LES DUELS.
Selon nous, les duels sont en partie des actes par lesquels un homme adroit assassine celui qui n'a pas le bonheur de savoir manier un sabre ou diriger le canon d'un pistolet. Nous avons en horreur le duel, parce qu'il n’est point dans nos mœurs ; il est encore moins de notre siècle. La loi protège le faible contre le fort ; la loi punit celui qui a forfait à l'honneur et venge la société outragée, en même temps que les individus. Ce n'est pas que si des hommes, se croyant offensés par nous, nous demandaient raison, si notre sang bouillait dans nos veines à la suite d'une insulte grave, nous crussions éviter le sort d'un combat ; mais ce serait contre notre conviction ; car celui qui a tué un homme en duel, doit être toute sa vie dévoré par les remords.
Depuis quelque temps on prend à tâche d'attaquer en duel les écrivains des journaux, on trouve des offenses partout, et ce qui est ridicule, c'est que l'offensé ne se présente que par procuration. Ainsi, un spadassin, un crâne pourrait venir, au nom de MM. tels ou tels, vous proposer un cartel, et si vous ne vous faites pas tuer par le maître d'escrime, votre honneur sera compromis, vous aurez refusé une réparation.
Ce que nous avançons ici, vient d'avoir lieu pour les écrivains de la Tribune. M le maréchal Lobau1, se croyant offensé par un article de cette feuille, les officiers de [4.2]l'état-major-général de la garde nationale se rendirent auprès de M. Belmontet2 pour demander réparation au nom de leur supérieur ; M. Belmontet répondit d'abord qu'il ne se battrait qu'avec l'offensé, qui était M. le maréchal Lobau ; mais, bientôt lassé par les tracasseries de MM. de l'état-major, il dit à celui qui portait la parole : eh bien ! Monsieur, je me battrai avec vous. MM. les officiers répliquèrent qu'étant tous offensés, M. Belmontet devait se battre avec tous (ils étaient au nombre de soixante-sept) ; après, ils se consultèrent et dirent à M. Belmontet qu'ils choisiraient entre eux celui qui se battrait le premier, c'est-à-dire, le meilleur spadassin. Mais les choses ne furent pas ainsi : tous les rédacteurs de la Tribune prirent parti pour leur ami, et comme le nombre était loin d'approcher celui de MM. de l'état-major, dès le même jour, les bureaux de la Tribune étaient encombrés par les jeunes gens qui allaient se faire inscrire afin de rendre égal le nombre des combattans ; on vit jusqu'à un prolétaire qui voulait payer de son corps les bienfaits de la liberté de la presse, mais la liste était close…
Nous avons appris que MM. de l'état-major, revenus à des sentimens plus pacifiques, avaient fait tout ce qui dépendait d'eux pour que la chose fût étouffée. Au lieu de les blâmer, nous les félicitons. Le sang français ne doit être versé que pour défendre, au besoin, et la frontière et nos institutions, si jamais elles étaient menacées.
Nota. Nous avons appris qu'une rencontre a eu lieu le 26 mars, au bois de Vincennes, entre M. Belmontet et le général Jacqueminot3. M. Belmontet était accompagné de MM. Armand de Briqueville, député, et Armand Carrel, rédacteur en chef du National ; et M. le général Jacqueminot, de M. le général Gourgaud, et de M. Tourton, général de la garde nationale. Les deux adversaires ayant essuyé deux coups de feu chacun, les témoins ont exigé que l'affaire fût terminée.
Notes (LES DUELS.)
Mouton Georges, Comte de Lobau (1770-1838), ancien soldat de Napoléon, député libéral de la Meurthe en 1828, nommé Maréchal puis Pair de France par Louis-Philippe.
Louis Belmontet (1798-1879), poète et homme politique français, bonapartiste et républicain il est, en 1831 l’un des journalistes de La Tribune.
Jean-François Jacqueminot (1787-1865), lui aussi soldat des campagnes de l’Empire, plus tard député des Vosges (1827) opposé aux Bourbons. Au début de la Monarchie de Juillet le nouveau souverain le nomme général de brigade puis chef d’état-major de la garde nationale de Paris.