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15 avril 1832 - Numéro 25
 
 

 



 
 
    
LYON.1

Lorsqu’après les déplorables événemens de novembre nous fûmes amenés par les circonstances à faire notre profession de foi, nous la fîmes avec franchise et loyauté, parce que nous ne voulions pas laisser planer sur nous les soupçons odieux d’être les ennemis du trône de juillet et des institutions qui nous régissent ; nous ne voulions pas non plus qu’on nous prît pour des fauteurs d’émeutes, nos intentions étant pures, et nous montrâmes alors la route que nous nous proposions de suivre. Notre Feuille, consacrée à la défense de la classe industrielle, a dû s’élever avec force contre tous les abus tendant à écraser les travailleurs ; nous avons dû mépriser les petites haines de l’amour-prope blessé, et frapper de notre fouet tout ce qui ne se montre pas digne du grand siècle où nous vivons et de cette patrie qui est la première nation du monde. Nous avons enfin dû vouer au mépris des gens de bien, ce petit nombre d’hommes avides et sans pitié pour qui l’artisan n’est qu’un instrument dont ils se servent pour arriver à la fortune, ne se rappelant plus qu’eux-mêmes sont sortis de cette classe prolétaire qu’ils tyrannisent aujourd’hui.

Cependant, si dans notre profession de foi, nous avons dit que notre Feuille serait le journal du peuple ; et, certes, l’Echo de la Fabrique peut se flatter de n’avoir point dérogé de ses principes ; nous avons dit aussi que nos louanges ne seraient point exclusives, et que tout vertueux citoyen qui ferait quelqu’acte en faveur des [1.2]artisans, trouverait en nous des organes dévoués toujours prêts à publier une bonne action. C’est ainsi que des honorables fabricans nous ayant fait parvenir leurs dons pour les ouvriers malheureux, nous nous sommes empressés de l’annoncer, n’ayant qu’un seul regret, celui de ne pouvoir publier leurs noms pour les offrir aux bénédictions d’une classe malheureuse sans doute, mais douée d’une profonde sensibilité.

Aujourd’hui notre tâche est bien facile, nous disons bien facile parce que nos cœurs sont mus par un sentiment de vénération, quand nous voyons des écrivains s’associer à nous pour le bien des prolétaires, dont nous sommes les organes fidèles.

Nous allons prouver à ceux qui ne voient dans notre Feuille qu’un journal hostile, qu’ils n’ont jamais connu toute notre impartialité. Le Courrier de Lyon qui, lui-même, nous a assez maltraités sous les rapports d’ordre et de paix, s’est trompé aussi sur notre caractère, et ses attaques contre nous n’ont été que le fruit de l’erreur ; nous lui avons répondu avec fermeté, parce que, dans ses articles, le pauvre était toujours le pauvre, c’est-à-dire un homme incapable, qui ne devait que travailler et manger un morceau de pain !… Aujourd’hui, le Courrier revient à des sentimens mieux en harmonie avec notre siècle, et nous l’en félicitons. Son article intitulé : de l’importance de la nomination des prud’hommes, doit avoir été lu avec plaisir par tous les hommes généreux qui pensent que les ouvriers et les fabricans sont égaux, qu’ils se doivent de mutuels égards, et que de leur union dépendent le bonheur et la prospérité de notre ville manufacturière. Nous en allons extraire quelques passages, car nous croyons que les électeurs chefs d’ateliers peuvent prendre pour eux ce que le Courrier de Lyon adresse aux fabricans. Voici comment s’exprime cette feuille :

« Nous convenons que la nomination des membres qui représentaient les ouvriers au sein du conseil était [2.1]tout-à-fait ridicule et fautive. Le mode actuel est plus rationnel, et nous nous félicitons de son adoption. La classe ouvrière, dans la personne de ses élus, se trouvera, pour la première fois, en communication directe et officielle avec le corps des fabricans. Bien des préventions s’évanouiront par suite de ce contact ; l’on reconnaîtra enfin que l’intérêt des ouvriers est parfaitement identique avec celui des fabricans, et qu’un mal quelconque ne saurait frapper les uns sans atteindre les autres. Ainsi disparaîtra cette erreur populaire, malheureusement trop accréditée, qui faisait considérer ces deux classes d’industriels comme naturellement ennemies l’une de l’autre.

« Nous ne saurions trop recommander à MM. les fabricans de s’occuper de l’importante nomination qu’ils ont à faire le 11 avril, et de fixer leur choix sur des hommes fermes et éclairés. Le conseil des prud’hommes aura plus d’une fois à stipuler avec l’administration locale et le gouvernement de l’état ; il faut le constituer de manière qu’il porte sa voix haut et loin. Les représentans d’une classe d’industriels qui produisent annuellement pour 90 millions de francs, doivent être, dans l’organisation actuelle de la société, une véritable puissance.

La force qu’ils tirent de leur mandat doit leur donner une autorité sans rivale, et leur activité doit suppléer à l’inertie des membres de certains autres corps dont l’origine est différente.

L’industrie lyonnaise attend plusieurs améliorations notables du nouveau conseil.

Par exemple, depuis six ans au moins des vices nombreux sont reconnus dans le mode de dessication, pratiqué dans l’établissement de la Condition publique des soies. Il y a plus d’un an qu’une commission nommée par la chambre de commerce a dû examiner trois nouveaux modes proposés, l’un par M. Talabot, l’autre par M. Félissen, directeur de la Condition ; le troisième par M. Andrieux. Si nous sommes bien informés, le premier seul a subi un examen approfondi, et cependant depuis que les divers appareils d’essais ont été préparés par leurs auteurs, ce n’est pas la bonne volonté de ces derniers qui a manqué, encore moins pourrait-on dire que c’est le temps.

D’autre part, la loi qui a institué le conseil des prud’hommes, lui a confié le soin de faire faire tous les ans un recensement général du nombre des métiers occupés à la fabrication des étoffes de soie ; ce qui n’empêche pas que dans ce moment l’administration et les fabricans eux-mêmes ne soient, à cet égard, dans une ignorance profonde. Il serait cependant fort important d’avoir sur un semblable sujet des données certaines. Qui pourrait croire que les évaluations varient de 20 à 40 mille ?

Le nouveau conseil comprendra, nous n’en doutons pas, toute l’importance de sa mission, et il l’accomplira convenablement. Dire que par ses attributions judiciaires et consultatives, il aura la plus grande influence sur les destinées de notre fabrique, c’est dire qu’il aura une influence pareille sur celles de notre ville.

Voilà pourquoi nous faisons, dans l’intérêt de sa composition, un appel à tous les fabricans appelés à participer à l’élection du 11 avril. Il faut espérer que, grâce au concours du plus grand nombre possible d entre eux, l’industrie lyonnaise de la fabrication des soieries aura tout à la fois des juges éclairés et des représentans dignes d’elle. »

Nous n’ajouterons rien à ce raisonnement plein de [2.2]sens. Nous souhaitons que le Courrier de Lyon parle toujours ainsi, et nous lui en saurons gré ; car ce ne sont pas des discussions violentes que nous voulons, mais seulement le bonheur de la classe qui nous intéresse et à laquelle nous serons toujours dévoués.

Notes (LYON.)
1 L’auteur de ce texte est Antoine Vidal d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).

 

 

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