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11 août 1835 - Numéro 1
 
 

 



 
 
    

DE L'ORGANISATION DE LA SOCIÉTÉ.

[1.1]Le monde, c'est ce qui existe de toute éternité, et l'harmonie parfaite du monde, c'est Dieu, c'est la nature.

Des contrées peuvent devenir désertes, inhabitées, mais aussi d'autres deviennent florissantes et se chargent de populations.

Des révolutions peuvent arriver dans le globe et sur sa surface, des circonstances et des accidents peuvent forcer à des émigrations ; mais tout existe toujours, le théâtre est toujours le même ; mais, comme la scène est immense, les acteurs en occupent tantôt une partie, tantôt une autre.

L'homme commande aux animaux parce qu'il leur est supérieur par la raison, l'intelligence, et surtout par la parole.

L'homme tend continuellement à l'état de perfection, mais sa faiblesse l'empêche d'y arriver ; on dirait qu'une puissance invisible semble s'y opposer ; il vient un point où l'homme s'arrête, et le moindre choc suffit pour l'ébranler et souvent le précipiter dans le chaos d'où il est sorti.

Le monde ne périt pas ; mais chaque peuple vient briller à son tour sur la scène du monde, puis après, insensiblement, il passe de la lumière à l'obscurité, de l'état de civilisation à l'état d'abrutissement d'où il ne sort qu'après bien des siècles : ainsi, de même que l'homme naît, devient enfant, passe successivement à l’adolescence , à l’âge mûr , à la vieillesse, puis après meurt, de même chaque peuple naît, grandit, fleurit, prend de la force, vieillit et meurt. C'est une succession continuelle ; mais l'existence de chaque homme ou de chaque peuple est plus ou moins longue, plus ou moins brillante, selon que son organisation est plus ou moins forte, ou plus ou moins vicieuse, et selon qu'il abuse plus ou moins de sa force, selon qu'il fait un emploi plus ou moins sage de ses moyens, de ses ressources et de ses richesses.

L’histoire de chaque homme en particulier est donc en quelque sorte l'histoire de chaque peuple : ainsi, de même que les passions corrompent les hommes, de même elles corrompent les peuples ; comme les hommes, les peuples n'arrivent à un état plus doux ou plus civi­lisé qu'après de dures épreuves et de sévères leçons ; comme les hommes aussi, les peuples doivent donc s'entr'aider et se protéger contre toute attaque qui porterait une injuste atteinte aux droits de chaque homme ou de chaque peuple, droits qui sont imprescriptibles et pour l'un et pour l'autre.

L'éducation fait les hommes, comme les institutions font les peuples ; le but de l'éducation en général est d'instruire et de corriger, comme le but des lois en général doit être de corriger et punir. Mais les lois plus particulièrement ne doivent pas venger, car la vengeance naît des passions, de la faiblesse, de la lâcheté ; or on ne peut concevoir un pouvoir passionné, faible, lâche, vindicatif, et par conséquent injuste.

Avant tout, il est donc du devoir de la société de bannir de son sein tout élément de corruption tels que [1.2]la débauche, la misère, la mendicité, qui sont autant de plaies qui rongent son sein, comme il est du devoir de chaque père en particulier d'en garantir ses enfans. Ainsi la société doit être organisée de manière à rendre leur accès autant impossible qu'il est possible ; c’est pourquoi la loi, comme émanation de la volonté générale…du souverain, ne doit pas être dictée par les passions, mais bien par la raison, la philosophie et la justice.

Agités par les mêmes passions, les hommes sont partout les mêmes ; or la législation devrait être uniforme, universelle, et si cette uniformité n’existe pas, si les peuples ne sont aujourd'hui que ce qu'ils sont, chacun en particulier, la faute en est à ceux qui jusqu'à pré­sent ont fondé les institutions, comme les fautes et les désordres des enfans peuvent retomber sur les pères qui ont été assez coupables pour négliger l'éducation de leurs familles.

De là il suit que tout pouvoir doit répondre de l'ignorance et des vices d'un peuple, comme les pères de l'ignorance et des vices de leurs enfans.

Cette responsabilité est une conséquence naturelle de l'état de société, car elle est la garantie la plus indispensable de sa durée.

 

 

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