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11 mars 1832 - Numéro 20
 
 

 



 
 
    
DE L?INSTRUCTION POPULAIRE.1

Dans un pays où le pouvoir est absolu, l?homme né sous la verge de l?esclavage ne croit pas se devoir tout entier à cette terre qui l?a vu naître, et que les peuples libres appellent patrie. Pourvu que de ses bras il ait contenté celui qui le tient dans un état de servage et qu?il ait de quoi assouvir sa faim, il croit avoir rempli ses devoirs d?homme, et ne pense nullement à acquérir du talent qu?il ne pourrait mettre à profit.

Dans un état libre, en France par exemple, il en est autrement, les hommes de toutes les classes se doivent à la société, à la patrie. Le peuple qui, par son industrie, a porté sa gloire au plus haut degré, n?a pas encore assez fait pour elle. Aujourd?hui ce n?est plus un problème, c?est une vérité démontrée que, pour qu?une nation soit grande et heureuse, il faut qu?elle soit instruite. Nous appelons instruite une nation dont chaque citoyen connaît son droit, les lois de son pays, et peut, au besoin, se présenter devant le magistrat qui oserait les enfreindre. Nous ne rêvons pas un peuple de savans discutant sur des mots, nous voulons l?instruction telle que l?avaient comprise et Lancastre et Pestalotzi, telle que la comprennent aujourd?hui ces honorables citoyens qui se vouent parmi nous à l?instruction populaire.

La France renferme dans son sein tous les élémens d?instruction. Mais, comme nous le disait naguères et judicieusement un philantrope : Si les écoles manquent à la population, la population manque souvent aux écoles. Sans doute que le peu de gain que fait aujourd?hui la classe industrielle est une des causes qui font manquer les élèves aux écoles, et nous concevons qu?une famille, plongée dans la misère, songe peu à l?instruction de ses enfans ; cependant elle a tort selon nous ; ne voyant pour ces enfans qu?un avenir pénible, elle doit chercher à leur donner le seul moyen de sortir de cet état de détresse, soit que l?enfant reste citoyen, soit qu?il [3.1]devienne soldat, et le moyen le plus sûr d?en sortir, c?est l?instruction ; elle élève l?ame, rend l?homme propre aux emplois, au commerce et le fait devenir meilleur, parce qu?il connaît mieux ses devoirs de citoyen et de père de famille.

Bien des personnes allèguent que le temps étant mauvais, ils ont besoin de leurs enfans. Nous allons répondre à toutes ces objections avec la franchise qui nous caractérise ; car, selon nous, parler avec fermeté de l?instruction à la classe qui nous a confié sa défense, c?est encore la servir.

Nous avons aujourd?hui les écoles lancastriennes où un élève âgé de 8 à 10 ans peut, dans deux années, et c?est le terme le plus long, apprendre tout ce qu?il faut à l?homme du peuple, à l?industriel, c?est-à-dire, lire, écrire, calculer, avoir même de notions de mathématiques et de dessin linéaire. Mais le peuple, nous l?avouons, néglige l?instruction, cette source d?un bonheur à venir, et c?est par cela même qu?un père est pauvre qu?il doit faire instruire son enfant, parce que ce sera le seul héritage qu?il lui laissera, et qui, certes, vaut bien quelquefois celui de la fortune. On allèguera la misère ! et que peut contre elle un enfant de 7 à 8 ans ? ne mangera-t-il pas aussi bien son morceau de pain sur le banc des écoles que dans la rue ? On dira qu?on l?occupe, c?est-à-dire qu?on captive l?enfant de 7 ans tout le jour pour lui faire confectionner ce qu?une personne ferait dans une heure ; mais il aide !? et ce devoir que vous avez contracté envers cet enfant en lui donnant le jour, ne vous commande-t-il pas de faire pour lui quelques sacrifices ? Vous êtes pauvres, vous ne lui donnerez point de dot, ah ! donnez-lui au moins ce que vous pouvez lui léguer, l?instruction !

Notre langage paraîtra sévère à quelques personnes. Si nous nous élevons avec force contre le peu d?instruction de la classe industrielle, c?est que nous sommes pénétrés que la négligence seule écarte beaucoup d?enfans des bancs des écoles ; c?est que nous sommes pénétrés que l?homme, dans le siècle où nous vivons, ne peut être heureux, s?il n?est instruit ; et celui qui écrit ces lignes, né prolétaire, bénit la mémoire de son père, parce qu?il lui a donné le peu d?instruction qu?il faut à l?homme civilisé.

A. V.

Notes (DE L?INSTRUCTION POPULAIRE.)
1 L?auteur de ce texte est Antoine Vidal d?après la Table de L?Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).

 

 

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