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8 avril 1832 - Numéro 24
 
 

 



 
 
    
LYON.1

Le Courrier de Lyon auquel nous nous lassons de répondre, parce que nous n’avons pas comme lui acquis le droit de divaguer aux dépens de patrons à coffre-fort et à la signature dorée, nous jette quelquefois le gant, et nous de le relever, mais c’est toujours en vain. C’est ainsi que nous nous sommes quelquefois écartés de la ligne industrielle que nous devions suivre pour répondre à d’odieuses imputations, à de basses calomnies dirigées contre ceux que nous avons mission de défendre. C’est ainsi qu’ayant répondu dans notre feuille à des accusations fausses parties du haut de là tribune nationale contre une immense population, accusations soutenues par un homme que le caractère dont il est revêtu eût dû rendre plus conséquent ; pour avoir répondu, disons-nous, et proclamé la vérité, le Courrier de Lyon nous attaqua avec cette urbanité qu’on lui connaît, nous annonçant que, retenu par son indignation, il se réservait plus tard de nous terrasser. Mais l’indignation de ces messieurs se dissipa avec la fumée du malvoisie, et nous en fûmes quittes pour des menaces.

Après, la même feuille voulant faire la police de la presse, mission que ses écrivains trouvent sans doute honorable, et à laquelle le peuple donne une épithète que nous taisons par bienséance, nous dénonça au fisc, parce que, disait-elle, nous devions payer un double [1.2]cautionnement, parlant aux ouvriers de leur travail, au pauvre de sa misère, en mettant en question les plus hauts points sociaux. Certes, si l’intention était mauvaise, le compliment était flatteur, et ici nous aurions tort de nous plaindre, d’autant plus que cet article n’était pas tout dirigé contre nous, puisque la feuille aux signatures dorées ravalait les honorables citoyens qui peuplent nos cafés jusqu’à les appeler gobe-mouches.

Enfin, dans son N° du 2 avril, il revient à la charge. Ce pauvre Courrier de Lyon veut absolument que nous ne parlions aux ouvriers que de battans et de navettes. Il justifie pleinement ce que nous avons dit dans notre avant-dernier N°, article intitulé l’un et l’autre : que l’industriel ne doit rien voir au-delà de son art, et qu’au riche seul appartient le droit de penser au-dehors de son magasin, de son comptoir ; voilà la logique du Courrier du Lyon.

Jugez combien nous devons être coupables aux yeux de ses patrons ! Dans notre Feuille, nous avons publié un article philosophique sur les prolétaires (ce sont ses propres expressions) ; mais ce n’est rien encore, nous avons osé comparer le sommeil du riche avec le sommeil du pauvre ! nous avons eu l’audace de placer le prolétaire sur un peu de paille, et là de lui faire oublier par des songes ses peines, ses ennuis et sa misère !… Oh! ceci provoque à la haine ; le Courrier, d’ailleurs, a soin de nous l’apprendre ; si, comme lui, nous avions dit : que de nos jours les ouvriers s’étaient promenés dans nos rues une navette d’une main et un fusil de l’autre, à la bonne heure ; si, comme lui, nous avions dit encore que les ouvriers d’aujourd’hui sont comme les hommes de 1793, qui dansaient la carmagnole coiffés d’un bonnet rouge et armés d’une pique ; voilà ce qui aurait été, selon le Courrier de Lyon, rétablir l’harmonie entre des hommes faits pour être toujours en contact.

Nous voulons, à ce que dit le Courrier, que les ouvriers [2.1]deviennent savans ; à quoi bon, un ouvrier ne doit rien savoir, pas même lire son livre de magasin ; car le pauvre seul peut se tromper ; mais le riche est et sera toujours infaillible. Enfin, voici notre plus grand crime, nous avons parlé des charivaris politiques ; et le Courrier de Lyon de crier houra ! à ceci, nous ne répondrons rien : comme ses coryphées sont quelquefois charivarisés, nous lui pardonnons son attaque, de crainte de le blesser dans ses sympathies.

Pour nous, nous croyons remplir notre tâche avec zèle ; nous croyons entretenir assez les ouvriers de leurs intérêts. Il est vrai que dans nos comparaisons nous ne sommes pas si heureux que le Courrier qui leur fait gagner dix francs par jour… Il nous avait déjà dit cela ; mais ses éternelles divagations nous apprirent le lendemain que c’était des ouvriers imprimeurs sur tissus dont il avait voulu parler. Aujourd’hui ce sont les ouvriers fabricans l’étoffe hernani qui gagnent cette somme ; attendons à demain…

On compte en ce moment à peu près cent métiers d’hernani ; sans doute, sur cette étoffe on peut gagner une assez bonne journée, si l’on appelle journée le travail fait les jours où le métier abonde de matière ; mais il n’est pas d’articles où l’ouvrier ait plus de temps à perdre, les matières étant très-rares. Ainsi, souvent un métier, après avoir travaillé huit jours, va rester couvert une semaine, et si, pendant le temps qu’il travaille, l’ouvrier gagne 6 francs par jour, ce qui est exagéré ; chômant ensuite une semaine, son bénéfice se réduit à 72 fr. par mois ; voilà ce que le Courrier ne dit pas, tout en avouant que cet un article exceptionnel.

Mais pourquoi le Courrier, qui se connaît si bien en fabrique, et qui exalte aujourd’hui l’heureux sort des ouvriers en soie, ne parle-t-il pas des articles unis où les ouvriers peuvent à peine gagner de 20 à 30 sous par jour ? que ne parle-t-il de l’article schalls, fléau des chefs d’ateliers et qui a causé leur ruine, les frais absorbant toujours au-delà des bénéfices ? Mais le Courrier de Lyon parle de la condition des soies ! il énumère les ballots qui en sont sortis ! Eh ! qu’importe aux ouvriers tout ce trafic de soies ! s’ils sont toujours dans le même état de détresse, si l’on n’augmente pas leur façon au point où ils puissent vivre et élever leurs familles ! Parler ainsi de la prospérité du commerce, tandis que l’ouvrier est toujours dans la même position ; c’est vraiment insulter à sa misère.

Le Courrier trouve que ne nous nous occupons pas assez de la spécialité de la fabrique ; nous prions, à notre tour, cette feuille de ne plus s’en occuper, parce que certes elle n’est pas là dans son élément ; c’est dans son intérêt que nous lui faisons cette prière ; car rien n’est plus propre à augmenter le ridicule dont elle est dotée. Enfin, qu’elle nous laisse en paix, qu’elle cesse ses attaques maladroites contre nous, et nous aurons plus de temps à consacrer à la classe qui nous intéresse, n’ayant plus à répondre à ses calomnies, à ses mille et une divagations.

Notes (LYON.)
1 L’auteur de ce texte est Antoine Vidal d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).

 

 

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