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1 avril 1832 - Numéro 23
 
 

 



 
 
    
VARIÉTÉS.1

des charivaris2

On appelle charivari cette musique aigre et discordante qu'on entend parfois à la porte de l'individu qui convole à de secondes noces. Le charivari est l'antithèse de la sérénade. Son institution remonte à la plus haute antiquité : malheur à qui encourt cette justice populaire ! Aussitôt que le coupable est signalé, les faraux du quartier s'assemblent munis de pelles, pinces, chaudrons, cornets, marmites, etc., et cernent le domicile du délinquant. Le chef d'orchestre crie à haute voix charivari ; un second demande pour qui ? et la foule des exécutans répond en désignant le nom du criminel. Aussitôt commence l'infernale symphonie… Elle dure ordinairement une heure, et se répète trois jours de suite, si la police n'y porte obstacle, ce dont elle s'avise assez souvent. C'est ordinairement à la nuit tombante qu'a lieu ce morceau d'ensemble.

La politique qui envahit tout, n'a eu garde d'oublier le charivari ; elle en a fait la contre-partie de l'aubade militaire. Par là il a acquis une importance à laquelle nos bons aïeux n'auraient jamais cru qu'il pût arriver. Il est devenu partie intégrante de nos institutions, mais en même temps, comme il n'y a qu'heur et malheur en ce monde, on l'appelle souvent devant les tribunaux pour répondre des méfaits dont on l'accuse. En ce moment il est soumis à une épreuve de ce genre devant le tribunal de paix de la ville d'Arras. Un charivari a été donné dernièrement dans cette capitale de l'Artois au préfet Talleyrand3 coupable d'avoir assisté à une réunion chez un ancien fonctionnaire réputé légitimiste ; et par suite, cinq individus ont été traduits devant le tribunal de simple police.

[7.2]« Parmi les libertés garanties par la charte, a dit M. Letierce aîné, l'un des accusés, se trouve celle accordée à chaque citoyen de publier ses opinions. Comme la loi fondamentale ne dit pas de quelle manière cette publication doit avoir lieu, toutes les voies sont donc permises. L'un publie ses opinions par la voix d'un journal, un autre par un livre, un troisième par le moyen de la lithographie, un quatrième choisit la musique, etc. ».

Me Leducq, avocat, est venu prêter à la cause le secours de son éloquence, et abordant de suite le point culminant de l'affaire, il a posé trois questions qu'il a discutées avec beaucoup de logique, et que je crois résolues dans le sens de la défense : l’on va en juger. Ces trois questions sont celles-ci : 1° le charivari politique est-il défendu ? est-il un bruit ou tapage injurieux ? est-ce un bruit nocturne ? Dans l'espèce il avait eu lieu à neuf heures du soir. Sur la première question, Me Leducq répond : « Dès que la sérénade et l'aubade sont licites, il faut en conclure que le charivari l'est également ; la nature des sons, leur bizarrerie, leur discordance peuvent sans doute être une contravention aux règles de l'art, mais à la loi, jamais. Si la mauvaise musique était poursuivie comme la mauvaise presse, que de gens trembleraient. Après tout, le grotesque charivari a bien son mérite ; sous sa rude et grossière enveloppe, il renferme, pour les hommes d'état, une utile et sévère leçon. Castigat ridendo. Arrivant à la seconde question, Me Leducq soutient que le charivari n'est point un tapage injurieux, mais seulement la critique de l'homme politique. Pourquoi donc, s'écrie-t-il avec une noble indignation ; pourquoi donc, quand on peut louanger, ne pourrait-on pas blâmer ? où est le véto de la loi ? Tout ce qui peut s'exprimer par la presse peut se rendre par tout autre moyen. Le peuple avait le droit d'écrire qu'il improuvait ; au lieu d'employer des mots, il a choisi des sons. Il n'a ni injurié ni voulu injurier, car l'injure, c'est un mot outrageant. Il a blâmé ; eh pourquoi le chaudron qui résonne serait-il plus injurieux que la presse qui gémit. L'injure est-elle dans l'intensité du son ? le droit de publication de la pensée appartient à tous. Les modes de publication sont illimités. La presse, la caricature, la chanson, la brochure, etc. sont des modes. Le charivari est celui du peuple, et quoiqu'il blesse l'oreille de l'homme politique, il n'en est pas moins légal. De nombreux exemples l'attestent. MM. de Croismare, Roumain, Fosseau Colombel, Avisard, et M. Persil lui-même, sont pour nous autant d'autoritési. Ces messieurs ont subi l'influence du cornet à bouquin sans se plaindre.

Sur la dernière question il a été plaidé que la nuit n'était dans le sens de la loi que l'heure du repos, et que cette heure étant légalement celle de la retraite qui n'a lieu qu'à dix heures, n'avait pas encore sonné pour les citoyens d'Arras au moment où le charivari a eu lieu, M. le juge de paix a renvoyé la prononciation de son jugement. Si les prévenus sont acquittés, il en résultera la légalité du charivari, ce qui aura bien son mérite comme l'a dit M. Leducq. Les lecteurs en seront instruits.

Marius Ch.....g

Notes (VARIÉTÉS.)
1 L’auteur de ce texte est Marius Chastaing d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).
2 Le charivari était, originellement, un genre de concert tumultueux et discordant que l’on donnait aux mariés dont la différence d’âges était importante. On le donnait plus spécialement lors des remariages des veufs et veuves. Sa pratique réapparaît après 1815 avec une signification beaucoup plus politique puisqu’il servait à ridiculiser les adversaires. De fait il s’adressait plutôt aux puissants et aux nantis et pour cette raison, la répression à son encontre sera sévère. Dans le numéro suivant de L’Echo de la Fabrique, Marius Chastaing écrira, « Le charivari a des ennemis puissants, il est d’origine prolétaire » (numéro du 8 avril). Le terme sera utilisé par la presse, Philippon créant en 1832, Le Charivari alors que peu après sortira Le Tintamarre, deux journaux consacrés au ridicule de la classe politique, particulièrement celle appartenant au Juste-milieu. Voir Nadine Vivier (Dir.), Dictionnaire de la France du 19e siècle, Paris, Hachette, 2002, p. 52.
3 Charles-Maurice, Duc de Talleyrand-Périgord (1754-1838). Après une longue carrière sous l’Empire puis la Restauration, il joua encore un rôle diplomatique important au début de la Monarchie de Juillet favorisant notamment depuis son Ambassade à Londres le rapprochement entre la France et l’Angleterre.

 

 

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