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11 mars 1832 - Numéro 20
 
 

 



 
 
    
LYON.1

Un journal de notre ville, dont les sympathies ne sont pas très-vives pour la classe prolétaire, le Courrier de Lyon, enfin, disait, il y quelques jours, que les magasins ne pouvaient exister sans ces cloisons appelées à juste titre cages ; il faut, disait-il, que les commis puissent travailler sans être gênés par la foule. Tel était à peu près le sens de ses paroles. Jusques-là c’est bien ; que les commis soient séparés des ouvriers, rien de mieux, mais que ces derniers ne soient point enfermés comme des oiseaux de proie, comme des bêtes fauves dans une cage étroite sans être aérée et quelquefois d’une malpropreté dégoûtante… Que les chefs d’ateliers, hommes libres comme le commerçant, ne soient point entassés comme sur un vaisseau négrier, lorsqu’ils viennent au magasin demander de l’ouvrage ou le montant de leur travail. Que les commis, qui, par une erreur quelquefois de jeunesse, se croient au-dessus des ouvriers, ne marchent point nonchalamment autour du magasin, en frédonnant un air de Zampa ou de la Muette2, tandis que des pères de famille, des vieillards, [1.2]pressés les uns contre les autres et suffoqués faute d’air, étouffent dans la bienheureuse cage.

Que les chefs d’ateliers soient séparés des employés de la maison, que leur importe, mais qu’une cage de huit pieds carrés, où est un banc de six places soit reservé à quarante et quelquefois à cinquante personnes ! que ces personnes, soit par négligence, soit par la mauvaise volonté des gens de la maison, restent enfermées dans ce lieu insalubre quelquefois trois à quatre heures ! c’est ce que nous devons signaler, c’est contre cette violation de l’humanité que nous devons nous élever avec force.

Il est un moyen de tout concilier, moyen que commandent la philantropie et nos mœurs : que les négocians aient un appartement à part séparé du magasin, mais vaste et aéré ; que les chefs d’ateliers soient appelés les uns après les autres dans le magasin, au moins les amours-propres n’auront point à rougir, le malheureux ne montrera pas sa misère à tout le monde, et les secrets du ménage, car la misère en est un, ne seront point divulgués.

On a dit que tous les magasins en général avaient des cages ; nous pourrions au besoin citer vingt maisons de commerce où jamais ces cloisons n’ont existé, et les honorables citoyens qui, en les faisant disparaître, ont donné lieu à la feuille de la presse par excellence de mettre en usage ses petites injures, sont assurés de la reconnaissance de la classe industrielle qui certes vaut bien celle des écrivains du journal aux deux cent mille francs.

Nous souhaitons que ces hommes de bien aient de [2.1]nombreux imitateurs ; car on doit au chef d’atelier autant d’égards qu’à un commissionnaire, il ne mérite pas plus que lui d’être enfermé dans une cage, et d’avoir le ridicule de n’être vu qu’à travers une grille. Les hommes sont égaux, a dit le pacte social : ainsi, respect aux malheureux, des égards pour tous, voilà ce que nous ne cesserons de réclamer et ce que la philantropie et les lumières du siècle ne manqueront pas d’accorder à la classe industrielle.

Notes (LYON.)
1 L’auteur de ce texte est Antoine Vidal d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).
2 Zampa ou la fiancée de Marbre, opéra créé en 1832 par Ferdinand Hérold (1791-1833) ; La muette de Portici, opéra créé en 1828 par Daniel-François-Esprit Auber (1782-1871).

 

 

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