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18 mars 1832 - Numéro 21
 
 

 



 
 
    

Des troubles graves ont eu lieu à Grenoble1; nous nous contentons d’extraire, sans aucun commentaire, les passages suivans du journal le Dauphinois :

« Le 12 mars, la jeunesse, mécontente d’avoir vu ses espérances de plaisir trompées, et parmi laquelle circulaient divers propos qui n’annonçaient pas des intentions très-bienveillantes de la part de la principale autorité, se rassembla à la tombée de la nuit dans la cour de la préfecture, où par des huées et des sifflets elle protesta contre les mesures prises la veille par M. Duval.2

Une patrouille de la troupe de ligne étant survenue, les jeunes gens évacuèrent paisiblement la cour de la préfecture, dont la porte fut occupée par les soldats de la patrouille.

Le groupe, toujours grossi de nouveau venus et de curieux, stationna vis-à-vis, continuant à huer et à siffler de temps à autre. Le tapage diminuait cependant ; et les curieux commençaient à se retirer, lorsque, dans un moment de calme, un agent de police arrête un jeune homme que l’on disait paisible, et le conduit au corps-de-garde. Les sifflets et les huées, auxquels se mêlent les cris de à bas le préfet ! recommencent avec plus de force.

En ce moment, des deux côtés opposés de la rue du Quai, une compagnie de grenadiers et une de voltigeurs du 35e de ligne, appuyées par d’autres échelonnées en arrière, chargent, baïonnettes croisées. Ceux qui les voient venir, essaient en vain de s’échapper ; refoulés sur le groupe principal, ils sont percés de coups de baïonnettes.

Nous étions là avec des conseillers à la cour royale et plusieurs citoyens notables de la ville ; et nous affirmerons à la justice qu’aucune sommation n’a été faite, qu’aucune provocation n’a été adressée aux soldats, qu’aucune défense n’a été même tentée. D’ailleurs, à quoi eût servi une sommation, puisque ceux qui se dispersaient étaient refoulés, que toute issue leur était fermée, et que le plus grand nombre ont été frappés avant de savoir qu’il y eût là des soldats ? Nous les avons vus ces soldats, non pas pousser en avant avec leurs baïonnettes les citoyens réunis, mais larder dans tous les sens en aveugles, en furieux ; nous avons vu tomber sous leurs coups des femmes, des enfans ; nous avons vu ces femmes, ces enfans, des vieillards foulés aux pieds, frappés à terre ; et cette épouvantable boucherie n’eût pas eu de terme, si les fenêtres des magasins n’eussent ouvert un asile aux citoyens ainsi traqués.

En même temps, toutes les rues, toutes les places étaient occupées militairement ; des cris de vengeance se faisaient entendre sur tous les points ; des essais de barricades furent même tentés sur la place Ste-Claire ; mais, pris à l’improviste, les citoyens se trouvaient sans armes et ne pouvaient se réunir.

Ce matin, la municipalité s’est réunie ; les officiers de la garde nationale se sont rassemblés pour demander qu’elle fût mise sous les armes, et le rappel bat en ce moment dans les rues ; la population est toute sur pied ; elle demande vengeance ; il faut qu’elle l’obtienne.

La cour royale s’assemble de son côté ; tout fait présumer qu’elle évoquera l’instruction de cette affaire ; les témoins ne lui manqueront pas, et ce ne seront pas des témoins suspects ; car les hommes les plus paisibles ont été victimes de ce guet-apens, et toutes les opinions (il n’y en a pas deux chez nous sur le sang versé) vouent à l’exécration les auteurs de cet infâme et lâche assassinat

On ne connaît pas encore le nombre des victimes. Parmi elles figurent deux enfans Raffin, âgés l’un de 9 ans, l’autre de 12, percés au bas des reins de plusieurs coups ; plusieurs femmes ; M. Guibert, menuisier, dont on craint que la blessure dans l’aîne ne soit mortelle ; M. Martial Dupré, beau-frère de M. Lesage, adjudant de place, frappé de quatre coups de baïonnettes ; MM. Nicolas et Camille Dode, [4.1]étudians, blessés à la main ; Hochet, étudiant en droit, blessé au bras ; Tivan, marchand de meubles, frappé de trois coups, à côté de sa femme qu’il conduisait ; Giraud, garçon de banque de la maison Perier ; Bressan fils ; Raymond, perruquier ; Richard, etc. »

Notes (Des troubles graves ont eu lieu à Grenoble...)
1 Suite à l’interdiction prononcée par le nouveau préfet de l’Isère Maurice Duval (nommé en janvier 1832 en remplacement de Gasparin) contre la tenue d’un banquet hostile à la politique de Louis-Philippe, les étudiants s’étaient soulevés. La troupe (et non la Garde Nationale jugée peu fiable par les autorités) avait chargé faisant de nombreuses victimes. Toute la ville de Grenoble s’était alors soulevée, expulsant la troupe sous les huées. Le préfet Duval sera remplacé en mai 1832 par le baron Charles Pellec.
2 Duval, préfet de l’Isère, Note du préfet de l’Isère sur les évènemens de Grenoble en mars 1832, publié à Grenoble (1832) à l’imprimerie F. Allier.

 

 

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