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31 mai 1835 - Numéro 23 |
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ERRATUM DU DERNIER NUMÉRO, [1.1]A l’article Bibliographie Lyonnaise, 5e alinea, ligne 14, lisez Allut au lieu de Allerat.
QUESTION DE PROCÉDURE, Du délai, dans lequel l’opposition aux jugements par défaut du Conseil des Prud’hommes doit être formée. Il est un axiome au Palais, qui dit que la forme emporte le fond. Au premier aspect, cela paraît injuste, mais on cesse de le trouver tel, lorsqu’on réfléchit qu’un corps spécial a été institué pour représenter les parties et vivre de leurs débats. Ce corps connu anciennement sous le nom de Procureurs et aujourd’hui sous celui d’Avoués, s’acquitte merveilleusement de son emploi. Il est esclave de la forme, servate formam est sa devise, il est aussi vrai que le peuple a flétri sous le nom de chicane, la partie la plus minutieuse de ce que les Procureurs et les Avoués appellent procédure. Cédant à de fâcheuses préoccupations, le législateur a bien souvent donné, par le texte même de ses décrets, lieu à la chicane de s’élever contre la justice, et il a couronné cette anomalie sociale, en promulguant un code de procédure. C’est à propos de ce code que J. B. Selves 1, le plus grand antagoniste du barreau, a dit qu’il ne savait pas s’il avait été fait pour les avoués, où si les avoués avaient été créés pour lui. Toute réforme judiciaire devra commencer par la réforme de la procédure. Notre intention étant de traiter ailleurs et plus amplement cette question, nous n’en dirons pas davantage ici, et même nous avouerons que dans l’état actuel des choses, les règles de la procédure sont un frein, quelquefois nécessaire. En admettant la procédure telle qu’elle est prescrite par les diverses lois qui se sont occupées de la régler, on conviendra néanmoins avec nous, qu’il est juste de la restreindre, dans les bornes les plus étroites possibles, et ce par suite de la maxime odiosa restringenda, les choses odieuses doivent être restreintes ; car il est évidemment odieux de faire prévaloir la forme sur le fond, la procédure sur le droit. Ainsi, là comme ailleurs, le juge est appelé à amender par sa sagesse le vice de la loi. Certes, ce n’est pas la révolte, contre la loi que nous lui demandons, mais la sagesse pour faire concourir la loi avec l’équité. Les réflexions que nous venons d’émettre sont nées à la suite de l’examen de la simple question de procédure, qui sert de titre à cet article, et que l’affaire Fournel contre Roque a fait surgir, et sur laquelle nous avons dit quelques mots dans notre avant-dernier numéro. On trouvera peut-être que nous avons pris notre sujet de bien haut, et que les prolégomènes ne sont pas en rapport avec la thèse à soutenir. A notre avis, on aurait tort, il faut toujours remonter à la source du droit, la discussion est ensuite plus facile ; les principes [1.2]posés produisent des conséquences qui germent et fructifient plus tard ; d’ailleurs, cette question s’élève aujourd’hui pour la première fois, elle ne peut être débattue à l’audience, tant que la libre défense sera arbitrairement repoussée ; la presse populaire peut seule lui donner asile et suppléer ainsi au mutisme des débats publics. Cette question s’agite devant un tribunal qui n’a pas d’officiers publics institués pour la procédure. En effet, il est bien juste d’établir une différence entre des parties se défendant elles-mêmes, et d’autres parties se défendant par Procureurs. Aux premières, on doit laisser libre l’avenue du temple de la justice ; elles n’ont point de guide pour y pénétrer ; aux autres on peut, avec moins d’inconvénients, prescrire certaines règles : pour elles la chicane peut obstruer l’entrée du temple sacré ; cette épouse de Mammon a des prêtres qui lui rendent un culte journalier. On a dit : Nul n’est censé ignorer la loi ; c’est là un de ces proverbes admis sans trop d’examen, comme des vérités fondamentales, mais dont le bon sens fait justice toutes les fois qu’ils sont soumis au creuset de l’analyse. Oui, nul n’ignore la loi, mais de quelle loi parle-t-on ? de la loi naturelle ! nous sommes d’accord ; de la loi civile ! c’est différent ; il faudrait d’abord que les jurisconsultes s’entendissent entr’eux sur les divers sens qu’elle présente. Peut-on exiger des simples citoyens la connaissance d’une loi sur laquelle les hommes les plus instruits disputent chaque jour, et que d’autres hommes instruits appliquent en sens contraire. De la loi de procédure ! mais en vérité, nous avons de la répugnance à accorder ensemble ces deux mots ; réglement de procédure serait plus rationnel ; mais un réglement n’est obligatoire que lorsqu’il a été affiché, et le code de procédure ne l’a pas été. Un réglement ne donne lieu pour ceux qui l’enfreignent, qu’à de simples peines municipales, et ici, on voudrait que la peine fut la privation même du droit. C’est monstrueux ; continuons : Une contestation s’élève entre deux individus ; le plus diligent saisit les tribunaux, la partie adverse oublie de se rendre ou en est empêchée par une cause quelconque. Le juge prononce défaut. La partie qui en a obtenu le profit poursuit l’exécution. Cependant, celle condamnée peut réclamer le bénéfice d’un débat contradictoire. Ici se présente la procédure avec ses dispositions hétérogènes et contradictoires. Les jugemens des tribunaux civils et de commerce rendus par défaut, doivent être exécutés dans les six mois de leur obtention, et ils peuvent être frappés d’opposition tant que l’exécution n’est pas parachevée ; ces dispositions sont justes. Les jugemens des justices de paix et des conseils de prud’homme ne sont soumis à aucune péremption ; leur effet dure trente ans, et comme si ce n’était pas assez de cette prérogative accordée aux demandeurs devant ces tribunaux spéciaux ; prérogative dont on ne comprend pas le motif, les défendeurs sont assujettis à former opposition dans les trois jours de la signification du jugement. Nous avons dit que les dispositions qui s’appliquaient aux jugemens des [2.1]des tribunaux civils et de commerce, étaient justes ; mais alors, comment celles qui s’appliquent aux tribunaux de paix et de prud’hommes seraient-elles également justes ? Il y a entr’elles antinomie complète. Le pour et le contre sont-ils également vrais ? Si le législateur a eu raison dans un cas, il a eu tort dans l’autre. Quelles objections sérieuses pourrait-on faire, il nous faut les attendre. Nous ne pouvons en vérité évoquer des chimères pour avoir le plaisir de les combattre. Ainsi, par le rapprochement que nous venons de faire, nous croyons avoir établi moralement le vice de la disposition de procédure qui nous occupe. Mais nous n’hésitons pas à le reconnaître, si la loi existe, elle doit être appliquée dura lex, sed lex. – Heureusement et comme par un remord de conscience, le législateur a mis le remède à côté du mal, et après avoir prescrit contre la justice, une fin de non recevoir, que nous qualifions d’impie, il a laissé le soin au juge de ne pas appliquer cette fin de non recevoir : ainsi, la justice dépendra du bon plaisir, le défendeur mal à propos condamné n’invoquera plus la loi, mais sollicitera ses juges ; il leur demandera à titre de grâce ce que l’équité et le droit naturel lui donnaient pouvoir d’exiger ; il tiendra de leur bonne volonté ce qu’il eut été préférable pour la société qu’il tint de leur justice. Eh bien soit ! Que la sagesse du juge vienne amender le vice de la loi. La partie condamnée par défaut et qui n’a pas formé opposition dans les trois jours de la signification du jugement, peut être relevée de la rigueur du délai, en justifiant qu’à raison d’absence ou de maladie grave, elle n’a pu être instruite de la contestation. Toute latitude est donc laissée aux tribunaux de paix et de prud’hommes. Toutes les fois qu’il leur apparaîtra par les motifs de l’opposition, qu’elle est fondée, ils l’admettront. Voudraient-ils faire prévaloir un jugement injuste rendu sur un faux exposé, contre la vérité, se faisant jour ? Ne serait-ce pas leur faire injure que de le penser ? Ce qui n’est que facultatif de leur part, devient un devoir impérieux, surtout si par l’absence de motifs, comme dans l’affaire qui nous a donné sujet d’examiner cette question, ils n’ont fait que sanctionner aveuglément les prétentions insolites du demandeur. Ils répareront leur erreur, et lorsque eux-mêmes ont enfreint la loi qui ordonne aux juges de motiver leurs sentences, n’auront-ils pas pour leurs justiciables la même indulgence dont ils ont besoin pour eux. L’absence de motifs est un fait grave. Les motifs d’un jugement, avons-nous déjà dit, sont les témoins que l’ouvrier terrassier laisse pour qu’on puisse cuber ses travaux. – Ainsi une ignorance de droit bien pardonnable puisqu’un magistrat éclairé (v. n° 20, note au bas du conseil des prud’hommes) l’a partagée, une négligence si l’on veut punissable, comme toute contravention doit l’être, ne sera jamais une fin de non-recevoir insurmontable. Cette fin de non-recevoir quoique fondée sur un texte légal, s’appellerait toujours un déni de justice dans le langage des légistes, une misérable chicane dans le langage plus grossier, mais plus expressif du peuple. Nous sommes donc fondés à croire que le conseil admettra l’opposition de Fournel et en agira ainsi toutes les fois qu’il lui faudra opter entre la justice et la procédure, avec d’autant plus de raison que la procédure est pour lui une superfétation et qu’il n’existe aucuns fonctionnaires, soit pour la diriger, soit pour en prendre la responsabilité. En terminant cet article nous, apprenons que l’affaire Fournel contre Roque a été réglée. Nous sommes fondés à croire que la publicité que nous y avons donnée n’a pas été étrangère à ce résultat.
Ainsi que nous l’avons dit dans le dernier numéro, l’installation du Conseil des Prud’hommes a eu lieu le 23 de ce mois, vingt-deux membres, tant anciens que nouveaux, étaient présens, ceux dernièrement élus et qui ont prêté serment, sont : MM. Berthaud, Bret, Chasselet, Cochet, Dufour, Falconnet, Gaillard, Joly, Milleron, Pascal, Perret, Putinier, Riboud, Roussy, Vérat, Wuarin et Villé. [2.2]MM. Bourcier, Charnier et Roux, n’ont pas rempli cette formalité, attendu leur absence. M. Blanc a donné sa démission. M. Riboud a été réélu Président, à la majorité de 19 voix, et M. putinier, Vice-Président, à celle de 15 voix. On a remarqué avec plaisir que cette séance n’a pas eu lieu comme la dernière à huis clos ; nous en avons fait, dans le temps, un reproche fondé à M. Goujon. Par contre, on a paru surpris, et nous partageons cette surprise, que le Préfet, non-seulement n’ait point prononcé de discours, mais encore qu’il ait présidé en habit de ville, au lieu d’être en costume. Certes, on sait ce que nous pensons de tous ces oripeaux, dont la vanité se décore ; mais aussi nous croyons que le costume est de rigueur pour les fonctionnaires dans l’exercice de leurs fonctions. C’est manquer d’égards que d’agir ainsi sans façon, et les élus de la fabrique en méritent bien, sans doute, autant que les élus du commerce et qui que ce soit. Au demeurant, nous sommes convaincus que ce n’est qu’un oubli de la part de M. le préfet, mais nous devions le signaler, pour qu’il ne se reproduise plus.
LIBRE DEFENSE. Nous attendrons pour traiter cette importante question, selon notre promesse, le retour de M. Charnier ; car ce n’est pas trop de la réunion de tous les prud’hommes fabricans.
Dans la séance du 22 de ce mois, présidée par M. le préfet, la société d’agriculture a entendu un rapport sur le Moulin-Compteur à régulateur transposans, de M. Guilligny de Nyons, pour le flottage des soies à tours comptés fixes, dont nous avons déjà parlé (v. 1834, n. 4) ; la société a désigné une commission composée de cinq membres pour examiner cette machine et faire un rapport sur son utilité et son application aux fabriques actuelles. Il paraît que l’adoption du moulin-compteur par l’industrie du moulinage des soies, d’après l’avis des personnes à même d’en juger, aurait pour résultat immédiat de faire cesser les abus qui se pratiquent dans la fabrique d’étoffes et qu’on désigne sous le nom de piquage d’once, etc. Que les soies traitées par le moulin Guilligny, n’auraient plus besoin d’être soumises à l’épreuve publique. Nous ferons connaître le résultat du rapport qui sera fait dans le sein de la société ; la solution de cette question intéresse au plus haut degré le commerce des soieries à Lyon, et ce serait un grand pas de fait vers les améliorations si l’on parvenait à l’aide d’un moyen quelconque à faire disparaître ce trafic honteux, la lèpre de notre fabrique.
A Monsieur le Rédacteur de la Tribune Prolétaire. Monsieur, Dans une note insérée au numéro du 26 avril dernier, à la suite d’une lettre de M. Derrion, vous accolez de la façon la plus singulière des noms qui hurlent de se trouver ensemble… Permettez-moi donc d’arracher l’un de ces noms, je ne dirai pas de la mauvaise compagnie que vous lui faites hanter ; mais de la société hétérogène au milieu de laquelle vous l’avez lancé bien malgré lui, je vous le jure : et d’honneur il me serait difficile de voir ce que MM. Ch. Fourier, Saint Simon, Emile de Girardin et Mazel peuvent avoir à démêler ensemble. Certes, Monsieur, si Charles Fourier a fourni quelques idées à M. Derrion et compagnie pour sa prétendue Réforme Commerciale, il ne méritait pas, pour ce léger service, le singulier honneur que vous lui avez fait et la légèreté inqualifiable avec laquelle vous traitez une doctrine qui a coûté à son illustre auteur trente ans d’études et de pénibles travaux. Votre note, Monsieur, m’oblige en quelque sorte à vous confondre avec la masse des jugeurs, journalistes ou autres qui, forcés d’écrire ou de parler à la hâte, n’ont pas le temps ou la volonté d’étudier une doctrine, et croient cependant la terrasser avec quelques phrases banales, sans songer que ces attaques ne font que glisser sur la cuirasse d’airain de leur adversaire. [3.1]Monsieur, pour ne pas rendre cette lettre trop longue, je ne m’arrêterai qu’à une accusation ainsi formulée dans votre note : « La doctrine St-Simonienne a fait faire un pas immense à l’économie sociale […]. La doctrine de Fourier a été loin d’un succès pareil […]. Tous ces systèmes, nous le disons, ont péché par la base, défaut de connaissance du cœur humain. » Défaut de connaissance du cœur humain !! Et c’est à Fourier aussi, Monsieur, que vous adressez un pareil reproche ! à Fourier !… Lui qui nous a donné une si belle analyse des passions, de leur emploi harmonique et intégral, de leur équilibre et de leur haute utilité sociale… Lui qui nous a donné la plus belle découverte qui ait jamais été faite : arriver à faire de la science sociale une science fixe et positive, donnant le calcul exact des destinées de l’humanité. Lui qui a résolu ce problème de la manière la plus péremptoire : harmonisation complète des intérêts moraux et matériels de l’individu et de la masse… Lui, dont les livres, à toutes les pages, offrent la possibilité facile et prochaine de la réalisation de ce principe donné par le Précurseur (1833), et suscité sans nul doute pour moi par la polémique de Fourier : « il faut intéresser tout le monde a faire le bien : c’est le plus haut point de perfection politique dans un temps de matérialisme comme le nôtre. » Lui qui a si bien démontré ce que la même feuille disait (4 juillet 1833) : La civilisation est une espèce de pillage particulièrement organisé, et qui a donné de si sûrs remèdes à tous les maux que cette infâme civilisation fait peser sur le pauvre et même sur le riche, car le riche, Monsieur, à part une plus ample satisfaction de ses besoins matériels souffre comme le pauvre et ne jouit que d’un bonheur relatif… Oui, il souffre, car il a ses maux à lui, car il exhale aussi ses plaintes arrachées par ses douleurs particulières ou communes. Tout cela n’a sûrement pas besoin de démonstration. Vous dites encore : « Il est vrai qu’à l’exception de Victor Considérant, elle (la doctrine de Fourier) n’a eu que de bien faibles disciples et dont le premier tort a été de ne pas vouloir écrire comme tout le monde. » Le livre de Considérant offre la preuve d’un bien vigoureux talent, mais votre phrase, Monsieur, m’offre une autre preuve, c’est que vous n’avez pas étudié la doctrine de Ch. Fourier, et que vous n’avez pas lu ses ouvrages, car, à mon avis, de tous les disciples de cet immense génie c’est V. Considérant dont la verve incisive approche le plus des belles pages de Fourier : la citation n’est pas heureuse certainement. Et les J. Lechevalier, et les Just Muiron1, et les Abel Transon, et les Berbrugger et tant d’autres, sont ce là de bien faibles disciples ?… En vérité ; Monsieur, je me permettrai bien de vous demander si vous avez lu et médité les leçons sur l’art d’associer, les procédés industriels, les transactions sociales, religieuses et scientifiques, etc., etc. Je ne dis rien, Monsieur, de cette phrase : « la ruche harmonique de Fourier n’a pas trouvé d’abeilles pour l’habiter. » D’une plaisanterie je sais ce qu’on doit faire ; j’en ris… si elle est spirituelle. Je me tais aussi sur la supériorité que vous accordez à l’économie sociale des St-Simoniens ; car, pour vous faire toucher au doigt et à l’œil l’erreur involontaire où vous êtes tombé, il me faudrait feuilleter la collection du Phalanstère et celle des journaux les plus avancés avant et depuis la publication du journal de Fourier, établir des rapprochemens, citer des dates, suivre la marche et la lente transformation des idées sociales : c’est un travail que je me propose d’entreprendre aussitôt que je le pourrai et ne peux anticiper sur une tâche aussi difficile. D’ailleurs je réponds à votre note trop à la hâte aussi ; dans un établissement public et privé de toutes sortes de renseignements. Vous ne m’en voudrez pas, j’espère, si j’ai suivi en partie votre exemple. Agréez, etc. Nap. Aug. CLEMENT. N. d. R. Notre impartialité et plus encore notre conviction des devoirs du journalisme, nous imposent l’obligation d’insérer la lettre de M. Clément. Nous l’accompagnerons de quelques courtes réflexions. Et d’abord nous dirons à M. Clément que le ton de son épître est inconvenant et prouve contre le système de Fourrier dont il se dit le disciple ; en effet, s’il faut en croire les Phalanstèriens, l’harmonie est la base de ce système ; plaisante harmonie qui pour amener à elle des convictions opposées n’a d’autre vocabulaire que celui de l’injure. Plaisans novateurs qui n’admettent aucune contradiction et ont pour tout argument le maître l’a dit. Nous ne confondons pas le système de Fourrier avec cette tentative qui n’a pas de nom, mise en avant par M. Derrion. Sur ce point nous sommes d’accord avec M. Clément. D’où vient donc la querelle ? M. Clément nous reproche d’avoir compris Fourrier dans le nombre des novateurs dont les systèmes pèchent par la base, c’est-à-dire, le défaut de connaissance du cœur humain. Ici la dissidence est complète. Oui, sans doute Fourrier a analysé les passions et nous admettons tout ce que ses disciples voudront à cet égard, quoique cette analyse puisse être regardée comme plus brillante que solide ; quoique surtout on puisse lui reprocher de n’avoir pas sondé tous les replis du cœur humain et d’être quelques fois niaise ; mais l’analyse faite, l’erreur de Fourrier a [3.2]été de croire qu’il était possible d’harmoniser les passions de manière à les faire converger vers un but rationnel. L’histoire était là pour lui donner le démenti le plus formel. Il se trouvera toujours des hommes, parce que cela est dans la nature humaine qui, comme César, préféreront être les premiers dans une bicoque que les seconds dans Rome, et lorsque deux de ces hommes se trouveront ensemble, il y aura lutte. Non, la science sociale pour employer les expressions de M. Clément sera jamais une science fixe et positive donnant le calcul exact des destinées de l’humanité, parce que les passions mauvaises innées dans, le cœur humain, viendront toujours renverser l’édifice laborieusement élevé par la philosophie. Non, il n’est pas donné à l’homme d’arriver à la perfection car, le jour où il serait parfait, il serait plus qu’un homme. La tâche de l’homme ici-bas est de progresser, mais la route du progrès est infinie ; disons avec André Chénier2 : Espérer l’impossible est orgueil ou folie. Nous savons combien ce système qui est le nôtre est loin de plaire aux hommes ardens, mais peu réfléchis. Sans doute les utopies sont accueillies avec plus de faveur. L’homme aime à se repaître de doux mensonges ; malheureusement il n’y a pas plus d’eldorado en morale qu’en géographie. – Nous ne pouvons dans une simple note nous étendre davantage et nous allons répondre à une dernière objection. Nous avons dit qu’à l’exception de Victor Considérant, M. Fourrier avait eu de bien faibles disciples. Libre à M. Clément de réclamer pour quelques autres, voire même pour lui ; mais il ne lui est pas permis de nous faire dire le contraire de ce que nous avons dit. Il résulte de sa réponse sur ce paragraphe, qu’il ne nous a pas compris. Nous l’engageons à mieux nous lire ; c’est par une lecture attentive que tout critique doit commencer. – En résumé, les ironies de M. Clément nous touchent peu et nous en donnons la preuve par l’insertion de sa lettre. Nous ne saurions trouver mauvais qu’il défende le système de Fourrier, mais il doit trouver bon que nous ne partagions pas ses sentimens : tolérance pour toutes les opinions, même pour les novateurs, c’est notre devise. Comment se fait-il quelle ne soit pas plus généralement suivie. Si nous nous sommes élevés contre la boutique d’épiceries de l’Indicateur, c’est seulement dans l’intérêt du progrès et pour signaler aux ouvriers qu’on leur faisait faire fausse route ; mais aussi conséquens avec nos principes, nous avons appelé la discussion, nous avons invité M. Derrion à répondre aux demandes précises de M. Gauthier. Nous lui avons offert nos colonnes afin que la réponse put être mise en regard de l’attaque (ce que les hommes à système se gardent bien d’admettre). En ne défendant pas son système, en reculant devant une polémique nécessaire dépouillée de toute emphase et réduite à de simples calculs, M. Derrion a déserté la question ; car toute question fondamentale d’un système nouveau est d’appeler la discussion pour que les hommes impartiaux prononcent. C’est par la parole et non par l’intrigue qu’il faut chercher à convaincre. Tant pis pour M. Derrion. Son silence a donné la mesure de ce qu’il pense lui-même de la bonté d’un système qu’il a grand soin de soustraire à la controverse.
CONSEIL DES PRUD’HOMMES.
Séance du 27 mai 1835. Président, M. Riboud. Membres, MM. Berthaud, Blanc, Bret, Chantre, Cochet, Dufour, Falconnet, Joly, Milleron, Pascal, Wuarin. 14 causes sont inscrites au rôle, mais treize seulement sont appelées. On nous annonce que celle de Fournel c. Roque a été réglée. Aucune ne vient sur citation. 4 sont jugées par défaut, entre autres, Ligonnet c. Tocannier, 2 sont renvoyées à huitaine, savoir : Carquillat c. Cotteret et Fayet, passementier, contre Ve Cognat, une est renvoyée à quinzaine, elle est entre Thezenas et [4.1]Mercier, fabricants de gants-tulles dits crochetés et Salles, elle a déjà paru à la dernière audience (voir le n° 21). Il s’agit de l’exécution d’une convention d’ouvrages et de validité d’offres réelles pour salaire. Le conseil a ordonné que la somme offerte serait déposée au greffe, que Salles donnerait une pièce d’ici au 1er juin, et qu’enquête serait faite pour savoir si, contrairement à leurs conventions Thezenas et Mercier ont monté d’autres métiers. – Rapport est fait de l’enquête à laquelle il a été procédé pour savoir si la vente des gants a cessé, comme l’avait articulé Salles. Il résulte que cette vente s’opère toujours mais que les prix ont baissé. – Nous tiendrons nos lecteurs au courant.
Nous avons omis dans le compte-rendu de la séance du conseil des prud’hommes du 21 mai dernier de dire que l’affaire Thermoz (Pierre) contre Thermoz (François) avait été jugée, les questions à décider étaient celles-ci : Le conseil est-il compétent pour prononcer la condamnation d’un billet fait par un ouvrier à un chef d’atelier pour une cause étrangère à la fabrique ? – Non. Le chef d’atelier a-t-il droit d’inscrire sur le livret de son ouvrier une somme qu’il lui a prêtée pour faire un remplaçant dans l’espérance que cet apprenti lui consacrerait son travail ? – Non. L’ouvrier qui n’a pas donné sa huitaine est-il passible d’une indemnité ? – Oui. Pour réglement de comptes les parties ont été renvoyées devant MM. Joly et Labory.
Une commande de 500,000 fr. vient d’être faite à la fabrique de soieries de Lyon par la liste civilei.
i. On appelle liste civile, le traitement annuel de douze millions qui est accordé au Roi en argent.
Nous remplissons un devoir bien doux en appelant la reconnaissance publique sur la mémoire des citoyens qui savent faire un noble usage de leurs richesses. M. maupetit, courtier pour la soie, a légué par son testament, en date du 1er avril dernier, reçu Me Casati, notaire, 10,000 fr. à l’Enseignement Mutuel, 5,000 fr. au Dépôt de Mendicité et 2,000 fr. aux Salles d’Asiles. De pareilles actions n’ont pas besoin d’éloges. Il suffit de le raconter.
Voici le Cours complet de paysage par Thénot arrivé à plus de la moitié : la 8e livraison vient de nous être adressée, et avec elle la 1re du nouvel ouvrage du même auteur ayant pour titre : Cours complet d’études de fleurs et de fruits. Cet ouvrage, qui manquait absolument, sera d’un secours immense à la classe nombreuse des personnes qui ont adopté ce genre de talent. Les planches qui forment cette 1re livraison contiennent les premiers principes du dessin combinés avec une simplicité et une clarté qui les mettent à la portée de toutes les intelligences ; commençant par des lignes droites et courbes, ces planches conduisent progressivement à dessiner une feuille, une fleur sans, sans éprouver de difficulté. De même que le Cours complet de paysage, le Cours complet d’études de fleurs et de fruits sera formé de 60 planches avec texte explicatif, divisé en 15 livraisons du prix chacune de 1 fr. 75 c., et paraissant de mois en mois. On souscrit chez l’auteur, place des Victoires, n° 6, à Paris, et au bureau de ce journal, où l’on peut voir ce qui a paru jusqu’à ce jour.
Les fastes de la révolution française publiés par MM. Armand marrast et dupont sont arrivés à la 24e livraison, et au 21 juin 1791 époque de la fuite de Louis XVI à Varennes. L’introduction qui est un morceau historique de la plus haute importance est presque achevée. – Nous engageons les lecteurs désireux de s’instruire, de faire emplette de cet ouvrage, ce sera de l’argent bien placé. On souscrit à raison de 28 centimes par livraison de 16 pages in-8°. A Paris, chez Guillaumin, libraire-éditeur, rue Vivienne. A Lyon, chez tous les libraires.
VARIÉTÉS. (Suite, v. 1835, n° 1). [4.2]Art nautique. M. Stebeker, ancien capitaine, proscrit par Louis XVIII, a inventé un moyen de passer les rivières sans le secours d’aucun moyen de transport. Un modèle a été fait, il est simple, léger et solide ; il est à porté de chaque soldat. Un corps d’armée entière peut s’en pourvoir en quelques heures. Les armes seules suffisent pour l’établir promptement. V. la Tribune 19 mars 1835. Bibliographie. On vient de trouver dans la bibliothèque d’Avranches le manuscrit du célèbre Abailard1, sic et non, qui fut condamné en 1140 au concile de Sens. M. Cousin est chargé d’en surveiller l’impression. Idem. La chanson, il pleut, il pleut bergère, est du célèbre Camille Desmoulins. Chirurgie. M. Hérisson a inventé un instrument auquel il a donné le nom de sphygmomètre, et qui traduit à l’œil l’action du pouls. – M. Paul garnier, horloger, a réclamé le mérite de cette invention. Grammaire. Nous voudrions voir passer dans l’usage ordinaire de la conversation un mot que M. Chateaubriand a créé pour peindre le sentiment de pitié que l’on éprouve pour les malheurs de ses semblables. Ce mot encore peu connu est compatissance. Histoire. On lit dans le n. 61 de l’Écho de la Fabrique (2 mars 1834), une notice sur Gaspard Hauser, dont l’existence et la fin tragique ont préoccupé long-temps l’Allemagne. Voici l’inscription mise sur sa tombe : Hic jacet Gasparum Hauser, enigma sui temporis, ignota nativitas, occulta mors 1834. (Ci-git Gaspard Hauser, qui fut une énigme dans son temps ; sa naissance fut inconnue, et sa mort un mystère, 1834). Marine. M. Villerey a trouvé un moyen d’empêcher les vaisseaux de périr en mer. Philologie. Don Jérôme feuillant de Lyon, prétend que le mot latin cadaver, d’où l’on a tiré celui français cadavre, vient de caro data vermibus (chair donnée aux vers). Si non ervero è ben trovato. Stéréotypie Métallurgique. On désigne sous ce nom, en Amérique, un procédé nouveau pour transporter les caractères d’impression d’un livre sur la surface de planches métalliques de même dimension. Voici cette méthode : On prend deux plaques de fer très doux, on les presse parfaitement et l’on donne à une de leurs surfaces un poli très fin et très brillant, de manière qu’étant placées l’une sur l’autre, elles sont en contact immédiat. On humecte alors deux feuilles d’un livre et on les applique sur la surface polie de chaque planche, on interpose une ou deux feuilles de papier de soie. Les deux planches métalliques sont alors posées l’une sur l’autre du côté poli. On chauffe modérément sur un feu clair ; on les place ensuite sous une presse à vis et l’on donne une forte pression. En séparant ensuite les planches et en enlevant le papier avec précaution, on trouve que les caractères sont distinctement transposées sur les deux faces polies des planches métalliques. Ensuite, on mouille légèrement la surface des planches avec de l’acide sulfurique ou nitrique étendu dans de l’eau, et par ce moyen, le métal se trouve creusé dans toutes les parties non recouvertes par l’encre : les planches ainsi formées peuvent être converties en acier par le procédé de Perkins, et donnent 20 ou 30,000 exemplaires de la feuille transportée. The Americ. journal of Sciences, n° 20.
CHARADE. Le débitant de vin se sert de mon premier, Le charcutier travaille mon dernier, Chez le libraire on trouve mon entier. Le mot du dernier logogriphe est : Aigle, dans lequel on trouve Aile.
(54-3) M. ed. VIDAL vient d’établir des Salons de lecture ambulans, c’est-à-dire, des hommes qui parcourent les rues de Lyon et porteront à domicile les journaux de Paris ou de Lyon, que l’on désirera. Les journaux du jour coûteront deux sous, et ceux de la veille 1 sou. – On pourra s’abonner au prix de 3 fr. par trimestre, au cabinet littéraire, port St-Clair, n. 20. (58-1) PROCÈS des accusés d’avril devant la cour des pairs, publié de concert avec eux, par M. Pagnerre. PORTRAITS des principaux prévenus et défenseurs. FAIT préliminaires du procès, etc., 1 vol., in-8°. Voir les détails dans les précédens numéros de la Tribune prolétaire.
Notes (QUESTION DE PROCÉDURE, Du délai, dans lequel...)
Référence ici au jurisconsulte et magistrat Jean-Baptiste Selves (1757-1823).
Notes (A Monsieur le Rédacteur de la Tribune...)
Parmi d’autres fouriéristes déjà cités dans le journal (Victor Considérant, Jules LeChevalier, Adrien Berbrugger), on trouve mentionné ici le nom de Just Muiron (1787-1881), l’un des tout premiers disciples de Charles Fourier. Mention ici du poète André Chénier (1762-1794).
Notes (VARIÉTÉS. (Suite, v. 1835, n° 1). [4.2] A rt...)
Référence ici au Sic et non (1123) du théologien et philosophe Pierre Abélard (1079-1142) dont les Ouvrages inédits seront édités en 1836 par Victor Cousin.
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