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8 avril 1832 - Numéro 24
 
 

 



 
 
    

administration du dispensaire de lyon.

Instruction sanitaire sur les épidémies.  

Des causes de perturbation générale terrestres et atmosphériques semblent de nos jours disposer les populations à des maladies épidémiques. Celles-ci sévissent en général dans les villes ou les habitans sont agglomérés dans des quartiers resserrés, mal construits et malpropres. Il importe d’éclairer la classe ouvrière, si nombreuse dans notre cité, sur les moyens propres à prévenir ces fléaux, ou à les rendre moins meurtriers. Les mesures d’hygiène publique étant du ressort de l’autorité, nous nous bornerons à quelques conseils de salubrité individuelle.

On a remarqué que les personnes douées d’un caractère ferme et sans peur, sont rarement atteintes des maladies épidémiques ; celles qui se livrent avec calme au service des malades, en sont presque toujours exemptes. Il ne faut donc pas se laisser effrayer par des noms ou par des rapports évidemment exagérés. Chacun peut se livrer avec sécurité aux plus douces affections dans les soins à donner aux membres de sa famille ou à ses amis, en prenant d’ailleurs les précautions hygiéniques dont nul ne peut se dispenser impunément. La peur affaiblit la constitution en général et l’empêche de réagir avec force contre les causes de maladies. La colère produit des secousses funestes ; la débauche, les excès de tous les genres, les passions tristes, les veilles prolongées, un affaiblissement physique et moral favorisent les épidémies. Les passions douces et bienfaisantes, un repos de plusieurs heures pendant le jour, un exercice modéré, quand la saison et les occupations le permettent, un sommeil de six à sept heures favorisent au contraire les fonctions des organes, et entretiennent la santé.

Une alimentation saine et suffisante est d’une extrême importance. Autant que possible, ou unira un peu de viande aux substances végétales ; on rejètera celle qui sera altérée ou trop grasse, ou qui proviendra d’animaux trop jeunes. On choisera le poisson bien frais et les fruits bien mûrs, dans leur saison ; on les mangera en petite quantité ; on s’abstiendra des salaisons, et surtout de celles qui sont trop vieilles, ou préparées avec des substances nuisibles, comme l’alun, etc. Dans le cas ou l’épidémie viendrait à se déclarer, il faudrait aussi s’abstenir soigneusement des alimens indigestes ou très-aqueux, comme pâtisseries, choux, melon, radis, salade, etc., manger peu de farineux, à l’exception du pain et des pommes de terre, et faire prédominer le régime animal. Chacun doit se priver des substances qu’il digère mal.

Les alimens seront cuits convenablement, peu épicés et pris en quantité modérée ; les repas seront réglés. On boira modérément du vin de bonne qualité, peu acide et non frelaté, ou les boissons fermentées, dont les recettes seront délivrées à la pharmacie du dispensaire.

Les glaces en été et les boissons froides sont dangereuses quand on a chaud.

Parmi les eaux du voisinage, on choisira celle qui dissoudra mieux le savon, ou qui cuira le mieux les légumes. On rejètera celles qui reçoivent les filtrations des fausses d’aisance ou des canaux conducteurs des immondices : des eaux de ce genre ont souvent produit des vomissemens et des diarrhées d’une grande violence. A défaut de bonnes eaux, on filtrera sur du sable, du charbon ou des pierres de grès, celles qui ont mauvais goût ou mauvaise odeur ; on fera bouillir celles qui contiennent des sels de chaux et qu’on appelle crues. Les liqueurs spiritueuses [4.2]sont essentiellement nuisibles : on ne peut en abuser sous peine de la vie.

La propreté est encore une des conditions indispensables. On ne saurait trop blâmer l’insouciance de la classe ouvrière sous ce rapport. On entretiendra la propreté du corps par des bains domestiques de peu de durée, des bains aromatiques et des lotions fréquentes d’eau chaude, simple ou vinaigrée ; les vêtemens qui touchent la peau seront fréquemment lavés et renouvelés ; les chaussures seront chaudes et sèches, comme sabots, chaussons de laine. On fera des frictions sur la peau avec une flanelle imprégnée de vapeurs camphrées, d’eau de Cologne et autres liqueurs spiritueuses ou aromatiques. On se lavera la bouche avec une dissolution de 2 grains de chlorure de chaux dans une once d’eau pure. Tous les mélanges de substances végétales et animales avec le chlore sont de mauvaises préparations ; elles le font passer à l’état d’acide hydro-chlorique, et sont promptement détériorées par lui. Exemple : le mélange de chlore, d’esprit-de-vin et de quelque essence, l’huile de Cajeput chlorurée.

On ne laissera dans les cours, corridors ou allées rien qui puisse se pourrir, comme débris de végétaux, eau de lavage, etc. ; on se défera de tous les animaux domestiques inutiles, et l’on enlèvera promptement les ordures de ceux que l’on conservera ; les vases de nuits seront vidés de bonne heure et lavés ; les lieux d’aisance doivent surtout appeler l’attention des habitans. Dans les maisons ou un seul cabinet sert à plusieurs ménages, chacun à son tour doit être chargé d’y entretenir la propreté. La lunette sera tenue exactement fermée. Les propriétaires seront priés de faire les réparations les plus urgentes qui tiennent à la salubrité.

L’habitation des lieux bas et humides est très-pernicieuse ; il faut choisir de préférence une habitation élevée, sèche et qui puisse recevoir les rayons du soleil, au moins pendant quelques heures de la journée. On lavera les vitres ; on renouvellera l’air des appartemens en ouvrant les croisées plusieurs fois par jour ; les feux de cheminée ou de poêle sont aussi de bons moyens d’assainissement. On enlèvera l’humidité des appartemens en y plaçant du muriate de chaux desséché. Une demi-livre de ce sel, divisé dans des vases à large surface, absorbera, pour se fondre, une livre d’eau, quantité supérieure à celle contenue dans plusieurs chambres de moyenne grandeur.i

L’humidité des murs ne peut être empêchée que par des lames de plomb ou des enduits hydrofuges.

On détruira les mauvaises odeurs et les miasmes par les chlorures. Le chlorure de chaux sec est préférable ; son bas prix le met à la portée de tous les consommateurs. En le plaçant par petites fractions dans plusieurs points de l’appartement, la chaux absorbera l’acide carbonique formé par la combustion et dégagé par la respiration, et laissera échapper le chlore par un dégagement lent, continu, peu sensible à l’odorat et plus efficace. On se servira de sa dissolution dans l’eau pour désinfecter les vases de nuit, les lieux d’avance et les autres objets infectés.

Les fumigations de sucre brûlé, de genièvre, ne font que masquer la mauvaise odeur ; les fumigations nitreuses [5.1]et sulfureuses la détruisent, mais elles sont trop irritantes.

Les flacons à la Guyton de Morveau sont très-défectueux ; ils laissent dégager du chlore mêlé d’acide hydro-chlorique et de gaz nitreux, selon leur composition ; ils irritent la gorge et la poitrine.

Des médecins expérimentés et d’autres bons observateurs attestent que les cautères, les setons, les plaies, les maladies de la peau, ont préservé généralement des épidémies, dans des circonstances et des localités diverses, les personnes qui les portaient.

On a sagement recommandé d’entretenir la chaleur à la région de l’estomac, en le recouvrant d’une flanelle ; mais soit que l’on considère les épidémies comme causées par des miasmes putrides ou contagieux, soit que l’on regarde, avec quelques médecins recommandables, certaines d’entre elles comme dépendant d’une cause électromagnétique, il vaudrait mieux porter des ceintures de flanelle, recouvertes en dehors avec de la soie ; elles se chargeraient moins de miasmes putrides, et deviendraient de mauvais conducteurs de l’électricité. Des ceintures et des vêtemens de soie ne sauraient donc être trop recommandés à la classe aisée.

En résumé, les préceptes sont simples : esprit calme, bonne alimentation, tempérance, propreté, habitation saine, exercice modéré, repos et sommeil suffisans ; telles sont les conditions les plus propres à se préserver des influences épidémiques.

Signé : Les Membres du Comité médical.

L’administration du dispensaire a adopté la présente instruction, et en a voté la publication dans sa séance du 29 décembre 1831.

Lyon , le 3 avril 1832.

Les Administrateurs membres du bureau.

 

 

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