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30 octobre 1831 - Numéro 1
 
 

 



 
 
    
VINGT-CINQ OCTOBRE 18311.

[1.1]Ce fut le 8 octobre qu'une commission improvisée des chefs d'ateliers et des ouvriers commença ses opérations. La réunion du 10 ne fut qu'une séance préparatoire, dans laquelle on maintint la formation du bureau, composé d'un président, d'un secrétaire et de quatre membres, qui avaient été élus le 8. Les commissaires de chaque quartier, réunis, le 13, au nombre de 80, nommèrent, par la voie du scrutin, un président, un vice-président et quatre secrétaires, qui déclarèrent la commission constituée. Une commission de quatre membres, prise dans son sein, fut chargée, le 14, de la rédaction et de la présentation de l'adresse à M. le préfet, en même temps que vingt-deux commissaires s'occupèrent, pour les divers genres de fabrication, divisés en huit parties, de la fixation d'un tarif au minimum, du prix des façons, en prenant pour base le mille de fils à la chaîne, la réduction des peignes et le mille de coups de trame. Le 16, les différentes rédactions d'adresse furent lues en assemblée générale, et la majorité se prononça en faveur de celle faite par M. Bernard, et présentée à M. le préfet par le président, à la tête de la députation. M. le préfet les accueillit avec une bonté toute paternelle. Il leur assura qu'il n'ignorait point la trop grande misère qui pesait sur la classe ouvrière, mais qu'il ferait tout ce qui serait en son pouvoir pour en améliorer le sort ; qu'il les convoquerait le plus tôt possible pour discuter, contradictoirement avec MM. les négocians, la base et la fixation du tarif.

Cette première réunion eut lieu le 21. Elle fut présidée par M. le préfet, assisté des maires de Lyon2, de la Croix-Rousse, de Vaise et de la Guillotière, de la chambre du commerce3 et de quelques membres du conseil des prud'hommes. Sur l’observation de MM. les négocians présens, qu'ils n'avaient aucun mandat pour traiter avec la commission des ouvriers, [1.2]M. le préfet fit remarquer que les tarifs antérieurs4 avaient été consentis par un nombre bien inférieur. Les délégués des ouvriers répondirent unanimement que leur travail était fait, qu'ils avaient reçu un mandat spécial de leurs commettans pour ne traiter qu'avec des chefs de commerce, munis des mêmes pouvoirs. Tous sentirent la justesse de ce raisonnement, et M. le préfet annonça qu'une convocation de MM. les négocians aurait lieu dans le plus bref délai, à l'effet de nommer leurs délégués ; ce qui fut fait le 24.

Le 25, à onze heures du matin, eut lieu cette imposante réunion des deux commissions, qui devait décider du sort de près de 80,000 ouvriers, dont l'existence se rattache à la fabrication des étoffes de soie. La séance fut ouverte par un discours de M. le préfet sur l'urgence du tarif sollicité, et le bien qui devait en résulter.

Le discours terminé, les commissions se divisèrent par catégories d'articles, et après des débats continus pendant quatre heures, les tableaux faits et présentés par la commission des ouvriers, furent signés par elle, et celle de MM. les négocians, à la satisfaction générale.

La séance levée, la multitude fut introduite dans la cour de la préfecture ; M. le préfet, en costume, s'avança au milieu d'elle et lui adressa quelques paroles de félicitation sur l'ordre et la tranquillité qui avaient présidé à toutes ses réunions, en l'invitant à maintenir une conduite jusque-là exempte de reproches. Ce digne magistrat fut souvent interrompu par les cris mille fois répétés de vive M. le préfet, vive notre père ! L'enthousiasme alors fut à son comble, des larmes d'attendrissement coulèrent sur tous les visages. Cette époque, on peut le dire avec raison, sera une des plus belles inscrites aux fastes de notre ville, et le nom de Du Molart, devenu à jamais célèbre, sera légué à la postérité. (Suit le Tarif.)

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[6.1]Ce tarif au minimum, exécutoire le 1er novembre, ne sera donc pas applicable aux pièces, coupes, écharpes, mouchoirs, châles, fichus, etc., qui, commencés avant cette époque, se rendront après. Mais pour tout ce qui sera livré passé le 1er novembre, le tarif recevra sa pleine et entière exécution, et nul négociant ne pourra sous aucun prétexte y déroger sans se vouer à l’animadversion générale de ses concitoyens.

Nous pouvons assurer aujourd'hui que les premières maisons de commerce ont donné l'impulsion du bon exemple, et que les pièces délivrées jeudi, vendredi et samedi, ont été portées au prix du minimum. Quelques-uns seulement ont menacé de la fermeture de leur magasin, pour forcer l’ou[6.2]vrier à leur faire quelque concession ; mais qu'ils y réfléchissent à deux fois, parce qu'ils pourraient bien les tenir fermés plus long-temps qu'ils ne le voudraient.

Les chefs d'ateliers, pénétrés de cet axiome que l'union fait la force, viennent de former une association générale et mutuelle de secours pour parer aux besoins de ceux qui manqueraient d'ouvrage, par l'égoïste spéculation de certains chefs de fabrique, ou qui ne pourraient travailler pour cause de maladies graves, ou de malheurs imprévus et de force majeure.

La rétribution pour faire partie de l'association, est fixée à 25 c. par métier ; rétribution si minime, que déjà plusieurs ont volontairement souscrit pour le double ; d'autres [7.1]ont proposé de se faire inscrire pour 5, 10, 15, et même 20 francs. Des propriétaires et des personnes de différentes professions, désirant également concourir à cette oeuvre de philantropie, nous ont déjà fait parvenir leurs dons

Les secours seront répartis aux assemblées par quartier qui en disposeront à la majorité des suffrages ; et si les sommes reversées excédaient les besoins, le surplus serait placé à la banque de prêt que M. le préfet se propose d'établir.

Notes (VINGT-CINQ OCTOBRE 1831.)
1 D’après la Table de L’Echo de la Fabrique, (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832) Joachim Falconnet était l’auteur de ce texte. Cette Table a été dressée par Marius Chastaing qui, Antoine Vidal étant gravement malade (il décédera le 3 août 1832), fera office de rédacteur en chef dès le mois de juillet 1832. Il sera confirmé dans ses fonctions lors de l’assemblée du 3 septembre 1832.
2 Médecin, favorable aux idées bonapartistes (il participe à certaines campagnes napoléoniennes), Clément-Victor-François-Gabriel Prunelle vient à Lyon à la suite de sa révocation de la chaire d’histoire de la médecine et de la médecine légale à l’école de médecine de Montpellier en 1819. Il sympathise avec les thèses de l’opposition constitutionnelle (Destutt de Tracy) affirmant alors son libéralisme et une opposition modérée aux Bourbons et il fonde avec Jean-François Terme (son futur premier adjoint à la Mairie de Lyon) Le Précurseur, journal constitutionnel de Lyon et du Midi.
Il devient Maire de Lyon à la suite de la Révolution de Juillet et occupe cette fonction jusqu’à sa démission le 8 mai 1835. A l’origine de quelques belles réalisations durant sa mandature (notamment l’éclairage au gaz hydrogène de la ville), ses absences répétées à la mairie, notamment lors des insurrections de 1831 et 1834 alors que les signes avant-coureurs se multipliaient, ne laissent pas d’étonner. Il se montra au cours de ces derniers évènements relativement intransigeant. Référence : « Clément-Victor-François-Gabriel Prunelle. Le contesté »,
in : B. Benoit, R. Curtet, R. Giri, M. Moissonnier, A. Mure, J. Prevosto, R. Saussac, 24 maires de Lyon pour deux siècles d’histoire, Editions LUGD, 1994, p. 107-117.
3 Créée en juillet 1702 sous Louis XIV, la Chambre de Commerce de Lyon avait été supprimée en 1791, en vertu de la loi Le Chapelier. Rétablie en décembre 1802, elle était au début des années 1830 composée de 15 membres. Référence, Lucien Jeanmichel, La Chambre de Commerce et d’Industrie de Lyon de ses origines à nos jours, Lyon, CCIL, 1990.
4 Référence ici aux nombreux arrêts promulgués précédemment à Lyon. En 1817 les revendications des chapeliers conduirent à l’établissement d’un tarif reconnu par le comte de Fargues, alors maire de Lyon. Les fabricants d’étoffe de soie obtinrent de leur côté, début 1818, que les tarifs antérieurs de 1807 (sur les unis) et de 1811 (sur les façonnés) soient remis en vigueur. En 1818-1819 encore, les coalitions et grèves des boulangers et des tullistes conduirent également à la promulgation d’un tarif. Le préfet Bouvier-Dumolart faisait principalement référence aux tarifs promulgués sous l’Empire, ceux de 1807 et 1811.

 

 

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