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14 juin 1835 - Numéro 39
 
 

 



 
 
    

[1.1]Nous avons reçu une lettre d’un de nos abonnés, datée du 5 juin ; comme notre journal était sous presse lors de sa réception, nous n’avons pu répondre ; nous nous acquittons aujourd’hui de ce devoir.

Notre mission étant d’éclairer, autant que nos faibles talens peuvent le permettre, la classe laborieuse à laquelle nous nous faisons gloire d’appartenir, et de faire disparaître les abus qui se glissent chaque jour et qui tendent à détruire la bonne harmonie que nous appelons de tous nos vœux ; nous allons nous attacher dans cet article, pour satisfaire et notre correspondant et tous les chefs d’atelier, à dessiner aux élèves de soierie, l’étendu de leurs devoirs, et pour procéder avec ordre, nous les distribuerons en trois séries. Dans la première, nous démontrerons les devoirs d’un apprenti sous le rapport de ses propres intérêts ; dans la seconde, nous dirons un mot de ce qu’il doit à son maître ; et dans la troisième, nous lui observerons ce qu’il doit même dans l’intérêt de l’industrie.

Dans quel but un élève se met-il en apprentissage ? c’est pour acquérir la connaissance parfaite d’une profession de laquelle dépend son existence future. Or il est donc de la plus grande importance d’en connaître d’abord les principaux élémens, de s’attacher en suite à appliquer ces notions à la pratique ; enfin de saisir le fini et l’habileté de sa profession afin d’être à même par la suite non-seulement de tirer avantage des sacrifices, soit de temps, soit pécuniaires, qui auront été faits, mais encore de soutenir à notre industrieuse cité cette réputation lyonnaise qui lui est jalousée depuis des siècles.

Nous dirons donc que l’élève, dans son intérêt personnel, doit s’appliquer à acquérir les connaissances premières de sa profession. En effet, il est de notoriété publique que de la profonde connaissance des élémens d’un art quelconque dépend toujours l’avenir d’un apprenti ; c’est de l’instruction primaire, bien ou mal tracée, plus ou moins bien comprise, que doit découler la félicité d’un élève. Il est donc urgent que les chefs d’atelier mettent tous leurs soins à donner à leurs apprentis de bons principes et à ne pas négliger cette première partie de l’instruction, de laquelle dépend le résultat de toutes les autres. Mais il [1.2]faut aussi que l’élève contribue par son application aux soins qui lui sont donnés ; c’est dans son propre intérêt, puisque de sa participation dépend l’avenir de sa vie.

Une fois ces premiers élémens inculqués, il s’agit d’en faire l’application, il s’agit de se rendre compte des divers tissus qui ont été démontrés. Il faut que l’apprenti s’étudie lorsqu’une faute se présente, non-seulement à la corriger, mais encore qu’il s’attache à rechercher les causes qui l’ont produite ; il faut qu’il en analyse les effets, afin d’être à même de l’éviter à l’avenir.

Sous le rapport de ce qu’un élève doit à son maître : nous lui ferons observer pour premier point qu’il est passible de l’obéissance la plus entière pour tout ce qui lui est commandé de juste et de relatif à sa profession ; et qu’il doit autant par devoir que par reconnaissance s’appliquer à défrayer son chef d’atelier des pertes qu’il a pu lui occasionner dans les premiers temps de son apprentissage. En effet, il est incontestable qu’un apprenti ne peut acquérir les notions initiales de son état, sans occasionner à son maître un grave préjudice ; nous ne parlerons pas des frais de nourriture, de blanchissage, etc., pendant ce temps où l’on ne rapporte rien ; mais combien d’autres sacrifices ne s’impose pas un chef d’atelier lorsqu’il veut s’occuper dignement de l’éducation de son élève ? Que de temps sacrifié, que de matières souvent perdues, que de façons diminuées ; disons toute notre pensée, que de façons réduites en quelque sorte à zéro ! Combien de fois un maître n’a-t-il pas par le fait de son élève, perdu une partie de la confiance des maisons de commerce avec lesquelles il était en rapport ? Combien de fois n’a-t-il pas été obligé de négliger tel ou tel avantage que lui présentait un article, parce que la dextérité de son élève ne lui permettait pas de lui en confier l’exécution, sans parler de ces montages récidivés, avant qu’il eut pu recouvrer ses frais ? Et après cela, un apprenti temporiserait, lorsqu’il est à même de défrayer son maître, d’une partie de ses pertes, par son assiduité ; et il montrerait de la mauvaise volonté lorsqu’en travaillant pour lui-même, il peut se reconnaître d’une faible partie du bien qu’il en a reçu ! Ah ! s’il en est ainsi, chefs d’atelier, renoncez à faire des [2.1]élèves qui ne peuvent qu’être préjudiciables à vos intérêts, dès-lors qu’ils prétendent ne vous rien devoir en échange de vos soins, de votre sollicitude ; qu’ils pensent même que sitôt leurs tâches faites ils sont quitte envers vous.

Si l’apprenti a une tâche, ce n’est point dans le but de fixer sa journée, mais bien pour l’engager, par le gain qu’il peut faire, à redoubler de vigilance et d’assiduité. Si l’apprenti a une tâche, ce n’est point pour se jouer de son maître sitôt qu’elle sera remplie, et contribuer par sa paresse à sa ruine, tandis qu’en travaillant pour lui-même il pourrait le défrayer de ses premières pertes. Si l’apprenti a une tâche, ce n’est pas pour qu’il se contente de faire les deux tiers d’une journée ainsi qu’elle le porte ; car la tâche n’est point imposée comme le total de ce que doit l’élève, mais bien fixée de manière à ce qu’il lui soit facultatif de se gagner quelque chose pour subvenir à ses besoins. S’il en était autrement, les apprentis de la fabrique seraient classés dans la même catégorie de ceux de bien d’autres professions qui doivent une journée entière, sans aucune rétribution de la part de leur maître. Faut-il parce qu’un usage a établi que dans la soierie les élèves peuvent n’être redevables que des deux tiers de la journée, qu’ils se prévalent de cette coutume pour jeter dans la fabrique des gens qui portent non-seulement un préjudice à eux-mêmes et à leur chef d’atelier, mais encore à l’industrie en général ?

Le conseil ne saurait autoriser de semblables procédés, car quel est le négociant qui consentirait à donner une pièce pour qu’elle croupisse sur un métier et pour courir la chance d’être souvent obligé d’en monter un autre pour remplir sa commission, tandis que la pièce qui vous a été confiée n’arrivera que pour grossir les rossignols du magasin, ou pour se livrer à perte n’étant pas arrivée à l’époque fixée ? Par-là l’apprenti porte donc un préjudice notoire, d’abord à lui-même en n’acquérant pas l’habileté qui lui est indispensable s’il veut arriver à faire de sa profession son unique moyen d’existence ; puis au chef d’atelier en ne lui rendant pas ce qu’il avait droit d’attendre de lui ; enfin au commerce en général, en apportant du retard dans les commandes.

Il nous reste à démontrer les moyens que pourraient employer les maîtres dans le cas où nos avis ne seraient pas capables de faire rentrer leurs élèves à leur devoir. C’est ce que nous développerons dans notre prochain numéro.

 

 

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