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25 mars 1832 - Numéro 22
 
 

 



 
 
    
ABUS1

du payement a jour fixe.

Parmi les nombreux abus de notre fabrique, il en est un en usage dans quelques maisons de commerce, que l’on peut compter dans la catégorie de ceux qui pèsent le plus sur les chefs d’ateliers. Que l’on se figure une maison de commerce occupant 60 chefs d’ateliers, ayant le barbare usage de ne payer ses ouvriers qu’à jour fixe ; de combien de dégoûts, d’amertumes, d’humiliations et de souffrances, ne sont-ils pas abreuvés les malheureux qui, malgré toute l’activité qu’ils ont pu mettre à fabriquer leur ouvrage, ne peuvent réussir à le rendre au négociant qu’après le jour fixé pour le payement ; qui, malgré leurs pressans besoins et leurs sollicitations, pour avoir leur salaire, n’obtiennent pour toute réponse que ces mots : l’usage de notre maison est de ne donner de l’argent que tel jour, à telle heure, et nous ne voulons pas déroger. Souvent nous avons vu, après une aussi désespérante réponse, des larmes s’échapper aux mères de famille qui avaient cru en exposant ainsi publiquement leurs besoins, obtenir au moins un à-compte. Ainsi, trompé dans son attente, l’ouvrier est obligé de vendre ou de mettre en gage ses harnais.

Enfin, arrive le jour après lequel chacun soupire : l’on se rend de bonne heure dans la bienheureuse cage, d’où, après avoir langui deux ou trois heures, serrés une trentaine les uns contre les autres, étouffant de chaleur et d’ennui, l’on voit venir le caissier qui, mesurant d’un œil important le nombre des demandeurs, dit, en murmurant entre ses dents, la ménagerie est bien pleine, et répond ensuite à la demande de chacun : Je suis bien fâché, mais je ne puis vous donner que la moitié de ce qui vous revient. C’est ainsi que l’on fait faire au chef d’atelier, qui a soldé ses ouvriers, une douzaine de courses et perdre beaucoup de temps pour obtenir le solde, souvent très-minime, qui lui revient.

Aujourd’hui, la justice et l’harmonie doivent présider aux relations des chefs d’ateliers avec leurs négocians, un semblable abus ne saurait se perpétuer plus long-temps. L’humanité et les lois le condamnent. Le salaire de l’ouvrier doit lui être soldé quand il le désire, aussi bien que le billet à ordre du négociant lorsqu’il est échu. Nous croyons donc qu’un maître-ouvrier qui serait forcé, pour un semblable abus, de citer un négociant à la barre du conseil des prud’hommes, ce dernier y serait condamné à payer de suite.

[4.1]Honneur à ces négocians probes qui tiennent un caissier toujours prêt non-seulement à satisfaire les demandes des ouvriers, mais à les prévenir dans leurs besoins en leur offrant de l’argent toutes les fois qu’ils rendent leurs étoffes ! Ces maisons, dis-je, par leurs bons procédés, méritent la reconnaissance des ouvriers, autant que celles qui abusent de leur misère méritent le blâme.

Notes (ABUS)
1 L’auteur de ce texte est Joachim Falconnet d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).

 

 

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