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31 mai 1835 - Numéro 37
 
 

 



 
 
    

Moyens employés pour éluder les décisions du conseil des prud?hommes.

[2.1]Telle est la force des abus, qu?une fois qu?ils sont enracinés et que l?égoïsme leur sert d?engrais, ils prennent un tel accroissement, que rien ne peut les extirper de la terre de l?industrie qu?ils envahissent et qu?ils rendent de plus en plus stérile. Les abus sont comme une grêle qui moissonne l?espoir du travailleur et qui le prive d?une partie du salaire qu?il a lieu d?attendre de ses travaux. C?est une tempête d?autant plus funeste qu?elle enveloppe comme dans un réseau, toutes les branches de l?activité industrielle pour s?approprier une part du produit qu?elles procurent ; et pour nous en convaincre, démontrons quelques-uns des abus de la fabrique d?étoffes de soie.

Un abus par son extension menace-t-il les intérêts du plus grand nombre des travailleurs, on est forcée pour paralyser son action, d?en référer au conseil des prud?hommes. Croyez-vous que pour cela il ralentira sa marche ? non ; au contraire, pendant qu?on s?occupera d?une enquête jusqu?à ce que la commission nommée ad hoc ait fait son rapport on multipliera les moyens pour en jouir plus long-temps, en suscitant des entraves que l?évidence repousse. La jouissance d?un droit depuis un temps immémorial est hardiment contestée ; l?on refuse d?admettre comme contraire à son intérêt un principe qu?on a invoqué dans une autre circonstance pour maintenir ses prérogatives. De là nouvelles discussions jusqu?à ce qu?enfin, contraint de céder à la décision du conseil qui ne peut que blâmer les actes d?égoïsme et de rapine, l?on se retranche encore derrière un système de convention pour éluder les poursuites qui pourraient être intentées.

C?est ainsi qu?en agissent quelques négocians de fabrique envers leurs ouvriers, ainsi que nous allons le démontrer par des exemples. Le conseil des prud?hommes a spécifié dans une de ses décisions, que l?enlaçage des dessins serait à la charge du négociant ; plus d?équivoque à cet égard, et tous les chefs d?atelier sont en droit de se regarder comme déchargés de cette dépense : eh bien ! il en est autrement. Des maisons de commerce éludent cet arrêté en faisant placarder dans leurs magasins des écriteaux avertissant de la louable habitude où l?on est de ne faire enlacer aucun dessin. D?autres ne veulent se charger que de la confection de ceux qui sont au-dessus de cent coups. Et ainsi ces négocians, tout en se jouant des décisions du conseil des prud?hommes, portent un préjudice notable aux chefs d?atelier.

Il a été pareillement décidé par le conseil que toutes les maisons qui font employer pour trame de la laine, du coton, ou du gros-noir, seraient passibles d?un déchet de 45 grammes par kilo du poids des pièces qui leur sont rendues : que celles qui font employer de la soie cuite ou assouplie, devaient accorder 33 1/3 de déchet par kilo également. Mais pour se soustraire à l?effet de ce règlement, lorsqu?un chef d?atelier vient pour chercher une pièce dans ces magasins (qui heureusement sont en petit nombre), l?on a le soin de mettre en tête du livre : d?accord à 30 ou 35 grammes de déchet, dans les articles où l?on en doit 45 ; et 3 pour 0/0 dans ceux où l?on doit le 33 l/3 par kilo. Par cette supercherie, ces négocians évitent toute espèce de condamnation, et le maître auquel la nécessité souvent fait loi, est contraint de souscrire tacitement à cet acte de spoliation s?il ne veut rester oisif.

D?après le nouvel arrêté qui doit signaler la dernière session du conseil ; d?après cet arrêté, disons-nous, les [2.2]négocians doivent indistinctement 15 grammes par pièce comme bonification de tirelle sur toutes les étoffes qui seront fabriquées, dont le dévidage ou une partie du dévidage sera à la charge du maître ; eh bien, les maisons peu délicates qui spéculent sur les sueurs de l?ouvrier, persisteront dans leur coutume de ne pas donner les 15 grammes accordés. Mais tout en persistant, ils éluderont l?attaque qu?on pourrait leur intenter à ce sujet, en portant comme convention mutuelle l?obligation de confectionner leurs étoffes sans cette bonification.

Que reste-t-il donc aux chefs d?atelier pour faire que les décisions du conseil soient respectées et exécutées en ce qui touche leurs intérêts, tout aussi bien qu?on sait les invoquer lorsqu?elles sont à l?avantage du négociant ? Il nous reste un moyen d?autant plus juste, d?autant mieux fondé, qu?il est appuyé sur une détermination du conseil des prud?hommes. Nous ne devons pas accepter des conventions auxquelles nous sommes étrangers et qui tournent à notre désavantage ; nous devons refuser les pièces livrées avec de pareilles réserves, attendu que nous ne pouvons souscrire à de telles conditions sans compromettre grandement nos intérêts particuliers et porter une grave atteinte aux intérêts généraux de nos confrères. Cessons de contribuer par nous-mêmes à la ruine de nos attributions ; forts de ce que la justice nous accorde, montrons-nous fermes dans la lutte que nous avons à soutenir. N?empiétons pas sur les droits de nos adversaires, mais que notre faiblesse ne nous prive pas de ceux dont nous devons légitimement jouir.

 

 

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