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1 septembre 1835 - Numéro 2
 

 



 
 
     

REFORME JUDICIAIRE.

[1.1]Si nous n'avions consulté que nos forces nous n'aurions pas osé aborder un sujet tel que celui de la réforme judiciaire ; mais convaincus qu'aucune réforme sociale ne saurait être tentée avec succès qu'après celle judiciaire, parce qu'elle est la base de toutes les autres, nous n'avons pas hésité, espérant qu'on nous saurait au moins gré de notre zèle, et que la faiblesse de nos moyens serait par là excusée. Nous sommes loin aussi d'ignorer combien nous pouvons soulever contre nous de haines d'autant plus profondes, que l'intérêt privé en sera la source. Qu'importe : vitam impendere vero doit être la devise de tout écrivain qui n'a en vue que le progrès de l'humanité.

Nous disons que la réforme judiciaire est la base de toutes les autres : il est facile de le concevoir. C'est dans le sein du barreau que se trouvent, sinon les orateurs, du moins les plus habiles discoureurs. Mais on l'a vu ; liés par intérêt de caste aux autres classes privilégiées, ces tribuns faiblissent bien souvent, et la liberté les appèle en vain dans les moments décisifs. L'un d'eux, et des plus éminentsi, a menacé le pouvoir de reprendre sa robe de dessous, mais le pouvoir n'en a guère été effrayé, parce que sous cette robe de dessous, il apercevait le frae bourgeois. Comment, en effet, demander une haine vigoureuse des priviléges à ceux qui vivent et s'honorent de l'exploitation d'un privilége. L'aristocratie judiciaire peut bien être ennemie de l'aristocratie nobiliaire et jalouser l'aristocratie financière ; mais il y a loin de cette haîne, de cette jalousie à la sympathie prolétaire. Celui qui le dit et ne le pense pas trompe ; celui qui le dit et le pense s'abuse lui-même. Mirabeau aussi fut un ardent promoteur de la révolution française, mais sa colère assouvie, il redevint ce qu'il était, aristocrate. Pouvait-il en être autrement ? Voudrait-on un exemple plus récent ; le procès d'avril va nous le fournir. Ce procès était impossible tel que l'avaient conçu les accusés ; il a cessé de l'être, parce que, dans la crainte que l'exemple devint contagieux, plus d'un défenseur a fait taire sa conscience de républicain pour n'écouter que celle d'avocat ; eh ! soyons justes ; n'a-t-il pas dû paraître bien étrange aux hommes du barreau que des accusés répudiassent leur ministère sous des prétextes que la restauration n'avait pas connu.

Nous n'accusons personne, et si nous sommes entrés dans ce détail préliminaire, ce n'a été que pour montrer l'importance de la thèse que nous voulons soutenir.

La réforme judiciaire n'est possible qu'avec l'abolition complète de tous les priviléges du barreau ; nous ne sommes pas les seuls qui ayons traité cette question.

Le National disait le 2 avril 1835 :
« Lorsque l'on reconstruisit l'édifice monarchique, on rétablit naturellement le régime des corporations qui lui servent de support, et la magistrature ainsi que le barreau retrouvèrent une existence privilégiée incompatible avec les m?urs de la république et la liberté des citoyens. »

A la méme époque le Messager s'exprimait ainsi :
« Le barreau, trop séduit par les avantages du monopole, n'a pas assez protesté contre le décret de 1810. Il y aurait plus de [1.2]dignité à revendiquer l?indépendance de la profession, même avec les inconvénients d'une concurrence plus large. Le barreau devrait arborer la liberté des professions, comme le commerce arbore la liberté des échanges. » (V. numéro 91 1er avril 1835.)

On n?a eu garde d?écouter ces conseils, et cependant les accusés d?avril, en se constituant prisonniers, avaient espéré une résistance morale bien autre ; ils n'avaient certes nullement cru d'être réduits à une lutte physique dégradante, et dans laquelle ils devaient succomber.

Nous en avons assez dit sur ce sujet pour les personnes neutres et de bonne foi ; quant aux autres, ou elles ne nous comprendraient pas, ou mieux, elles feindraient de ne pas nous comprendre. Le plus sot des discoureurs serait sans doute celui qui voudrait convaincre un grand-vicaire que les curés suffisent aux paroisses.

En résumé, le privilége des avocats, des avoués, des notaires, ne peut pas plus soutenir l'examen philosophique que celui des agents de change, des courtiers de commerce, etc. La république française l'avait aboli, l'empire l'a rétabli ; s?il ne l?eût pas fait, c?eût été le premier ouvrage de la restauration. Aussi nous croyons peu au républicanisme des hommes du privilége, et quant à ceux qui ont donné des gages tels, qu'il faut y croire, on leur doit une reconnaissance plus grande qu'à tous les autres citoyens, car ils se sacrifient eux-mêmes.

Il est donc bien entendu selon nous que la réforme judiciaire devra commencer par l'abolition des priviléges du barreau ; ce n?est qu'alors et seulement alors qu'il sera possible d'améliorer.

Déjà le Réformateur a abordé la question vitale de la réforme judiciaire. Comme nous, il en a senti l?importance et l?a proclamée la base de toutes les réformes ; mais faute d'avoir examiné la question de haut et sous le point de vue posé ici, il s'est trompé dans le choix du moyen pour y parvenir, continuant en cela l'erreur de la plupart des hommes politiques actuels qui ne savent pas voir que c'est dans les choses plus encore que dans les hommes que se trouve la cause du malaise de la société. Le Réformateur, à l?exemple de ces hommes que nous sommes bien obligés de blâmer, quoique nous sympathisions en général avec eux, a trop espéré des citoyens pris individuellement ; il a oublié la large part que le législateur doit faire aux passions mauvaises de l'humanité, tout en leur donnant un frein salutaire. Il propose un jury bénévole de conciliation, devant lequel tous les débats seraient portés et terminés sans frais par la voie d'un arbîtrage désintéressé et consciencieux. C'est là, à notre avis, une utopie qui n'a pas même le mérite de la nouveautéii. Les hommes ont besoin d'être contraints [2.1]par la loi ; mais la loi doit être sage et faite dans l'intérêt de tous. Ne nous forgeons donc pas un monde idéal pour avoir le plaisir de le regenter. Acceptons la société telle qu'elle est? Améliorer et non détruire, voilà notre systême ; mais supprimer des abus, ce n?est pas détruire. Voyons si la réforme judiciaire pourrait s'opérer d'une manière simple et rationnelle, en laissant les hommes tels qu'ils sont. La machine la moins compliquée est la meilleure.

On est unanimement d?accord que la justice est un devoir de la société envers ses membres. Ce principe admis, faisons lui produire toutes ses conséquences. La société, être de raison, ne pouvant pas exercer elle-même son action, est obligée de la déléguer à divers agents, mais ces agents n'ont un pouvoir réel; ne sont en quelque sorte sacrés; qu'autant qu'ils agissent pour et au nom de la société, et que l'intérêt particulier s'efface. Ainsi tout ce qui est d'intérêt général dans la société, doit être une fonction. Il y a loin, ne serait-ce que sous le rapport de la moralité, d?une fonction à une industrie. Arrivés à ce terme, nous demanderons si l?exercice de la justice doit être une fonction ou une industrie ? La réponse n?est pas douteuse : Non, la justice n?est pas un métier : c?est une fonction, la plus honorable de toutes. Continuons :

Il existe deux sortes de justices, l?une criminelle, l?autre civile. Le pouvoir exécutif garde pour lui l?exécution de la première. Il a délégué celui de la seconde à des agens privilégiés qui doivent vivre de son produit, et dès-lors en la livrant à la spéculation privée, en faisant un monopole, non seulement il l?a soumise aux ergoties de la chicane, mais il l?a fait décheoir du haut rang qui lui est assigné. Nous proposons de changer cet état de choses et de revenir à un plus normal. Si la justice civile et la justice criminelle sont s?urs : si toutes deux sont un devoir de la société envers ses membres, pourquoi distinguer entr?elles, aucune raison plausible ne saurait être alléguée. Celui qui vole six francs commet un délit ; celui qui contracte une dette et ne l?acquitte pas, le pouvant, n?en commet-il point ? La répression pour tous deux doit être égale, instantanée et poursuivie au nom de la société protectrice de l?honneur, de la vie, de la fortune des citoyens. Ainsi dans notre système, les huissiers seraient assimilés aux receveurs de l?enregistrement, les notaires aux conservateurs des hypothèques. Ils seraient classés les uns et les autres, par arrondissements, et rétribués soit par un traitement fixe, soit par des remises. Comme les receveurs de l?enregistrement et les conservateurs des hypothèques, les huissiers et les notaires auraient leurs bureaux ouverts au public à des heures fixes, et percevraient pour le compte du gouvernement le coût des actes qu?ils feraient : rien ne serait changé du reste, seulement, la vérification et l?inspection seraient rendues plus sévères. Il faudrait, il est vrai, supprimer les lois antimoniques, les commentaires des jurisconsultes qui obscurcissent bien souvent le texte, les débats plus longs qu?instructifs, et surtout ces nullités, ces délais abusifs dont il serait difficile de se rendre raison, et qui ont fait dire à J.-B. Selves qu?il ne savait pas si le code de procédure avait été inventé pour les procureurs, ou si les procureurs avaient été inventés pour lui. La procédure devra être simple, telle à-peu-près que devant les justices-de-paix et les tribunaux de commerce : les parties devront toujours être présentes, ou en cas d?impossibilité constatée se faire représenter par un fondé de pouvoir.

Quelque grave et profond que soit le changement que nous demandons, faire administrer la justice civile à l?instar de la justice criminelle, il n?aurait rien de bien étonnant et entrerait facilement dans les m?urs s?il était prescrit par les lois. Il existe déjà en germe, mais ce germe a besoin d?être développé.

Une comparaison doit nous être permise :

La société, instituée pour protéger les citoyens, ne saurait accomplir sa mission si, en échange de cette protection, les citoyens ne lui payaient un tribut. Ce tribut est appelé impôt. Avant la révolution, le recouvrement de l?impôt était livré à des agents connus sous le nom de fermiers généraux. La révolution a changé cet état de choses aux applaudissements de toute la [2.2]France. Les régies des contributions directes et indirectes ne remplacent-elles pas avec avantage la corporation des fermiers généraux ? Est-ce qu?une régie judiciaire, remplaçant la corporation des avoués, n?obtiendrait pas le même succès ? Est-ce que le recouvrement de la justice, pour nous servir d'une expression qui rend notre pensée, n'est pas aussi important que le recouvrement des impôts ? Est-ce que la société ne doit pas faire l?un et l?autre en son nom, et par ses agents ? Indépendamment de la moralité qui résulterait de ce nouveau mode, le gouvernement gagnerait des sommes immenses, qu?il pourrait employer à alléger le poids d?autres impôts plus onéreux. Sans doute les traitants judiciaires se plaindraient comme les traitants de l?ancien régime lorsqu'on supprima les fermiers généraux. Si on n?écouta pas les uns pourquoi écouterait-on les autres ? D?ailleurs la création d?une régie nécessitant des employés, la plupart des titulaires actuels pourraient trouver place ; on indemniserait les autres.

Ce plan nous a séduit par sa simplicité. Nous le soumettons avec confiance à tous les hommes partisans sincères des améliorations sociales, au gouvernement lui-même.

Il est temps de faire cesser cette immoralité consacrée par la loi, et qui consiste à spéculer dans son propre intérêt, sur le malheur de ses concitoyens. Cette spéculation est infâme ; elle doit disparaître dans l?état de rénovation sociale dont l?humanité est en travail.

Sans doute ce sujet aurait mérité de plus grands développemens ; mais pressés par la crainte des lois liberticides qui se préparent, nous avons dû nous hâter et livrer au public le fruit encore informe de nos méditations ; car bientôt une main de plomb pésera sur la presse et empêchera toute circulation d?idées généreuses, et républicainesiii 1 jusqu?à ce que?La liberté de la presse  ne périra qu?avec la civilisation. Que les destins s?accomplissent !


i M. Dupin, président de la chambre des députés, procureur général de la cour de cassation. Menacé de perdre cette place, on lui prête ce mot : « Eh bien, j'ai gardé dessous ma robe d'avocat. »
ii L'assemblée constituante a fait plus et mieux par la création des juges de paix. Si cette institution est dégénérée ; si bien souvent le prétoire du tribunal de paix est devenu un bureau de transit, il faut en chercher la cause non seulement dans le barreau qui a cherché à annihiler cette magistrature, et dans le pouvoir exécutif qui n'en a pas assez compris l'importance et la moralité ; mais dans quelques juges de paix eux-mêmes qui ont eu la simplicité d'accueillir avec une faveur marquée les hommes privilégiés du barreau préférablement aux parties et aux simples légistes. - L?empire qui voulait à tout prix une aristocratie, trouva trop républicaine l'institution des juges de paix soumis à l'élection populaire, il la mutila. - La robe ornée d'hermine lui parut préférable au bâton blanc du juge de village, à son modeste ruban auquel est suspendu l'?il de la vérité. - La restauration suivit ces erremens ; ils étaient dans sa nature.
iii République, c?est-à-dire chose publique ; d?après le nouveau projet de loi il ne serait pas permis à l?auteur de cet article de reproduire les éloges de la république qu?il avait publié en 1820 dans une brochure relative à la souscription nationale.

Nous devons signaler, comme un document précieux pour l?émancipation de la classe ouvrière, la société qui vient d?être créée entre vingt-cinq chefs d?atelier et ouvriers fabricants de tulle à la chaine, sous la raison de Charvet et Ce. - Cette société a été consentie pour 5 ans, à dater du 15 août, et le fonds social fixé à 41,000 fr. ? Le sieur Charvet sera gérant, sous la direction d?un comité administratif. ? Ce sera avec la maison centrale pour la fabrique d?étoffes de soie, la seconde association qui réunira les trois conditions d?intelligence, travail et capital.

CONSEIL DES PRUD?HOMMES.

20 AOUT 1835. M. Riboud, président. 24 causes ont été appelées.

Ami (Ve) c. Richard (mariés). Question à juger.

L?apprentie qui se marie peut-elle, par ce motif, être dispensée de payer l?indemnité résultant de la résiliation de l?acte d?apprentissage ? ? Non.

Fongelas c. Roux et Michel. Question à juger.

A-t-on le droit d?inscrire sur le livret le prix convenu entre un maître et son apprenti, pour résiliation d?apprentissage ? ? Non.

Monnet c. Bouillon. Question à juger.

Le compagnon qui ne s?est pas présenté le lundi pour commencer sa journée, attendu qu?il était convenu de s?en aller, a-t-il droit à réclamer du maître la huitaine d?usage ? ? Non, sa présence était nécessaire pour mettre en demeure le chef d?atelier.

27 AOUT. M. Riboud, président. 20 causes ont été appelées.

Joyard c. Carret. Question à juger.

Le chef d?atelier peut-il être astreint à justifier qu?il connaît la partie de la fabrique pour laquelle il prend un apprenti, et à défaut, l?apprentissage doit-il être résilié ? ? Oui.

3 SEPTEMBRE. M. Putinier, vice-président. 21 causes sont appelées.

[3.1]Bereau c. Berthier. Question à juger.

Le compagnon qui quitte un métier sans avertir le chef d?atelier, est-il passible d?une indemnité ; à raison de huit jours de travail ? ? Oui.

Notice biographique sur M. Trélat,

médecin, et l'un des défenseurs des accusés d?avril.

Ulysse Trélat, décoré de juillet, docteur en médecine, professeur d'hygiène à l'Athénée de Paris, rédacteur en chef du journal le Patriote du Puy-de-Dôme, officier de la garde nationale de Clermont-Ferrand, est né en l'an IV de la république, à Montargis, (Loiret), où son père était notaire. Ayant perdu sa mère avant d'avoir atteint sa dixième année, son père le confia aux soins d'un de ses parents, rnédecin honorablement connu à Macon. Le jeune Trélat suivit, comme externe, les cours du collége de cette ville ; à seize ans, il termina ses études classiques, et obtint, à la fin de sa seconde année de rhétorique, six premiers prix.

En 1813, époque où la fortune de Napoléon devint chancelante, Ulysse Trélat s'offrit comme chirurgien ; il fut attaché en qualité d?aide-major, à l'hôpital militaire de Metz. Au milieu de fatigues innombrables, atteint du typhus, qui moissonna, à cette époque, des milliers de victimes, Trélat, malgré, la faiblesse de sa constitution physique, échappa à une mort presque certaine. L'énergie morale suppléa en lui, à la force physique.

Trélat refusa de servir les Bourbons et renonça à son grade dans la chirurgie militaire, pour s'asseoir de nouveau sur les bancs de l'enseignement médical ; mais dans les cent jours, l'étudiant patriote prit rang parmi les canonniers volontaires de Paris et ne quitta les retranchements de Belleville qu'avec les derniers des fédérés.

L'école de médecine de Paris le compta une seconde fois parmi ses élèves. Il obtint au concours la place d'interne à l?hospice de Charenton. Voilà pour sa vie privée ; passons à sa vie publique.

Le docteur Trélat fut un des premiers membres de la loge des Amis de la Vérité, rendez-vous de la jeunesse des grandes écoles et du commerce de Paris. Là, il eût pour frère le fils du maréchal Lannes, le duc de Montebello1, qui depuis.......

En 1820, Trélat prit part aux luttes qui s'engagèrent entre les gardes du corps et les étudiants ; luttes connues sous le nom de Troubles de Juin 1820, et qui se terminèrent par le meurtre de Lallemand, fusillé par derrière par un caporal de la garde royale. On connait la cause de ces troubles : les étudiants étaient accourus au secours des députés Benjamin Constant, Chauvelin2 et autres, exposés à des voies de fait de la part des gardes du corps déguisés en bourgeois.

Au mois d'août de 1a même année, Trélat fit partie d?une organisation militaire, formée secrètement au sein de la jeunesse parisienne, sous le nom de Compagnies Franches des Écoles et du Commerce.

Trélat allait être nommé, par le crédit de son père notaire de la maison d'Orléans, chirurgien-major des dragons de la garde royale ; mais il ne crut pas devoir accepter une commission de service d?un gouvernement, au renversement duquel il était résolu de travailler.

En 1821, la Charbonnerie Française fut fondée à Paris par sept étudiants ; Trélat fut un des trente premiers membres. D?abord simple carbonaro, il obtint en peu de mois, de ses camarades, le titre de député de la vente centrale, ce fut le dix aout. Peu de temps après, il fut nommé membre de la haute vente de Paris.

Trélat avait concouru, d?une manière active, au complot de Béfort. L?insuccès le compromit gravement : un mandat de comparution fut décerné contre lui par le juge d?instruction Desmortiers, aujourd?hui procureur du roi. Pour s?y soustraire, il fut obligé de donner sa démission, et il perdit ainsi une position acquise par des études longues et laborieuses.

La vente suprême confia à Trélat la mission de propager et diriger la charbonnerie dans les départements. Il devint, à partir du 15 janvier 1822, l?un des commissaires généraux de la vente suprême auprès des autres ventes départementales. Il visita, en cette qualité, le département de la Somme, de l?Aisne, de la Marne, de Seine-et-Marne, de l?Yonne, de la Côte d?Or, du Rhône, et plus tard, ceux de la Vienne, des Deux-Sèvres, de la Charente-Inférieure, de la Vendée et de la Loire-Inférieure. C?est à Laon, en 1822, que Trélat reçut de Kersausie3, alors lieutenant au 4e hussards, le serment de haine à la royauté. A Poitiers, à Niort, à Fontenay-le-Peuple, à la Rochelle, à Rochefort, Trélat sentit battre sur sa poitrine les nobles c?urs de Bories, Pommier, Raoulx, Goubin, Berton4, Caffé, Saugé, Jaglin5 et de tant d?autres citoyens. Barthe et Merilhou6 fraternisèrent aussi avec lui au milieu des ventes parisiennes. Trélat fut chargé de suivre à Poitiers les détails du procès du général Berton7; il ne put parvenir à soustraire à l?échafaud le seul officier-général qui, avant 1830, ait osé relever l?étendard national. Le matin même du jour fatal, il l?espérait encore, et ce ne fut pas sa faute.

Les deux Lafayette, Dupont (de l?Eure), d?Argenson, Beausejour, Corcelles et Koëchlin (l?aîné), furent les seuls députés qui s?associèrent à la pensée républicaine les fondateurs de la Charbonnerie Française. L?introduction du parti dit libéral dans cette société en fut l?anéantissement. La Charbonnerie cessa d?être républicaine ; trois mois plus tard, elle cessa d?exister.

En 1827 la société Aide-toi, le ciel t?aidera fut fondée par Trélat et soixante charbonniers. A cette même époque un plus grand nombre d?anciens complices de Berton ; de Caron, de Vallée et des quatre sergents organisèrent à Paris un système municipal occulte destiné à attaquer de haute-lutte le gouvernement de Charles X, souillé du sang du peuple, dans les rues St-Denis et St-Martin. Trélat fut élu membre de la commune centrale de Paris.

Les 27, 28 et 29 juillet 1830, Trélat combattit dans les rangs des prolétaires. Le 30, la société des Amis du peuple le nomma l?un de ses commissaires auprès du gouvernement provisoire : Trélat protesta contre l?érection d?un trône nouveau.

Trélat remplaça au fauteuil de la présidence de cette même société, le citoyen Hubert ; il fut réélu onze fois de suite.

Nommé chirurgien-major de la 3e légion de la garde nationale parisienne dans les premiers jours d'août 1830, Trélat préfèra faire le service de simple artilleur à la 3e batterie. Un procès lui fut intenté à cette époque, ainsi qu'à ses amis Cavaignac, Guinard et autres : le jury acquitta ces patriotes ; mais l'artillerie parisienne fut désorganisée.

En 1832, le choléra sévit à Paris. Trélat se consacra au bien public ; il renonça à sa clientelle pour accepter une mission gratuite dans l?une des parties de la capitale la plus exposée aux ravages de ce fléau, les fauxbourgs Montmartre et Poissonnière. Dans Trélat, le médecin se montra l?émule du président des Amis du peuple. Quand le fléau eût disparu, Trélat se disposa à partir pour Clermont-Ferrand ; plusieurs mères de famille l'accompagnèrent et lui présentèrent en pleurant un bouquet : Et si le choléra revient, lui dit l?une d?elles toute en larmes ? Eh bien ! bonne mère, reprit Trélat, je reviendrai aussi. L'administration municipale du 3e arrondissement crut devoir au docteur Trélat l?honneur de remercîments officiels, et lui fit des offres avantageuses pour le retenir à Paris. Trélat aima mieux se rendre à Clermont-Ferrand pour rédiger le Patriote du Puy-de-Dôme ; il quitta Paris à la fin du printemps de l?année 1832.

Dans cette nouvelle carrière, Trélat s?est placé au premier rang. L?Auvergne le comptera au nombre de ses plus utiles civilisateurs.

Comme écrivain, et en dehors du journalisme, Trélat a publié plusieurs opuscules de philosophie médicale et de médecine, un grand nombre d?articles insérés dans le journal des progrès des sciences médicales et un traité d?hygiène, de concert avec le docteur Buchez8, et qui fait partie de la bibliothèque du 19e siècle.

Nommé défenseur pour les accusés d?avril, par le comité de défense, Trélat accepta avec empressement cette honorable mission. Repoussé comme n?étant pas [4.1]avocat, son nom se trouvait au bas de la lettre adressée par les défenseurs à leurs clients ; cette lettre ayant été dénoncée à la chambre des pairs par M. de Montebello , et incriminée, Trélat eût, avec Michel de Bourgesle courage d?en assumer la responsabilité, dévoûment dont il n?a été tenu aucun compte aux gérants légalement responsables, ni aux autres prétendus signataires. Nous ne retracerons pas sa belle défense devant la cour des pairs, il faut la lire ; nous rappellerons seulement que cette chambre l?a condamné à trois ans de prison et à 10,000 fr. d?amende. M. Trélat s?est constitué prisonnier le 26 juin dernier ; une souscription a été ouverte en sa faveur, et assurera le sort de sa jeune famille. Nous devons espérer que la France ne sera pas ingrate. Le citoyen Trélat fait honneur à l?humanité : la science et la liberté le réclament.

Trélat vient d?être transféré à Clairvaux.

CHAMBRE DES DEPUTES.

12 août. ? La loi sur les cours d?assises est votée par 212 contre 72. Cette loi érige en principe ce que la cour des pairs s?était permis de faire contre les accusés d?avril ; elle autorise les présidents à employer la force pour amener à l?audience les accusés récalcitrants, ou à les juger sur pièces.

20 août. ? La loi sur le jury est votée par 224 contre 149. ? Pars cette loi le nombre de voix nécessaires pour la condamnation est réduite de 8 à 7, et un nouveau supplice est inventé, la détention réunie à la déportation. ? Cette discussion a été mémorable par les paroles des ministres Guizot et Thiers que la chambre a écouté sans les rappeler à l?ordre. Le premier a dit qu?il fallait la terreur pour les coupables. Le second a prononcé textuellement ces paroles : «  Point de lois d?exception ; nous restons et nous resterons dans la charte ; il faudrait de grandes nécessités pour nous en faire sortir etc. » Une défection assez marquée a eu lieu dans la majorité ; la plus éclatante est celle de M. de Schonen. ? Des discours admirables ont été prononcés par MM. Royer-Collard, Bignon, Dupin aîné, etc.

29 août. La loi sur la liberté de la presse a été votée par 226 voix contre 153. ? M. Sauzet s?en était fait le rapporteur, et l?a aggravée de telle sorte qu?on peut dire que cette liberté ne sera plus que sous le bon plaisir des ministres. (Voyez, au sujet de cette loi, l?examen que notre confrère, M. Falconnet, en a fait dans le Nouvel Echo de la Fabrique.) M. Garnier-Pagès a prononcé contre cette loi un discours que nous regrettons de ne pouvoir transcrire. D?autres lois moins importantes ont été votées : On a fait remarquer, au sujet de l?une d?elles, que le devis du Te Deum qui a eu lieu à Paris après le 28 juillet, est porté à 41,900 fr. ? Sous l?empire un Te Deum ne coûtait que 2,100 fr., et on ne les chantait qu?après une victoire, telle que la bataille d?Austerlitz, etc.

NOUVELLES.

EXTERIEUR. Prusse. Les troubles de Berlin sont appaisés ; mais l?autorité craint de les voir renouveler.

Espagne. Un mouvement libéral existe en ce moment à Barcelonne, Sarragosse, etc. Le 16 août, les miliciens de Madrid s?insurgèrent, mais ayant parlementé, ils ont bientôt été cernés, et par suite, obligés de capituler. La ville a été mise en état de siège, des députés et d?autres citoyens influents ont été arrêtés. On cite le duc d?Abrantes, le comte de Las Navas ; les députés Calvo de Rosa, Isturiz, Caballera, le général Ourogg, etc.

Italie. Le choléra fait des ravages à Gènes, dans le Piémont, etc.

INTERIEUR. Paris. La plupart des personnes arrêtées sous le prétexte de l?attentat du 28 juillet, ont été mises en liberté. ? M. Raspart, rédacteur en chef du Réformateur, arrète préventivement, sous le même prétexte, et reconnu innocent (ce qui n?était pas difficile) ; a été condamné, pour insultes envers M. Zangiacomi, juge d?instruction, à 2 ans de prison et 5 ans de surveillance. La cour d?appel a supprimé la surveillance. ? Rossignol, condamné de Juin, Coudert et le baron de Richemont se sont évadés de Ste-Pélagie le 19 août. ? Me Michel-Ange Perrier, avocat de Lyon, a été arrêté comme prévenu de tentative d?évasion en faveur des citoyens Baune, Lagrange, Reverchon, etc., laquelle tentative n?a pas réussi.

? Plus heureux, M. Pepin s?est évadé. ? Ces nombreuses évasions ont déterminé M. Gisquet à donner sa démission.

? Un homme vertueux, écrivain de beaucoup de mérite, Dulaure, conventionnel régicide, est mort le 19 août, âgé de 80 ans.

? Delacquis, l?un des prévenus d?avril évadés, a été arrêté. On annonce aussi que Buzelin et Cahusac ont été repris.

Douai ? Le congrès scientifique ouvrira sa 3e année, dans cette ville, le 6 septembre courant. Les deux premiers congrès ont eu lieu à Lille et à Poitiers. Le compte rendu de ce dernier a été publié et forme 1 vol. in-8°, de 650 pages.

Lyon. ? L?académie a remis au concours pour 1856 l?éloge de Jacquard.

? Le 26e vol des brevets d?invention expirés est déposé au secrétariat de la Préfecture.

? Le procès d?avril, en ce qui touche la catégorie de Lyon, est terminé. Les frères Dépassio, Onke de Wurth, etc., ont été condamnés par contumace. Rivière cadet a été acquitté.

[4.2]Quatre ans de règne.

Dans l?air encor grondait la foudre
Sous laquelle tombent les rois ;
Près d?un trône réduit en poudre
S?élevait un nouveau pavois.
Un homme y monte, on le couronne,
Car il promet des jours plus doux.
Toujours le peuple s?abandonne
Aux rois qui se ressemblent tous.

Il suivra la pente commune ;
Me dis tristement un vieillard.
Non, car il connaît l?infortune ;
Dans nos malheurs il eût sa part.
Il fut proscrit !... et près du trône
Jamais n?ont fléchi ses genoux !...
Toujours, etc.

Le vieillard sourit en silence,
Et s?éloigna. Partout alors
Belle et radieuse la France
C?était à de joyeux transports :
Partout un nom de roi résonne ;
On eût dit la fête des fous.
Toujours, etc.

Après quatre ans, grave et sévère
Le vieillard m?apparut un jour :
Eh bien ! qu?a-t-il fait de sa mère ?
Qu?avez-vous fait de votre amour ?
Toute nation qui se donne
Trouve un maître au lieu d?un époux.
Toujours, etc.

Le vieux drapeau se décolore ;
La liberté finit l??il en pleurs,
Et le trône ne veut encore
D?autres appuis que ses flatteurs.
La main de plomb qui nous rançonne
Agite encor glaive et verroux.
Toujours, etc.

Il suit vite les destinées
De tout ce qui fut, et s?en va.
Il n?a plus rien des trois journées ;
Rien du peuple qui l?éleva.
C?est le coursier qu?on éperonne
L?écuyer meurt et lui dessous.
Toujours, etc.

Bérenger.

CANCANS.

La machine infernale était composée de 25 canons de fusil ; la loi contre la presse à 25 articles ; de là lui est venu le nom de loi Fieschi ou loi infernale.

M. de Peyronnet a fait remettre sa carte chez M. Persil.

Les Te Deum vont remplacer la Marseillaise.

M. Guizot a abjuré la religion protestante? On l?a vu dernièrement à Notre-Dame priant avec ferveur.

M. Thiers y était aussi : Mais quelle religion a-t-il abjurée ?

La justice n?a rien trouvé dans la malle de Fieschi, c?est possible ; mais les ministres y ont trouvé les projets de loi contre la presse.

Les imprécations contre la loi sur la presse forment un crescendo épouvantable. On l?a d?abord appelée loi Fieschi ou loi infernale, ensuite loi-Persil, et maintenant on l?appèle la loi-Sauzet.

On assure que M. Sauzet rit tout bas de ce concert de malédictions ; il aurait dit à un de ses intimes?je suis encore avocat des ministres de Charles X, et je veux les faire acquitter par l?opinion publique.

Les 28e et 29e livraisons des Fastes de la Révolution Française, par MM. Armand Marrast et Dupont, viennent de paraître. La première complète l?Introduction, morceau historique d?un mérite supérieur, qui se vend séparément 3 fr. 25 c. (et forme 13 livraisons, ensemble 248 pages) ; la seconde commence en octobre 1791 avec l?Assemblée Nationale Législative.

Cet ouvrage aura en tout de 50 à 60 livraisons de 16 pages et contiendra la matière de plus de six volumes in 8°. ? Prix : vingt-cinq centimes par livraisons. (1)

(1) On souscrit à Paris chez Guillaumin, libraire, rue Vivienne, n. 43. ? A Lyon, chez Baron, rue Clermont.

Notes (REFORME JUDICIAIRE. [1.1] Si nous n'avions...)
1 Marius Chastaing fait ici référence à son tout premier écrit, Appel à l'opinion publique, par P.-F.-M. Chastaing fils, étudiant en droit, prévenu d'avoir pris part à la souscription lyonnaise en faveur des détenus en vertu de la loi du 26 mars 1820. Haine à l'arbitraire. Respect à la loi publié en 1820 chez Les marchands de nouveautés.

Notes (Notice biographique sur M. Trélat , médecin,...)
1Louis-Napoléon Lannes, duc de Montebello (1801-1874), tôt rallié au régime de Juillet, partisan des lois de septembre 1835.
2Référence ici à Benjamin Constant et à François-Bernard Chauvelin (1766-1832), député de l?extrême-gauche sous la Restauration.
3Théophile Guillard de Kersausie (1798-1874), carbonaro, était associé en 1834-1835 à François-Vincent Raspail dans la publication du journal républicain Le Réformateur.
4Le général Jean-Baptiste Berton (1769-1822), à la tête du complot de Saumur, arrêté et guillotiné en octobre 1822.
5Bories, Pommier, Raoulx et Goubin étaient les quatre jeunes sergents de la Rochelle qui furent guillotinés en 1822 pour leur participation au complot de la Charbonnerie. Les autres noms cités, Berton, Caffé, Saugé, Jaglin avaient participé simultanément au complot de Saumur et furent eux-aussi exécutés.
6Félix Barthe et Joseph Merilhou (1769-1822), ancien carbonaro, à qui les républicains du début des années 1830 reprochaient leur ralliement au régime de Juillet.
7Le général Jean-Baptiste Berton (1769-1822), à la tête du complot de Saumur, arrêté et guillotiné en octobre 1822.
8Référence ici au Précis élémentaire d?hygiène publié par Trélat et Philippe-Joseph Buchez en 1825.

 

 

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