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26 février 1832 - Numéro 18
 
 

 



 
 
    
NÉMÉSIS.

L’ÉMIGRATION POLONAISE AUX VILLES DE L’EST

O passi graviora, dabit Deus his quoque finem.
(Virgile.)


Oh ! venez, confians en vos nobles misères,
Glorieux vagabonds, peuple de Bélisaires,
Voyageurs, renouez vos ceintures aux reins,
Vous trouverez partout des visages lorrains ;
Pour vous fournir un toit et veiller sur vos vies,
Oui, toutes nos cités seront des Varsovies.
Sur l’horizon de France il n’est pas un clocher
Qui ne fasse à vos yeux le signe d’approcher ;
Pour réchauffer la nuit la garde polonaise,
Partout l’hôtellerie allume sa fournaise,
Partout, sous-nos lambris, à vos repas du soir,
Sur vos genoux poudreux nos fils viendront s’asseoir.
La ville aux côtes d’or, à l’aiguille ardoisée,
Dijon, à votre abord, pour vous s’est pavoisée ;
Du haut des rocs pendus sur le Val-de-Suzon,
Vous l’avez aperçue au bout de l’horizon,
Jetant au grand chemin, pour recevoir ses hôtes,
Son splendide escradron de jeunes patriotes,
Avec la longue lance appendue au harnais
Et le luxe attrayant de l’habit polonais.
Jusqu’ici les vainqueurs ont obtenu des fêtes :
Il est temps de voter des honneurs aux défaites.
En face du malheur nul hommage n’est faux,
Nobles vaincus, passez sous des arcs triomphaux ;
Quand vous traverserez la France tout entière
Vous trouverez partout les cœurs de la frontière.
Les traités d’alliance, écrits par les congrès,
Dans le cerveau des rois s’éteignent par degrés ;
La trompeuse amitié de la diplomatie
Par l’intérêt des cours est bientôt obscurcie ;
Mais quand deux peuples grands font des pactes entr’eux
Ils revivent plus beaux dans les jours désastreux.
[7.2]Polonais qui passez sur nos terres amies,
Venez voir si quinze ans d’un règne d’infamies
Ont arraché des cœurs ce traité d’amitié
Dont nous avons chacun conservé la moitié !
O frères pour toujours ! on s’en souvient encore,
Votre bannière est sœur du drapeau tricolore ;
Au moment du péril vous serriez notre flanc,
L’aigle de l’empereur aimait votre aigle blanc ;
Votre fidèle armée était notre compagne,
Quand nous prenions d’assaut les rochers de l’Espagne,
Et que Sommo-Sierra qui plane sur le Val,
Par vos jeunes lanciers fut conquise à cheval.
Dans nos champs de bataille il n’est pas une tombe
Où vous n’ayez fourni votre part d’hécatombe ;
Notre mémoire est forte, oh ! nous nous souvenons
Qu’une commune flamme allumait nos canons,
Que le même soleil, sur la cime des tentes,
Colorait le matin nos bannières flottantes,
Quand aux mêmes bivouacs, après avoir dormi,
Nous montions à cheval pour battre l’ennemi.
Tous ces vieux souvenirs de gloire fraternelle
Ont partout dans la France une page éternelle
Ecrite sur le roc ; dans nos moindres hameaux,
On raconte le soir vos héroïques maux ;
Il n’est pas de chaumière en la plaine isolée
Qui n’ait sur son vieux mur quelque image collée,
Peignant d’un trait naïf la comtesse Plater,
Ou Poniatowski s’engouffrant dans l’Elster.

Barthélemy.

 

 

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