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5 juillet 1835 - Numéro 42
 
 

 



 
 
    
VARIÉTÉS.

CINQ-MARS ET DE THOU.

Circonstances relatives à leur exécution à Lyon en l’an 1642.

Le mercredi, 3 septembre de l’année 1642, vers le coup de midi, le bruit des cloches mêlé au bruit du canon, annonçait aux habitans de Lyon l’arrivée d’un grand personnage. Richelieu y était attendu ; Richelieu ; le ministre du roi Louis XIII ; Richelieu, le roi lui-même.

C’était un spectacle imposant que l’arrivée de cet homme, tenant sa double puissance de l’autel et du trône. Aussi le peuple courait, la foule grossissait et débordait comme un torrent dans la longue rue du faubourg de la Guillotière, et sur le pont de ce nom ; les rues, les quais, les places, tout était encombré. Aujourd’hui, on allait au-devant du ministre ; le lendemain ; on devait aller voir passer ses deux victimes. Tout est spectacle pour le peuple !

Une conspiration contre Louis XIII venait d’être éventée par Richelieu ; la reine, Gaston1, frère du roi, et plusieurs seigneurs s’y trouvaient compromis. Parmi les principaux meneurs étaient deux hommes remarquables par les qualités de l’esprit et du cœur, et par l’illustration de leur naissance, MM. Cinq-Mars et de Thou, liés tous deux dès long-temps par une étroite amitié. Le premier, ardent, ambitieux, mais plein de verve et d’entraînement, avait usé de tout son crédit pour conclure avec l’Espagne, par l’entremise de M. Fontrailles2, un traité d’alliance secrète. Il se croyait sûr du succès, ignorant que si le mécontentement fait des conjurés, la soif de l’or fait des traîtres. Mais le ministre, instruit à temps, déjoua tous ses projets, fit arrêter les conjurés, les traîna insolemment à sa suite de Montpellier à Valence, et non content, les devança à Lyon de vingt-quatre heures afin de hâter leur exécution.

Richelieu, malade et vieux, incapable de supporter les mouvemens de la voiture, arrivait donc à Lyon dans une chambrette improvisée pour lui à Valence, et dans laquelle, dit-on, un secrétaire et lui pouvaient tenir à l’aise. Ce palanquin, d’une forme toute nouvelle, était incessamment porté par huit hommes, qui se relevaient de lieue en lieue.

Dès son arrivée, le ministre reçut en audience particulière le chancelier Seguier3, ennemi juré de Cinq-Mars, et quelques autres personnages qui devaient décider de son sort. Il fut convenu que l’instruction serait commencée immédiatement après la translation des prévenus à Lyon ; [3.2]enfin, l’on s’y prit de manière à terminer le procès au plus vite ; sans doute dans la crainte que la pitié du roi n’allât jusqu’à faire grâce au jeune Cinq-Mars, qu’il avait comblé, depuis trois ans, d’honneurs et de biens.

Le 4 septembre donc, à deux heures après midi, Cinq-Mars de Ruzé, marquis d’Effiat et grand écuyer du roi, et le conseiller de Thou4 arrivèrent par eau, avec une escorte de six cents hommes d’armes, jusqu’au rocher de Pierre-en-Scize où ils devaient être renfermés. Le peuple, plus nombreux et plus curieux que la veille, les attendait en foule sur la rive et se précipitait sur leur passage pour les voir de plus près. On eût dit qu’il pressentait leur mort prochaine et cherchait à graver dans sa mémoire le souvenir de leurs traits, afin de dire plus tard : et moi aussi je les ai vus.

MM. de Cinq-Mars et de Thou conduits à la forteresse de Pierre-Scize, l’instruction de leur procès commença dès le lendemain. Le château de Pierre-Scize, autrefois siège du pouvoir sacerdotal, était devenu prison d’état sous Louis XIII. De noires murailles entourées de bosquets, des tours bizarrement dessinées formaient avec la forteresse de l’autre côté de la rivière, une masse imposante de fortifications qui se reflétaient dans la Saône. C’est là que, durant huit jours, les prisonniers se préparèrent, par la prière, à une mort qu’ils attendaient avec résignation. Pendant l’instruction du procès, Cinq-Mars, condamné à subir la question, témoigna avec horreur son étonnement de ce qu’un homme de son rang qui n’avait rien dissimulé, fut soumis à cette cruelle formalité. Le père Malavalette, son confesseur, le rassura, et lui dit qu’il avait obtenu qu’on le présenterait seulement à la question mais n’y serait point appliqué. Quant à de Thou, victime dévouée, soupçonné d’avoir été le confident intime des conjurés, mais jugé moins dangereux, fut traité avec assez d’égards et seulement condamné à mort sans être menacé de la question. Sa sentence fut exécutée avec celle de Cinq-Mars le 12 septembre 1642, peu d’heures après le départ du cardinal-ministre. Cinq-Mars était alors âgé de 22 ans ; de Thou en avait 37. Tout le monde pleura ce dernier qui périssait pour n’avoir pas voulu dénoncer son meilleur ami, et qui ayant su le traité d’Espagne de la bouche de la reine ne compromit jamais cette princesse dans ses réponses. Ainsi sans la haine du cardinal et sans les aveux de Gaston, frère du roi, qui pour obtenir sa grâce, dénonça Cinq-Mars, il était impossible de condamner à mort deux hommes dont la vie jusque-là avait toujours été sans reproche et qui n’avaient d’autre tort que de s’être avancés pour faire ce que tout français désirait.

Voici ce que rapporte, au sujet de la mort de MM. de Cinq-Mars et de Thou, un manuscrit intitulé : Particularités remarquées en la mort de MM. de Cinq-Mars et de Thou, et publié en 1666 dans un recueil fort rare aujourd’hui, qui a pour titre : Les histoires tragiques de notre temps5. Nous nous renfermerons dans les termes de ce précis toutes les fois que le style en sera clair pour tous, mais nous le traduirons toujours fidèlement.

« Le vendredi, 12 septembre, sur les trois heures (et non pas à midi comme le prétend M. Alfred de Vigny6) on amena MM. de Cinq-Mars et de Thou dans un carrosse de louage sur la place des Terreaux, bien différente de ce qu’elle est aujourd’hui et où n’existaient ni l’Hôtel-de-Ville, ni le palais Saint-Pierre. M. de Cinq-Mars descendit le premier et salua civilement ceux qui étaient près de l’échafaud ; après il se couvrit et monta lestement l’échelle. Au second échelon un archer du Prévost s’avança à cheval et lui ôta son chapeau par derrière. Cette action fit brusquement retourner Cinq-Mars : « laissez-moi mon chapeau, dit-il. » Le prévost qui était près de là prit le chapeau des mains de l’archer et le rendit à Cinq-Mars qui continua de monter courageusement. Arrivé sur l’échafaud, il y fit un tour comme sur un théâtre, puis s’arrêta et salua avec grâce pour la seconde fois, après quoi il avança un pied, mit la main sur le côté, et dans une attitude noble, attendit son confesseur. »

On a prétendu que le courage de Cinq-Mars avait été ébranlé, ceci prouverait le contraire, car assurément l’homme qui craint la mort ne la regarde pas avec tant d’indifférence.

[4.1]Sur l’invitation de son confesseur, Cinq-Mars fit plusieurs actes d’amour de Dieu. Puis il se mit à genoux pour recevoir l’absolution et alla immédiatement se placer devant le bloc, disant : Est-ce ici qu’il faut me mettre, mon père ? Il essaya son col en l’appliquant sur le pouteau, puis s’étant relevé, il se mit en devoir de se déshabiller : Mon père, aidez-moi, je vous prie, ajouta-t-il ; et le père et son compagnon lui aydèrent à oster son pourpoint ; il garda ses gants que l’exécuteur lui osta après sa mort ; puis ayant baisé le crucifix, il s’alla jeter de bonne grâce à genoux dessus le bloc, embrassa le pouteau, mit son col dessus et demanda : Mon père, suis-je bien ? L’exécuteur s’approcha avec des ciseaux, mais M. de Cinq-Mars les lui osta, ne voulant point se laisser toucher, et, les yeux baissés, les remit au religieux : Mon père, rendez-moi ce dernier service, coupez-moi les cheveux. Le père prit alors les ciseaux et les remit à son compagnon qui coupa les cheveux au patient. Cette opération achevée, Cinq-Mars releva coquettement sa chevelure de devant. Dans ce moment le bourreau s’étant avancé, il lui fit signe de la main de se retirer, prit le crucifix, le baisa derechef, et, l’ayant rendu, s’agenouilla pour la seconde fois devant le bloc. « Puis, apercevant un homme, qui estoit en grand maîstre, il lui dit : Monsieur, dites, je vous prie, à M. de la Meilleraye7 que je suis son très humble serviteur ; puis il le salua. Dites-lui de prier pour moi. Dans cet instant l’exécuteur vint par derrière avec ses ciseaux pour lui découdre son col qu’il fit passer par dessus la tête. Ensuite il abaissa lui-même sa chemise, découvrit sa poitrine, et passant ses mains autour du pouteau qui lui servoit d’accoudoir, il fit un acte de contrition à haute voix ; et se retournant devers l’exécuteur qui étoit debout, n’ayant pas encore tiré son couperet d’un méchant sac, il lui dit : Eh bien ! qu’attends-tu ? Alors il rappela son confesseur, lui demandant de prier pour lui, pendant quoi l’exécuteur tira de son sac un couperet fait comme ceux des bouchers. » Il faut mourir, dit alors Cinq-Mars, levant les yeux au ciel, mon Dieu, ayez pitié de moi ! et sans avoir les yeux bandés, attendit avec courage le coup qui devait le frapper… Bientôt il jeta un cri qui fut étouffé dans son sang, fit un mouvement convulsif comme pour se relever, mais la mort l’avait saisi, il retomba. L’exécuteur acheva alors de lui couper la tête qui n’était pas encore entièrement séparée. Tout fut fini…

Le corps de Cinq-Mars était resté droit contre le pouteau qu’il tenait convulsivement embrassé ; l’exécuteur l’en détacha et le recouvrit ainsi que la tête avec le manteau du supplicié. « Ce fut, dit l’histoire, une merveille de voir le bourreau ne montrer aucune émotion ny aulcun trouble, et témoigner une si grande fermeté que chacun fust dans l’étonnement. »

« M. de Cinq-Mars étant mort, on leva la portière du carosse où M. de Thou estait resté ; il en descendit le visage riant, et ayant salué fort civilement ceux qui estoient auprès, il monta vite et lestement sur l’échafaud, ayant son manteau plié sur le bras droit ; puis il courut vers l’exécuteur qu’il embrassa, et se tournant sur le devant de l’échafaud, salua tout le monde et jeta son chapeau derrière lui. De là, se tournant vers son confesseur, il lui dit d’une grandeur : Mon père, montrez-moi le chemin que je dois tenir pour aller au ciel. Il s’agenouilla, reçut l’absolution, et dit d’une voix très vive et très haute qui permit à tout le monde de l’entendre : Je ne conserve aucun ressentiment pour ceux qui m’envoient à la mort, au contraire, je les aime de tout mon cœur, Dieu le sait !

Lorsque l’exécuteur s’approcha avec ses ciseaux, l’ecclésiastique les prit comme il avait fait pour Cinq-Mars mais M. de Thou lui dit : Croyez-vous que je craigne cet homme, et n’avez-vous point vu que je l’ai embrassé ? Tiens mon ami, fais ton devoir, coupe-moi les cheveux. Mais comme celui-ci était maladroit et lourd, le père fit terminer l’opération par son assistant. De Thou eut constamment les yeux au ciel, et l’on voyait qu’il priait avec ferveur. « Ses cheveux étant coupés, il se mit sur le bloc et fist, de soy-même, une offrande à Dieu. Puis il demanda à tous un Pater et un Ave, baisa le Christ et désira avoir les médailles pour gagner les indulgences. Mon père, ajouta-t-il : Ne veut-on me bander ? On lui répondit qu’il en serait à sa volonté. Oui, fist-il en souriant, bandez-moi, [4.2]je suis poltron, je l’avoue. Il fouilla dans sa pochette et n’y trouvant point de mouchoir il en demanda un, on lui en jeta plusieurs, il remercia avec politesse, on lui banda les yeux. Il mit aussitôt le col sur le pouteau dont un frère jésuite avait essuyé le sang. On lui dénoua les cordons de sa chemise, et il prononça pour dernière prière, Mater Maria, etc. Pour lors, il fut saisi d’un violent tremblement, le bourreau leva les bras, la hache tomba, mais si maladroitement, que la tête ne fut coupée qu’à moitié, le corps tomba à la renverse et il y eut là, pendant un moment, un horrible spectacle et des cris déchirans…

Ainsi finirent deux hommes, grands par leur naissance et distingué par leur mérite personnel. Encore cette fois, Richelieu mit sous ses pieds ses plus dangereux ennemis, et sa puissance, en s’agrandissant, devint de plus en plus absolue. Louis XIII, réduit à traîner tristement une existence flétrie, attendait, en souverain soumis, les ordres de son premier ministre qui, jalousé par tous les courtisans, luttait toujours, malgré ses infirmités et son âge, avec une supériorité qu’il devait à son adroite politique et à la finesse de son caractère dominateur. L’exécution de Cinq-Mars fut un fleuron de plus ajouté à sa couronne d’iniquité. Dès qu’il le sut condamné, il quitta Lyon non sans avoir ordonné les préparatifs du supplice.

Après sa mort, le corps de Cinq-Mars fut porté dans l’église des Feuillans, et enterré devant le grand autel. Celui de De Thou fut mis dans un cercueil de plomb pour être porté dans le lieu de sépulcre de sa famille.

Quelques historiens ont ajouté des circonstances particulières à la mort de ces deux amis, mais d’une part, elles ne sont appuyées sur rien ; de l’autre, elles ont été démenties, ce qui permet au moins de les garder comme douteuses.

(lyon vu de fourvière.)

Notes (VARIÉTÉS.)
1 Il s’agit de Gaston d’Orléans (1608-1160), frère de Louis XIII.
2 Mention ici de Louis d’Astarac, vicomte de Fontrailles (1605-1677).
3 Il s’agit ici du magistrat et homme politique Pierre Séguier (1588-1672).
4 Accusé de comploter avec les Espagnols, contre Richelieu et le roi et d’intriguer en faveur de Gaston d’Orléans, Henri Coiffier de Ruzé (1620-1642) et François Auguste de Thou (1607-1642) furent exécutés à Lyon.
5 Référence probable ici à l’une des éditions (1665) de Les Histoires tragiques de notre temps, publié par François de Rosset (1571-1630 ?).
6 Référence ici à l’ouvrage d’Alfred de Vigny (1797-1863), Cinq Mars ou Une conjuration sous Louis XIII (1826).
7 Charles de la Porte (1602-1664), duc de la Meilleraye, maréchal de France sous Louis XIII.

 

 

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