que vous y fîtes insérer au n° 32, en vous disant d’abord fondateur du mutuellisme, et en voulant en vain prouver que la Tribune prolétaire est la suite de l’Echo de la Fabrique, quoique vous ayez avoué vous-même que cette phrase avait été tronquée, ainsi que celle qui disait que la Tribune prolétaire était le seul organe des ouvriers. Vous avez d’autant mieux trompé le public dans cette circonstance et avec connaissance de cause, que vous-même fûtes un de ceux qui contribuèrent le plus à chasser M. Marius Chastaing, attaché audit journal comme rédacteur en chef. C’est alors, que M. Chastaing créa l’Echo des Travailleurs, qui pérît trois mois avant l’Echo de la Fabrique ; et aujourd’hui ces faiseurs de belles phrases se disent défenseurs des travailleurs, tandis qu’au contraire l’Echo des Travailleurs comme la Tribune prolétaire, n’ont cherché qu’à jeter la division parmi nous et à nuire à nos entreprises de réforme commerciale, à faire croire que la neige est noire et leur journal de bonne foi.
CONSEIL DES PRUD’HOMMES,
Audience du 14 mai. présidence de m. riboud. [3.1]Sur 20 causes appelées, 8 ont été renvoyées, dont 2 à samedi, 4 à huitaine et 2 à un mois pour cause de maladie ; 2 ont fait défaut. Un compagnon qui fait paraître son chef d’atelier pour lui réclamer la somme de … sans pouvoir donner des preuves suffisantes de la solidarité de sa réclamation, est-il débouté de sa demande sur la seule affirmation du maître qui prétend l’avoir soldé ? – Oui. Le conseil considérant d’abord que le chef d’atelier est cru sur parole, en second lieu ayant ouï un témoin qui se trouvait présent lorsque le compagnon a été soldé, lequel a attesté que même il avait vu rendre par l’ouvrier 15 centimes excédant de la somme qu’il lui a comptée ; en troisième lieu, ayant pris en considération le défaut où était l’ouvrier qui n’avait pas remis son livret à son maître, en ce qu’il était entre les mains du dernier chef d’atelier chez lequel il a travaillé, auquel il est redevable, a considéré sa demande comme mal fondée d’abord sur la somme qu’il lui réclamait, ensuite, quant à la huitaine qu’il prétendait qu’on ne lui avait pas donnée, considérant que comme il a absenté plusieurs jours, il a mis le chef d’atelier dans la nécessité de le remplacer, l’a aussi débouté de sa demande sur ce second point. Le chef d’atelier ayant fait défaut à une précédente audience, a été passible des frais de la citation. Ainsi jugé entre Mirmont, compagnon, et Mantelet, chef d’atelier. Un maître qui maltraite son élève a-t-il droit à une indemnité lorsque le conseil résilie les conventions ? – Non. Mais il lui a été alloué la somme de 50 fr. pour arrière de tâches et dégâts que l’apprenti lui a fait par la maladie dont il est atteint. Mais l’élève ne pourra se replacer que comme apprenti. Ainsi jugé entre Gondran, apprenti, et Buis, chef d’atelier. Un chef d’atelier, lorsqu’il n’a que des conventions verbales et que les stipulations alléguées par les parties sont contradictoires sans qu’aucun témoin puisse rétablir les faits, peut-il être admis à faire prévaloir son opinion ? – Non. Comme dans cette cause l’élève prétendait qu’on devait lui apprendre les façonnés, ce que le maître niait et que ni l’un ni l’autre n’ont voulu se démettre de leurs prétentions, les engagemens ont été regardés comme non avenus. Néanmoins, comme l’apprenti est resté dix mois chez son maître, il a été condamné à payer, à titre d’indemnité, la somme de 120 francs. Ainsi jugé entre Poyet, chef d’atelier, et Martin, apprenti.
VARIÉTÉS.
incendie d’une forêt dans l’amérique septentrionale Détails racontés par un bûcheron. Une nuit, dit-il, que nous étions profondément endormis dans notre chaumière, tout à coup, deux heures environ avant le jour, nous fûmes réveillés par le bruit que les chevaux faisaient en renâclant fortement, pareil au beuglement des troupeaux que nous avions dans les bois. Je saisis aussitôt mon fusil et j’ouvris la porte pour voir quel animal de proie pouvait occasionner tout ce désordre, lorsque je fus frappé du vif éclat de lumière qui se réfléchissait sur tous les arbres qui étaient devant moi, aussi loin que les regards pouvaient s’étendre. Mes chevaux bondissaient dans toutes les directions, et les bœufs et les vaches se mêlaient à eux, avec la queue hérissée perpendiculairement sur leur dos. En allant derrière la maison, j’entendis distinctement pétiller au loin les branches des arbres, et je vis les flammes s’avancer vers nous sur une ligne très étendue. Rentrant précipitamment chez moi, je dis à ma femme de s’habiller ainsi que notre enfant, aussi vite que possible, [3.2]et de prendre le peu d’argent que nous avions, tandis que je m’occupais à attraper et à seller nos deux meilleurs chevaux. Tout cela fut fait en fort peu de temps ; car je sentais que chaque minute était précieuse. Montant alors à cheval, nous nous éloignâmes en hâte. Ma femme, qui était une excellente cavalière, me suivit de toute la vitesse de son cheval. Je tenais dans mes bras ma fille, alors enfant. Dans ma fuite, jetant les yeux en arrière, je vis que la terrible flamme était tout près de nous, et s’était déjà emparée de notre maison. Par bonheur, je portais attaché à mon habit le cor avec lequel j’avais coutume d’appeler mes troupeaux. J’en sonnai fortement pour me faire suivre par eux, ainsi que par mes chiens. Les chevaux et les bêtes à corne me suivirent pendant quelque temps, mais avant qu’une heure se fût écoulée, ils se mirent à courir dans les bois de côté et d’autre, comme atteint de folie, et bientôt disparurent pour toujours. Mes chiens aussi, qui toujours avaient été extrêmement dociles, couraient après les daims, qui s’élançaient devant nous par troupes, comme s’ils pressentaient que la mort s’avançait. A mesure que nous avancions, nous entendions les sons que nos voisins tiraient de leurs cors, et qui nous transmettaient l’annonce du danger commun. Convaincu cependant que bientôt les flammes nous atteindraient, je me rappelai qu’à quelques milles de là se trouvait un grand lac qui pourrait peut-être nous servir de remparts contre le feu. Nous nous y dirigeâmes au grand galop, sautant par-dessus des arbres tombés et des amas de bruyères, qui semblaient placés là tout exprès pour alimenter ces flammes terribles qui nous poursuivaient sur une surface immense. Déjà nous sentions la chaleur, et nous tremblions à chaque instant de voir tomber nos chevaux. Un vent brûlant passait par-dessus nos têtes, et l’éclat de l’atmosphère faisait pâlir l’aurore qui s’avançait aux cieux. Le cœur commençait à me manquer, et ma femme pâlissait ; les joues de notre pauvre enfant étaient tellement rouges par l’action du feu, que chaque fois qu’elle levait la tête pour nous regarder, nous sentions redoubler notre douleur et notre anxiété. Dix milles sont bien vite parcourus sur de bons chevaux, et cependant quand nous eûmes atteint les bords du lac, couverts de sueur et haletans de fatigue, nos forces et notre courage étaient épuisés. La chaleur de la fumée était insoutenable, et de grandes lames de feu venaient siffler au-dessus de nos têtes d’une façon qui ne se peut décrire. Cependant, ayant côtoyé le lac pendant quelque temps, nous gagnâmes le côté opposé au vent. Là nous quittâmes nos chevaux, que nous ne revîmes plus. Descendant alors dans le lac, nous nous étendîmes au milieu des roseaux, plongeâmes nos corps entiers dans l’eau, qui nous offrait la seule chance de salut. Mais le feu s’avançait toujours, sifflant et grondant à travers les bois. Puissé-je ne jamais revoir un tel spectacle ! Au-dessus de nous se déroulaient, comme des vagues immenses, des nuages rouges portant le feu et la fumée. Nos corps jouissaient de la fraîcheur de l’eau ; mais nos têtes étaient brûlantes, et l’enfant, qui semblait alors comprendre le danger, pleurait à nous déchirer le cœur. Le jour s’écoulait, et nous commençâmes à sentir la faim. Beaucoup d’animaux sauvages vinrent plonger dans l’eau auprès de nous, et d’autres nageaient à travers le lac jusqu’au bord où nous nous trouvions, et restaient tranquilles à nos côtés. Quoique épuisé et anéanti, je tuai [4.1]un porc-épic d’un coup de fusil, et nous goûtâmes tous trois de sa chair. La nuit se passa je ne sais comment. Des cendres brûlantes couvraient toute la terre, et les arbres nous apparaissaient comme d’immenses colonnes de feu, jusqu’à ce qu’ils tombassent en mugissant, l’un sur l’autre. Une fumée étouffante et infecte nous enveloppait ; les cendres brûlantes et les flammèches tombaient sur nous comme une pluie. Je ne saurais vraiment dire comment nous passâmes cette nuit, car ma tête était trop faible pour conserver des souvenirs. Vers le matin, quoique la chaleur ne diminuât pas, la fumée devint moins épaisse, et de temps en temps parvenaient jusqu’à nous des bouffées d’un air plus frais. Lorsque le jour se montra, tout était calme, mais, une fumée noire remplissait encore les airs, et l’odeur était plus insupportable que jamais. Mais à mesure que la chaleur diminuait, nous sentions les effets de l’humidité, et nous fûmes bientôt pris d’un accès de frisson ; nous sortîmes alors de l’eau, et nous allâmes nous chauffer au tronc enflammé d’un gros arbre. Je ne savais ce que nous allions devenir. Ma femme pressait son enfant sur son sein en pleurant amèrement, la faim se fit de nouveau sentir, et plusieurs daims se tenant encore près de nous dans 1’eau jusqu’au cou, j’en tuai un. Une partie de sa chair fut bien vite rôtie, et après en avoir mangé, nous nous trouvâmes singulièrement fortifiés. Pendant ce temps, le feu s’était rapidement éloigné, quoique la terre fut encore brûlante et qu’il fût dangereux de s’aventurer à travers les arbres enflammés. Enfin, après avoir encore laissé écouler quelques heures, nous nous remîmes en route. Prenant l’enfant dans mes bras, je dirigeai notre marche à travers les cendres fumantes, et ce ne fut qu’après deux jours et deux nuits de cette pénible route que nous parvînmes à gagner en sûreté une terre qui avait été à l’abri du feu. M. audubon1, Auteur d’un ouvrage sur les mœurs des oiseaux de l’Amérique septentrionale.
NOUVELLES.
Plusieurs capitalistes belges et français organisent en ce moment une société pour l’établissement d’un chemin de fer de Bruxelles à Paris. On assure qu’avant un mois cette société sera entièrement organisée. (Réformateur.1)
Le sieur David, mécanicien, place Croix Paquet, à Lyon, seul inventeur breveté pour les nouvelles mécaniques, économiques, simplifiées (par l’arbre central principal et seul moteur), pour dévider et faire les canettes ensemble ou séparément ; mécaniques dont les avantages sont au dessus de toutes les autres, et pour lesquelles il a obtenu une médaille et l’approbation de le chambre de commerce ; prévient que ses confrères qu’il vient de faire condamner comme contrefacteurs, et d’autres à qui il est défendu d’en faire, cherchent à insinuer que les trois opérations ne peuvent s’y faire ensemble ; les fabricants sont priés, dans leurs intérêts, de ne pas se rapporter aux on dit, et de s’assurer de la vérité en voyant fonctionner ces mécaniques, qui sont répandues dans tous les quartiers de la ville, les faubourgs et même dans les communes environnantes. Les adresses leur seront données par le sieur David, qui fait des échanges et revend à bon marché les vieilles mécaniques.
AVIS.
Philibert Chorenne est disparu, le 12 avril dernier, de chez ses parens, domiciliés dans la commune de St-Jean-la-Bussière. Signalement : Agé de 17 ans, taille d’un mètre 49 centimètres (4 pieds 7 pouces) ; cheveux et sourcils châtain-foncé, front couvert, teint coloré ; il a une tache blanchâtre dans l’œil gauche. Vétemens. – Veste en drap bleu clair, pantalon de velours vert, gilet rose, souliers en bon état, et chapeau noir garni d’un crêpe. En cas de renseignemens, les adresser à la préfecture du Rhône, division de la police.
a 2 sous la livraisonhuit grandes pages d’impression, contenant 350 lignes, ou 3 500 lettres. PROCÈS DES ACCUSÉS D’AVRIL devant la cour des pairs. On souscrit : A LYON, Chez Mlle Perret, imprimeur, rue St-Dominique, n° 13 ; Favier, rue Casati, n° 1, au 2e ; au bureau du journal l’Indicateur, rue Désirée, n° 5. A SAINT-ETIENNE, Chez M. Issartelle, cafetier, place de l’Hôtel-de-Ville. A VILLEFRANCHE, Chez M. Sigout, avocat, Grande Rue . A LA TOUR-DU-PIN, Chez M. Laney aîné, banquier.
ANNONCES.
A vendre un atelier de pliage bien achalandé. S’adresser au bureau. – A vendre, une mécanique longue de 32 guindres, faite par Chatillon. S’adresser chez M. Favier, rue Casati, n° 1, au 2e. – A vendre, un atelier, de 3 métiers unis, ainsi que divers accessoires, plus un mobilier ; avec la suite de la location. S’adresser chez M. Platre, rue des Fossés, n° 19, au 2e. A vendre, un atelier de 4 métiers travaillant en façonnés, mécaniques, une en 400, deux en 600 et une en 900, et divers accessoires. S’adresser au bureau. – A vendre, trois métiers de châles lancés. S’adresser cours Morand, aux Brotteaux, n° 8, au portier. – A vendre, pour cause de départ, un atelier de 4 métiers, dont 2 en châles au 1/4 en six et sept quarts de large ; mécaniques en 900, 1 500 et 200 ; le tout ensemble ou en partie. S’adresser chez M. Martinon, place de la Croix-Rousse, n° 17. – A vendre, un métier de châles 6/4 au 1/4, mécanique en 1 500, monté tout à neuf. S’adresser chez M. Valernot, rue Flesselle, n° 4, au 1er.
Notes (VARIÉTÉS.)
Il s’agit ici de l’ornithologue et naturaliste américain d’origine française John James Audubon (1785-1851) dont l’ouvrage Oiseaux d’Amérique fut publié en français en 1831.
Notes (NOUVELLES.)
Il s’agit très certainement ici du journal de François-Vincent Raspail, Le Réformateur.
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