Retour à l'accueil
6 mai 1832 - Numéro 28
 
 

 



 
 
    
AU RÉDACTEUR.

[5.2]Monsieur,

Je suis étranger et prolétaire. A mon arrivée en France, on m?a dit que l?égalité devant la loi était un principe reconnu et écrit dans le droit public des Français ; on m?a dit que les lois de police obligeaient même les étrangers ; mais qu?en s?y conformant, ceux-ci avaient le même droit à la protection de la loi que les régnicoles eux-mêmes. Cependant je viens d?être victime d?un acte arbitraire, odieux, et comme il n?a aucun rapport à la politique, j?espère que vous voudrez bien accueillir ma juste plainte, pour qu?elle parvienne à l?autorité et me procure les défenseurs naturels dont j?ai besoin pour attaquer et poursuivre le fonctionnaire qui a violé en moi le principe de la liberté individuelle, applicable à moi comme à tous les autres habitans, puisque je me suis conformé aux lois de police.

Je suis entré le 22 septembre 1829 chez M. Marion, tanneur à Vaise, en qualité d?homme de peine, chargé de recevoir les cuirs des bouchers et de tenir écriture de ladite réception sur le carnet du boucher et sur le mien. Il paraît que, le 28 mars dernier, une erreur de 55 kil. a été commise au préjudice de M. Marion, sur le compte de M. Gayetton, boucher, rue Tholozan. J?ai dit il paraît, car je n?ai pas eu la faculté de vérifier, et cette vérification ne peut d?ailleurs être faite qu?en commun et d?une manière calme. Je conçois bien que M. Marion, mal à propos prévenu contre moi, eût pu me renvoyer de son service ; je conçois encore qu?il eût voulu porter son omnipotence jusqu?à me retenir le montant du préjudice à lui causé sur mes gages, sauf à la justice à en décider ; mais ce que je ne conçois pas, c?est que j?ai été appelé, le 26 avril dernier, chez M. le commissaire de police de l?arrondissement, et que là j?ai été arrêté sur la simple dénonciation du sieur Marion. Il me semble qu?en bonne justice il aurait fallu aussi arrêter M. Gayetton, mon prétendu complice, et dès-lors inutile d?avoir des tribunaux. Lorsqu?un négociant, par exemple, aurait à se plaindre d?une erreur commise à son préjudice par un autre négociant, il le ferait arrêter de suite par le commissaire de police, ce serait au plus diligent. Est-ce que par hasard il y aurait une jurisprudence pour les négocians et une autre pour les ouvriers ; une pour les hommes riches, une pour les pauvres ? Mais, ce qui me paraît encore plus fort, c?est que sans aucun mandat d?arrêt j?ai été retenu en prison depuis ledit jour 26 avril, 4 heures du soir, jusqu?au samedi à 7 heures.

Mon intention est de porter plainte contre le commissaire de police et M. Marion ; mais, en attendant, je crois devoir en appeler par la presse à l?opinion publique ; car si elle sanctionnait un pareil abus de pouvoir, si au lieu d?être un abus, c?était une chose licite, je préférerais retourner dans les montagnes de mon pays, vivre sous les lois d?un monarque absolu.

Qu?on ne s?étonne pas de l?amertume de ma plainte ; indépendamment de la privation de ma liberté, on a porté atteinte à mon honneur, sans réfléchir que ma probité est mon seul bien ; mais j?espère que le public sera moins prompt à se passionner et à juger un malheureux que le commissaire de police de Vaise, auquel j?ai vainement montré les certificats honorables que m?ont délivré M. Jausen, officier supérieur du roi de Danemarck, et M. le maréchal pair de France Maison, au service desquels j?ai été en Morée, certificats dont je suis porteur, et que je peux montrer à tous ceux qui voudront en prendre connaissance.

J?ai l?honneur, etc.

J. M. Gaide-Chevrounai.

 

 

Contrat Creative Commons

LODEL : Logiciel d'édition électronique