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4 décembre 1831 - Numéro 6
 
 



 
 
     

[1.1]Les personnes dont l'abonnement est expiré depuis le 1er décembre, sont invitées à venir le renouveler pour ne point éprouver de retard dans l'envoi du Journal.

AVIS.

Nous prévenons nos Abonnés, ainsi que toutes les personnes qui auraient quelques indications à nous donner, que le Bureau du Journal de l'Echo de la Fabrique sera, à dater du mardi 29 novembre, sur la place de la Boucherie des Terreaux à l'angle de la rue Lanterne n°7, au 2e étage.

LYON1.

Trop de malheurs ont désolé notre cité, notre mission n’est point de les aggraver par des accusations. Malheur à ceux qui, pour servir leur cause, exhument la cendre des tombeaux, et surtout de ceux recouverts d'une terre fraîchement remuée ! Nous l'avons déjà dit, nos larmes ne sont point exclusives. Eh ! pourquoi s'agenouillerait-on sur un seul tertre, tandis qu'à côté reposent les restes d'un citoyen victime de son courage et de son erreur ?… Puisqu'un long duel a eu lieu entre la fortune et la misère, puisqu'enfin ce terrible duel est terminé, jetons un voile sur ces jours de calamités, sur ces jours où l'homme frappé par la balle de son concitoyen semblait [1.2]n'avoir qu'un seul regret, celui de ne point mourir pour sa patrie et pour le Roi-citoyen, objets de ses dernières pensées.

Pour nous, dévoués aux intérêts de la classe ouvrière, nous ne dévierons point de notre route ; nous serons toujours les défenseurs zélés de cette partie intéressante de notre population, car nous connaissons les sentimens dont elle est animée. Nous lui dirons, aujourd'hui que la paix renaît dans cette malheureuse cité, que les angoisses de la misère, que vos amis décimés, que vos familles en deuil, que le souvenir de tant d'affreux momens n'abattent point vos ames, quand sur cette rive désolée paraît le Prince2 en qui nous mettons toute notre espérance, le Prince qui doit un jour régner sur nous, et qui a déjà appris à l'étranger qu'il serait le premier à voler aux combats si la patrie était menacée.

Nous ne les engagerons point à prendre leurs habits de fête, par respect pour le crêpe qui couvre leurs chapeaux, mais nous leur dirons : Pressez-vous sur son passage ; que dans vos traits il lise l'amour que vous avez pour lui, amour qui ne finira que quand vos cœurs auront cessé de battre.

Ouvriers de Lyon ! pourquoi faut-il qu'on vous aient calomniés ? N'aviez-vous pas assez de vos malheurs sans être désignés comme les instrumens des factieux de toutes les couleurs ? Quelles odieuses imputations ! lorsqu'on vous a montrés à vos frères des départemens, arborant une couleur souillée par la plus lâche trahison et l'assassinat de vos frères de Paris … lorsqu'on vous a montrés comme servant une dynastie ramenée deux fois par les baïonnettes étrangères, séparée enfin de nous par une barrière de cadavres, et qui trouve à peine chez l’étranger [2.1]la pitié qu'on doit aux exilés. Ouvriers de Lyon ! hommes de juillet ! Français dévoués au Roi-citoyen qui a rendu à la patrie la gloire dont nos pères l'avaient dotée ! n’êtes-vous pas les mêmes hommes qui, à une époque plus heureuse, accouraient sur les pas de ce Prince digne héritier du trône, de ce Prince qui, jeune comme vous et brûlant d'amour pour cette France adorée, saura, un jour, l'élever au plus haut période de la gloire ? N’êtes-vous pas ces mêmes hommes qui faisaient retentir les airs de leurs cris d'alégresse, et auxquels le duc d'Orléans daignait presser la main ? N'êtes-vous pas, enfin, ces mêmes hommes qui ont juré de s'ensevelir dans les plis du drapeau que son auguste Père nous a rendu ? Ouvriers de Lyon ! la vérité exerça toujours son empire sur son cœur généreux. Déjà, n'en doutez point, il vous rend la justice que vous méritez ; c'est du milieu de cette population qui le chérit, qu'il jugera de votre patriotisme et de votre attachement à son auguste famille objet de votre vénération.

Ouvriers, nos amis, nos frères ! oubliez vos malheurs ! que la présence du Prince, qui vient rendre le calme à cette cité désolée, fasse disparaître toutes les haines ; que les citoyens prennent tous pour devise : Oubli du passé ! que la confiance renaisse entre les hommes séparés un moment par l'intérêt ; que le riche pense que le pauvre est son semblable, qu'il ne doit point l'humilier ; et que tous, ne formant qu'une seule famille, nous nous fassions oublier mutuellement ces jours de détresse et de deuil. Que le Prince, après avoir porté la paix parmi nous, puisse déposer au pied du trône de notre auguste Monarque le témoignage de notre amour et de notre fidélité ; qu'il dise au Roi-citoyen, au père des Français, que nous jurons tous de nous ranger au premier signal auprès de son digne fils, et de vaincre ou de mourir pour le Roi, la patrie et la liberté.

Toutes les feuilles publiques des départemens circonvoisins ont donné aux malheureux événemens de Lyon une couleur politique, capable de soulever la France entière contre la seconde ville du royaume1 ; il nous importe donc de les désabuser. Pour atteindre notre but nous sommes forcés d'entrer sommairement dans quelques détails affligeans, mais notre intention n'est nullement de réveiller des haines éteintes ou des passions entièrement comprimées. Voici les faits qui ont précédé et suivi les scènes douloureuses dont notre ville a été le théâtre : Tout le monde se rappelle que l'année dernière, à pareille époque, cette cité protesta de son dévoûment inaltérable et sans bornes à la dynastie de juillet, pour l'élévation de laquelle la classe industrielle, la même qui réclame aujourd'hui du travail et du pain, avait versé son sang et sacrifié sa vie ; tout le monde sait aussi que depuis plusieurs années elle languit dans une affreuse misère ; que la plupart de messieurs les négocians, forts de leurs trésors, fruit des sueurs et des veilles de leurs malheureux vassaux ; forts aussi de cette espèce de sanction que le pouvoir semblait donner à leurs actes égoïstes et inhumains par un silence toujours prolongé, diminuaient progressivement le prix des façons en augmentant l'embarras et les peines de la main-d'œuvre ; que non-contens de mettre par là l'ouvrier dans l'impossibilité de pouvoir vivre, lui et sa nombreuse famille, ils l'abreuvaient encore chaque jour d'injures et d’humiliations, bien plus, y ajoutaient des menaces et à main armée, en lui donnant d'un ton d'arrogance et de dédain l'ouvrage vingt fois sollicité et vingt fois refusé. [2.2]Le dirai-je sans frémir ! quelques-uns, et le nombre en est malheureusement trop grand, ne rougissaient pas de faire gagner à l'ouvrier 1 fr. 50 cent. par jour, lorsque pour confectionner l'ouvrage, il était obligé de dépenser 2 fr. ou 2. fr. cinquante.

Un remède efficace, un remède prompt devait être apporté à tant d'infortunes. On se rappella qu'à des époques antérieures de disette et de malheurs, des tarifs avaient été arrêtés par les négocians de concert avec des ouvriers recommandables ; que ces tarifs avaient reçu la sanction des divers gouvernemens qui s'étaient succédés. On pensa donc trouver là l'arche de salut, et les ouvriers avisèrent au moyen de l'obtenir. Les plaintes fondées de la classe industrielle, et la voie proposée pour arriver à un état plus prospère, fut présentée à l'autorité du département qui, ne voyant dans une telle démarche qu'un remède à de grands maux, convoqua une assemblée des négocians pour les inviter à choisir entre eux un nombre de délégués qui auraient à fixer les bases d'un tarif au minimum du prix des façons contradictoirement avec un nombre égal des délégués des chefs d'ateliers et ouvriers de la ville et des faubourgs. Le 25 octobre fut le jour désigné pour cette double réunion, de laquelle devait dépendre ou la ruine totale de 80,000 individus dont l'existence se rattache à la fabrique des étoffes de soie, ou le désappointement de quelques centaines de chefs de commerce, dont l’amour-propre et l'arrogante fierté allaient éprouver une blessure presque mortelle. Le tarif, après avoir été librement débattu et consenti entre les deux parties et signé par elles sous la présidence de M. le Préfet, assisté des Maires de la ville et des faubourgs, de la chambre de commerce et du conseil des prud'hommes, fut enfin signé et approuvé des autorités ; et sa mise à exécution fut fixée à dater du 1er novembre.

Cette transaction communiquée aux ouvriers par leurs délégués, répandit la joie dans tous les cœurs, et chacun se disait : Les prix sont bien minimes, mais du moins si nous ne mangeons que du pain, avons-nous l'assurance qu'on ne nous l'ôtera pas par des diminutions journalières, dictées par la cupidité ou le caprice. Le premier novembre était donc attendu avec impatience ; mais qui le croirait ? ce jour destiné à répandre un baume salutaire sur tant de plaies envenimées, presque incurables, ce jour donna la mort à la majeure partie de notre immense population. Espérance éphémère ! rayon d'un soleil que de noirs nuages allaient obscurcir !… Le tarif, adopté, signé, est méconnu et désavoué par les commerçans signataires. Alors à qui recourir ? à qui se vouer ?… Les malheureux ouvriers dans les magasins sont regardés comme des criminels qui ont signé leur condamnation, et au lieu d'ouvrage, on les accable d'injures, de sarcasmes, d'humiliations ; on les traite de canaille, et on ajoute à des propos que la bienséance et la décence ne permettent pas de rapporter, ces menaces dignes des Cannibales : « Vous avez fait un tarif, vous n'aurez point d'ouvrage ; et si vous voulez de l'argent, nous vous en fournirons au bout de la baïonnette. » Dans quelques maisons de commerce on est allé même jusqu'à présenter le pistolet aux ouvriers sollicitant de l'ouvrage… Nous passerons sous silence mille autres faits de ce genre et plus atroces et plus barbares ; les fraudes énormes dont ont fait usage plusieurs négocians pour éluder le tarif ; leur mémoire diffamant et calomnieux adressé au gouvernement (voir l’Echo de la fabrique du 6 novembre) ; la mort d'un garçon de peine d'une maison de commerce transformée en arsenal, dont la seule cause fut l'appareil sinistre dirigé contre les ouvriers ; [3.1]celle non moins frappante de sa sœur, décédée le même jour à cette triste nouvelle, etc, etc.

Les ouvriers voyant tous leurs efforts infructueux pour se tirer de l'abîme de misères où ils étaient plongés, tentèrent un second et dernier moyen. Après s'être concertés, ils décidèrent de faire suspendre pendant huit jours au plus tous les métiers travaillant, espérant par là ramener cette fraction de négocians tenaces, à des idées plus philantropiques et plus généreuses. Vaine illusion ! Prévenus de cette mesure, ces messieurs firent commander de service pour le lendemain, la 1re légion de la garde nationale dont ils forment la majeure partie, quoique ce fût au tour de la troisième ; toute la garnison demandée à M. le lieutenant-général Roguet, excitée par eux, fut mise sous les armes le lundi matin, à l'effet d'appuyer les efforts de ceux qui ne voyaient dans des hommes affamés que des ennemis, des pillards et des dévastateurs. Quelques groupes inoffensifs et sans armes s'étaient formés à la Croix-Rousse ; assaillis tout-à-coup par des feux de pelotons de la garde-nationale, ils coururent aux armes, mais ils étaient sans munition. Ce fut alors que commença le drame sanglant dont nous avons rendu compte dans notre dernier numéro, et dont les scènes ont coûté tant de sang à notre malheureuse cité. Tous les traits héroïques de nos concitoyens, la générosité des vainqueurs après le combat ; leurs soins empressés pour les blessés civils et militaires contre lesquels ils avaient combattu ; leurs efforts pour le rétablissement de l’ordre et de la tranquillité publique, et pour faire respecter les personnes et les propriétés : tout est une preuve authentique des sentimens rien moins que pacifiques de la classe ouvrière qu'on a cherchée par tous les moyens à noircir et à calomnier aux yeux de nos voisins.

Ce simple exposé présente un contraste bien déchirant : le négociant gorgé d'or et de cartouches, et des masses d'ouvriers exténués, sans armes et sans munitions : l’égoïsme en présence de la faim ; l'héroîsme et la générosité prodiguant, après la victoire, des secours à la tyrannie et à la lâcheté !…

Nous croyons en avoir assez dit pour détruire les impressions funestes qu'un instant de troubles a formées dans l'esprit des magistrats des communes et des départemens qui nous avoisinent ; impressions que l'esprit de parti, d'une part, et l'amour-propre blessé des chefs de commerce, de l'autre, se sont empressés, par tous les moyens possibles, de fortifier. L'ordre spontanément rétabli par les hommes signalés comme devant tout détruire, les autorités toujours reconnues et écoutées, le trône de juillet respecté et défendu, les rapports des différens journaux de la ville, tout enfin prouve qu'aucun but politique n'a dirigé celle malheureuse affaire, et que le gouvernement, mal informé dès le principe, n'avait pu donner aux commandans militaires et aux chefs des départemens que des instructions conformes à celles qui lui étaient parvenues.

UN MOT SUR M. DU MOLART, PRÉFET DU RHONE1.

Nous n'avons jamais blâmé l'autorité, nous ne l'avons point flattée ; ce n'est pas là notre affaire. Nous laissons aux feuilles politiques le soin de fouiller dans les actes da l'administration, ce qui a trait aux catégories de résistance ou de mouvement, d'extrême ou de juste-milieu2; notre mission est tout industrielle ; et, si nous avons montré les opinions politiques que nous professons, c'est [3.2]moins pour plaire à cette administration que pour apprendre aux partisans de la dynastie déchue, qui certes ne sont ni nombreux, ni influens dans notre ville, que nous aurions été les premiers à prendre les armes pour défendre la dynastie de juillet. Mais nous ne pouvons passer sous silence les calomnies dirigées par quelques négocians contre le premier magistrat du département, calomnies d'autant plus atroces, qu'on l’a montré comme favorisant des projets factieux ! Pourrait-on accuser M. Du Molart d'être l'ennemi du gouvernement établi ?3 Homme vertueux, sorti de sa retraite pour administrer notre département, n'ayant porté qu’une seule cocarde, celle qui brille aujourd'hui à nos chapeaux ; pourquoi chercherait-on à jeter du blâme sur sa conduite ? Serait-ce parce M. le préfet avait osé soulever le voile de l'égoïsme ? serait-ce parce que son ame généreuse avait résolu de fermer les plaies de la misère ? serait-ce parce que ses actions s'accordent avec son ame ? serait-ce enfin parce que, nommé par le Roi-citoyen, il avait compris sa mission, et mérité, par sa popularité, le titre qui devrait être envié par tous les magistrats, de père des ouvriers ? M. le préfet Du Molart est en paix avec sa conscience, et si, par une conduite toute généreuse, il a encouru la disgrâce de quelques hommes, il en est dédommagé par l'amour et la reconnaissance d'une immense population.

Les Membres de l’état-major provisoire de la ville de Lyon,

A Monseigneur le duc d'Orléans.

Auguste Prince,

Vous accourez parmi nous chargé par notre bien-aimé souverain de nous rendre la paix et le bonheur ; nos sentimens vous rendront cette tâche aussi douce que facile. On nous a peints aux yeux du gouvernement comme des factieux ennemis de l'ordre et de votre dynastie ; on nous a indignement calomniés. Tirons un voile épais sur l'erreur ou le hasard qui a ensanglanté notre cité ; oublions le passé, votre présence doit ramener l'espoir et la concorde, et faire fuir au loin la tristesse et la haine. Que la royauté se rassure, nous sommes ses soutiens les plus dévoués ; que l'étranger, et le factieux sous quelque couleur qu'il se présente, ne se méprennent pas à l'exposé de nos malheurs ; que rien ne soit dénaturé par l'éloignement ; qu'ils se rappellent toujours le courage qui de part et d'autre a été si malheureusement prodigué, et qu'ils se gardent de jamais le mettre à l'épreuve : notre intrépidité alors redoublerait contre eux.

Pour vous convaincre de la droiture de nos intentions, Prince, nous avons cru devoir vous remettre copie de notre rapport à M. le Préfet du Rhône, pendant notre gestion. Il y a exacte vérité dans ce simple narré des faits en ce qui concerne notre conduite et les résultats que nous avons obtenus. Nous appelons votre jugement, votre équité nous le rendra propice.

Nous sommes, Monseigneur, avec la plus respectueuse soumission,
De votre Altesse Royale,
Les très-humbles et très-obéissans serviteurs.
Les Membres de l'état-major provisoire,
Buisson, Dianot, Martinon, Chabrier, Cantat, Michallet, Damour, Bret, Richard, Leclerc.

[4.1]Rapport résumé des Membres composant l’état-major provisoire de la ville de Lyon, du 23 au 29 novembre 1831,

A M. le Préfet du département du Rhône.

Monsieur le Préfet,

La mort, guidée par l'erreur ou un mal-entendu, pendant deux jours avait promené sa faux meurtrière parmi nous ; l'autorité avait perdu son pouvoir ; des désordres affligeans en étaient la suite. Les passions secouant leurs torches incendiaires avaient éveillé l'anarchie qui déjà faisait entendre sa voix lugubre. A la vue du danger qui menaçait d'anéantir notre malheureuse cité, nous n'avons pas restés spectateurs impassibles ; un devoir impérieux nous commandait de mettre à profit la confiance dont nous entouraient nos concitoyens, et de tout entreprendre pour comprimer les passions et rétablir la tranquillité publique. La tâche était grande et le péril imminent, mais ce n'était rien pour nous ; le salut de notre pays nous inspirait et nous donnait le courage nécessaire pour l'exécution de notre entreprise.

Vu l'urgence et sur la communication que nous vous fîmes d'accord avec la commission des ouvriers, vous vous êtes empressé, M. le Préfet, d'approuver et d'autoriser notre résolution. Immédiatement la commission qui s'était établie à l’Hôtel-de-Ville et osait méconnaître l'autorité fut expulsée par ceux d'entre nous présens : MM. Dianot, Martinon, Buisson, Chabrier, Michallet. Des mesures énergiques furent arrêtées et sur-le-champ mises à exécution. Nos efforts ne furent pas infructueux, et bientôt les désordres cessèrent. Dès le jeudi nous vîmes l'aurore dégagée des nuages menaçans de la veille. Heureux de nos succès, nous avons redoublé de zèle ; des postes nombreux furent établis, des patrouilles fréquentes et partout dirigées assurèrent l'inviolabilité des personnes et des propriétés, et parvinrent à purger notre ville d'une grande partie d'individus qui y étaient étrangers ; tous ceux armés rencontrés isolément, furent désarmés.

Enfin aujourd'hui, M. le Préfet, aujourd'hui que l'anarchie a fui notre cité, que le calme a succédé à l'orage, que la voix de l'autorité n'est plus méconnue, que force est rendue à la loi, notre mission est terminée.

Tous ensemble, avant de reprendre nos occupations habituelles, nous sentons le besoin de vous remercier, ainsi que nos commettans, de la confiance dont vous nous avez honorés ; nous nous retirons avec la conviction de n'en avoir point abusé et d'avoir fait tout ce qui était possible pour y répondre dignement ; heureux si nous avons pu mériter votre approbation, votre estime et celle de tous nos concitoyens : c'était-là notre unique ambition, notre conscience nous dit qu'elle ne sera pas déçue.

Quant à nos intentions et à nos sentimens, M. le Préfet, quant aux intentions et aux sentimens de la commission des ouvriers et des ouvriers eux-mêmes, envers l'autorité et le trône de juillet, nous laissons à notre conduite et aux heureux résultats que nous avons obtenus, le soin de vous les faire connaître, et nous vous prions d'en transmettre l'expression au Prince chéri qui s'empresse d'accourir dans nos murs pour cicatriser nos blessures. La nouvelle seule de son arrivée a comblé notre espoir. Votre prudence et votre équité, M. le Préfet, feront le reste, et vous assureront des droits éternels à la reconnaissance de tous.

L'aurore d'un avenir meilleur commence à luire. Il est doux de nous retirer en laissant notre ville paisible et sous l'influence du génie bienfaisant qui vient lui rendre sa prospérité, en nous rappelant la triste époque [4.2]où nous a été confiée la direction de l’état-major provisoire de la ville de Lyon.

Agréez, M. le Préfet, l'assurance de notre profond respect.

Les membres de l'état-major provisoire :
Buisson, Dianot, Martinon, Chabrier, Cantat, Michallet, Damour, Bret, Richard, Leclerc

Copie de la lettre écrite à MM. Damour, Dianot, Martinon, Chabrier, Bret, Leclerc, Cantat, Richard, Michallet et Buisson, ayant rempli les fonctions d'officiers de l’état-major de la ville de Lyon et ses faubourgs, du 23 au 29 novembre 1831.

Lyon, le 31 novembre 1831.

Messieurs,

J'ai reçu hier au soir, au retour de ma visite à S. A. R. le duc d'Orléans, la lettre que vous m'avez fait l’honneur de m'écrire pour m'informer que vous cessez de faire le service de l'état-major de la ville de Lyon et ses faubourgs, service qui vous avait été confié le 23 de ce mois, au matin.

Je me plais à reconnaître, Messieurs, que dans l'exercice des fonctions dont vous avez été revêtus, vous avez exécuté avec un zèle et une activité dignes d'éloges, les ordres et les instructions que je vous ai donnés ; que votre concours a puissamment contribué à prévenir l'effet des manœuvres criminelles employées pour provoquer à l'anarchie, et qu'en un mot vous vous êtes conduits comme des citoyens attachés au gouvernement du Roi et aux institutions consacrées par la Charte de 1830.

Ce que je vous exprime ici, Messieurs, j'en rendrai témoignage au fils aîné du Roi des Français, en mettant ce soir votre lettre sous ses yeux.

Recevez, Messieurs, l'assurance de ma parfaite considération.

Le conseiller-d'Etat, préfet du Rhône,
Signé Du Molart.
Pour copie conforme :
Le conseiller-d'Etat, préfet du Rhône,
Du Molart.

A MM. Buisson, Martinon, Chabrier, Leclerc, Richard, Brest, Damour, Michallet, Cantat et Dianot, à Lyon.

Messieurs,

J'ai regretté que mes occupations multipliées ne m'aient pas laissé le loisir de vous prévenir de la mesure prise, de concert avec M. le préfet, de la rentrée en fonctions de M. Vernère1, en qualité de chef d'état-major de la garde nationale. Cette mesure, que vous avez vous-même sollicitée, a amené votre retraite, et je saisis cette occasion pour vous témoigner toute ma satisfaction pour vos services et votre zèle dans les journées qui viennent de s'écouler. Appelés à l'état-major pour le rétablissement de l'ordre et de la surveillance générale de la ville, vous avez rempli ces fonctions comme de bons citoyens. Je me plais à vous en donner le témoignage par cette lettre.

Recevez, etc.

Le Maire de Lyon, Boisset.

La lettre suivante a été adressée par M. Du Molart, préfet du Rhône, au rédacteur du Journal des Débats :

Lyon, le 30 novembre 1831.

Monsieur,

Dans les déplorables événemens qui viennent de se passer à Lyon, ma position a été si extraordinaire, qu'il n'est pas étonnant qu'elle ne soit pas comprise à Paris. Il est, en effet, sans exemple que l'autorité méconnue pendant le combat, et n'étant plus représentée que par un seul homme, s'empare d'une multitude enivrée de sa victoire, et s'en serve pour arrêter le désordre, réprimer les audacieuses tentatives de l'anarchie, et rétablir la tranquillité publique.

En restant à mon poste, après la retraite des troupes, je ne me dissimulais pas les dangers de cette résolution ; mais quand le devoir parle si haut, l'intérêt personnel doit se taire, et j'avais fait le sacrifice de ma vie, pour essayer de sauver la ville du sac dont elle était véhémentement menacée, et y maintenir l'autorité royale. J'ai réussi ; c'en est assez pour moi, et quel que puisse être le jugement des hommes sur ma conduite dans cette épouvantable circonstance, ma conscience ne me laissera pas sans force et sans consolations.

Les faits publiés par vous sont inexacts, aussi bien que ceux dont [5.1]M. le président du conseil a donné communication à la chambre des députés, d'après une dépêche non-officielle du 23. Une enquête peut, seule, les dégager des exagérations de la peur, et des insinuations de la mauvaise foi. Je la demande avec instance, parce que j'ai le plus grand intérêt à ce que la vérité soit connue. Jusque-là j'ajourne de plus amples explications, qui ne lui laisseront rien à désirer.

Je ne dirai plus qu'un mot : j'ai annoncé, il est vrai, le 19 novembre, à M. le président du conseil, que les émeutes n'étaient plus et n'avaient jamais été à craindre. On a vu que M. le lieutenant-général comte Roguet tenait le même langage. Le 20 au soir, en réponse à la réquisition que je lui adressais pour assurer le maintien de l'ordre, il m'écrivait encore : « Vous pouvez être sans inquiétude. »

Il était impossible de prévoir qu'aucune des dispositions prescrites par moi ne serait exécutée ou ne le serait que tardivement, et que d'un rassemblement d'abord inoffensif et sans armes, une malheureuse complication de fautes et de mal-entendus feraient une insurrection violente et considérable.

Agréez, etc.

Le conseiller-d'Etat, préfet du Rhône,
Signé Du Molart.

Le Roi, touché des malheurs dont est accablée la classe manufacturière de notre ville, a adressé à M. le préfet la lettre suivante, que ce magistrat s'est empressé de faire afficher ainsi que sa proclamation :

Paris, le 24 novembre 1831.

Monsieur le préfet,

Je m'empresse de vous informer que le Roi, touché des besoins qu'éprouvent les manufactures d'étoffes de soie de Lyon, et désirant, dans sa bienveillante sollicitude, contribuer, autant qu'il peut dépendre de lui, à faire renaître leur prospérité, a bien voulu destiner une somme de six cent quarante mille francs pour être employée en commandes d'étoffes d'ameublement, réparties entre les principaux fabricans de cette ville. Je m'estime heureux, Monsieur le préfet, d'avoir à vous transmettre ce témoignage de la bienfaisance toute particulière de Sa Majesté pour les fabriques de Lyon.

Suivant les intentions exprimées par le Roi, je vous prie, Monsieur le préfet, de vouloir bien me faire connaître le nom des manufacturiers qui vous paraissent susceptibles de participer à l'exécution de ces travaux, et, à cet effet, j'ai l'honneur de vous adresser une note qui m'a déjà été fournie pour cet objet ; dans le cas où quelques noms vous paraîtraient devoir être ajoutés à ceux qui composent cette liste, je vous serais fort obligé de me les indiquer.

J'aurai soin de vous transmettre incessamment un état détaillé indiquant les quantités et la nature des étoffes de soies réclamées par les besoins du mobilier de la couronne, et qui doivent faire partie de la commande dont il s'agit.

Recevez, Monsieur le préfet, l'assurance de ma considération très-distinguée.

L'administrateur provisoire de l'ancienne dotation de la couronne,
Baron Delaitre.

Lyonnais !

Je mets d'autant plus d'empressement à porter à votre connaissance un nouvel acte de la bienveillance du Roi pour votre belle industrie, que j'y vois un présage assuré d'une prochaine et entière réconciliation.

Hâtons-nous donc de répondre à tant de bontés, en faisant disparaître les derniers vestiges de nos dissensions, et en montrant, par le rétablissement complet de l'ordre légal, que la politique a toujours été en dehors de leur cause.

En l'hôtel de la préfecture, le 27 novembre 1831.

Le conseiller-d’Etat, préfet du Rhône, Du Molart.

[5.2]Le lendemain 28, la préfecture fit apposer aussi le placard suivant :

PRÉFECTURE DU RHÔNE.

Lyonnais !

Quittez votre deuil et revêtez vos habits de fête. S. A. R. le Duc d'Orléans arrive dans nos murs. C'est l'arc-en-ciel qui annonce la fin de l'orage. Que les dernières traces de vos cruelles discordes disparaissent, et que l'unanimité de vos acclamations lui fassent connaître que, dans vos funestes égaremens, vous avez conservé tout votre amour pour la dynastie dont votre courage a secondé l'élévation.

Vive le Roi !!!

Lyon, en l'hôtel de la préfecture, le 28 novembre 1831.
Le conseiller-d'Etat, préfet du Rhône, Du Molart.

Louis-Philippe, Roi des Français,

Nous avons ordonné et ordonnons ce qui suit :

Art. 1er. Notre bien-aimé fils le duc d'Orléans, et le maréchal duc de Dalmatie, notre ministre de la guerre, se rendront immédiatement à Lyon.

Le maréchal duc de Dalmatie est autorisé à donner tous les ordres que commanderont les circonstances.

Pendant l'absence de notredit ministre de la guerre, l'intérim du ministère de la guerre sera rempli par le lieutenant-général comte Sébastiani, notre ministre des affaires étrangères.

Art. 2. Notre président du conseil, ministre secrétaire-d'état de l'intérieur, et notre ministre secrétaire-d'état de la guerre sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l'exécution de la présente ordonnance.

Donné au palais des Tuileries, le 24 novembre 1831.
Signé LOUIS-PHILIPPE.

Le même jour parut la proclamation suivante de la mairie :

Lyonnais !

Le Prince auquel, à pareille époque de l’année dernière, vous offriez le témoignage du plus entier dévouement, est ramené près de vous par de déplorables circonstances dont son cœur tout français gémit profondément. Dès son approche, j'ai cru qu'il était du devoir du premier magistrat de la cité d'aller lui présenter son hommage ; il a daigné m'accueillir avec bonté ; il m'a invité à vous communiquer le chagrin qu'il éprouve de la désunion survenue entre des compatriotes, et le désir qu'il a de voir l'ordre complet se rétablir parmi vous.

Si toutes ses paroles sont empreintes de bienveillance, il rappelle aussi, plus que jamais, l'engagement qu'il a contracté, à l'exemple du Roi son père, de tout faire, pour conserver dans sa forme le régime légal, qui a élevé et qui doit soutenir le trône de juillet.

Cet engagement solennel demande ses premiers soins ; et, dans la conviction où il se trouve que vous déplorez, au fond de vos cœurs, les actes illégaux qui ont eu lieu, nous vous invitons à en faire disparaître toutes les traces.

M. le maréchal, ministre de la guerre, qui est placé près de sa personne, avec de pleins pouvoirs, réclame, pour sa propre responsabilité, autant que dans l’intérêt de l'ordre, la rentrée immédiate des armes de la garnison, et de celles enlevées dans les magasins d'approvisionnement.

Personne mieux que moi, mes chers concitoyens, n'a [6.1]compris votre pensée ; personne plus que moi ne peut répondre des intentions qui vous dirigent : j’oserais donc affirmer que tous les vœux de cet excellent Prince seront entendus ; que vous ne resterez pas sourds à la voix d'un magistrat que votre cause intéresse si vivement.

Nous donnons des ordres pour que toutes les armes soient reçues à l'Arsenal.

Lyonnais ! Vous dirai-je un mot heureux qui révèle la pensée du Prince tout entière, au moment où j'ai pris congé de lui. Apprenez à vos administrés, m'a-t-il dit, que si, comme Français, je désire un prompt retour de l’ordre public, je veux être Lyonnais par affection !!!

Vive le Roi ! Vive Monseigneur le duc d'Orléans !

Adresse de la Chambre des Députés au Roi.

(26 novembre 1831.)

Sire,

Nous avons entendu avec une profonde douleur la communication franche et complète que nous ont apportée les ministres de Votre Majesté, sur les troubles qui ont éclaté dans la ville de Lyon. Nous applaudissons au patriotique élan qui a porté le Prince votre fils à se précipiter au milieu des Français, dont le sang coule, pour en arrêter l'effusion. Nous nous empressons d'exprimer à Votre Majesté le vœu unanime des députés de la France, pour que son gouvernement oppose à ces déplorables excès toute la puissance des lois. La sûreté des personnes a été violemment attaquée ; la propriété a été méconnue dans son principe ; la liberté de l'industrie menacée de destruction ; la voix des magistrats n'a point été écoutée. Il faut que ce désordre cesse promptement, il faut que de tels attentats soient énergiquement réprimés. La France entière est blessée par cette atteinte portée aux droits de tous dans la personne de quelques-uns de ses concitoyens : elle leur doit une éclatante protection.

Les mesures déjà prises par le gouvernement de Votre Majesté, nous donnent la confiance que le retour de l’ordre ne se fera pas long-temps attendre. La ferme union des gardes nationales et des troupes de ligne rassure tous les bons citoyens. Votre Majesté peut compter sur l'harmonie des pouvoirs. Nous sommes heureux, Sire, de vous offrir, au nom de la France, le concours de ses députés pour rétablir la paix partout où elle serait troublée, étouffer tous les germes d'anarchie, affermir les principes sacrés sur lesquels repose l'existence même de la société, maintenir l'œuvre glorieuse de la révolution de juillet, et assurer partout force à justice et respect à la loi.

Réponse du Roi à l'adresse de la Chambre des Députés.

(26 novembre 1831.)

Messieurs,

Les troubles qui ont éclaté dans la ville de Lyon m'ont profondément affligé ; mais rien n'est plus propre à en adoucir l'amertume que les sentimens que la chambre des députés vient de me manifester par votre organe. Le maintien de l'ordre légal est un de mes premiers devoirs, et je vois avec une vive satisfaction que le vœu unanime des députés de la France s'associe au mien, pour que [6.2]toute la puissance des lois soit opposée à ces déplorables excès. L'harmonie des divers pouvoirs de l'Etat, sur laquelle je compte comme vous, est le moyen le plus efficace d'assurer leur empire, et de donner à mon gouvernement la force nécessaire pour réprimer de pareils attentats avec toute l’énergie que la France a droit d'en attendre. La bravoure héroïque des troupes de ligne et de cette partie de la garde nationale de Lyon, qui a combattu avec, elle mérite la reconnaissance de la patrie, et j'aime à leur en donner un éclatant témoignage.

Je vous remercie d'apprécier, comme vous le faites, le dévouement de mon fils. Mon vœu le plus cher est qu'il obtienne le résultat que j'en espère avec confiance, et qu'il puisse contribuer à faire rentrer dans l'ordre une population égarée, à rétablir l'autorité des lois, et à arrêter cette effusion du sang français dont mon cœur est si douloureusement affecté.

Mercredi dernier, les chefs de sections, impatiens de voir S. A. R. Mgr. le duc d'Orléans faire son entrée en ville, chargèrent une députation, choisie dans leur sein, de manifester au Prince les vœux unanimes des chefs d'ateliers et ouvriers en soie, que sa présence au milieu d'eux ne fût point retardée. Les députés, arrivés au château de la Barollière, furent introduits par M. le maréchal, duc de Dalmatie, auprès de son S. A. Royale qui les reçut avec la bienveillance qui caractérise le jeune Prince appelé à régner un jour sur nous. Mgr. le duc d'Orléans, en les assurant de sa protection, leur témoigna sa satisfaction pour leur dévoûment au maintien de l'ordre et de la tranquillité publique, et les chargea de vouloir bien faire part à ceux dont ils étaient les représentans, de ses intentions toutes pacifiques.

M. le préfet assistait à cette entrevue.

La proclamation suivante a été affichée dans la journée du 1er décembre :

mairie de la ville de lyon.

Mes chers concitoyens,

C'est le cœur navré de douleur que je me vois appelé à reprendre la direction de l'administration municipale. Que d'événemens funestes, que de maux inouis ont fondu sur nous ! la seconde ville du royaume, la capitale du Midi, Lyon, que toute la France se plaisait à nommer la Cité-Modèle, a été le théâtre des désordres les plus effrayans !!!

Je cherche à me persuader qu'aucune main lyonnaise n'a trempé dans les crimes que signale la rumeur publique ; mais la loi n'a-t-elle pas été méconnue ? Ses organes n'ont-ils pas été violemment attaqués ? La population entière a-t-elle fait ce qu’elle devait pour prévenir de pareils attentats ?

J'éprouve néanmoins quelque soulagement en apprenant que l'amour de l'ordre a remplacé aussitôt la violation des lois. Lyonnais ! vos pères sont morts en combattant l'anarchie ; vous vous étiez toujours montrés dignes d'eux ! Qui vous a fait oublier tant de traditions honorables ? De perfides conseils ont seuls pu égarer un grand nombre d'entre vous ; mais votre probité si connue a suffi pour fermer l'abîme qu'ils avaient ouvert sous vos pas.

Ouvriers en soie ! le bénéfice de toute fabrique est essentiellement lié au maintien de l’ordre public. La paix allait augmenter la masse du travail, et vos salaires se fussent accrus au-delà même de nos espérances. Le trouble, qui a été jeté dans notre ville, a tout compromis ; il arrête les demandes ; il éloigne les acheteurs ; il sert, de cette façon, et à votre insu, la rivalité des fabriques étrangères.

Ouvriers de toutes les professions ! vous tous êtes également intéressés à la prospérité de nos manufactures de soieries : car ce sont elles qui donnent de la valeur à notre sol, à nos habitations, à tous les produits du travail. Laborieux, économes, intelligens, tels que vous l'êtes, comment n'avez-vous pas senti la nécessité de maintenir l'édifice sacré des lois ?

[7.1]Honoré jusqu'ici de votre confiance, ma voix cesserait-elle aujourd’hui d'être entendue de vous ! Ouvriers de toutes les classes ! hâtez-vous, je vous conjure, de revenir à vos travaux habituels. Déjà vous avez commencé à remettre des armes que la loi ne vous avait point confiées ; que cette remise se continue sans relâche, et vous aurez fait un grand acte de patriotisme, en ôtant tout prétexte aux divisions intestines.

Plusieurs d'entre vous se sont réunis près de moi, et nous allons porter à l’héritier du trône des paroles de regrets et de repentir. J'espère que ces paroles seront favorablement écoutées d'un prince dont vous connaissez toute la bonté. Vos magistrats ne négligeront rien pour qu'une grande part soit faite et à votre détresse et aux passions qu'elle a déchaînées ; la loi réservera ses rigueurs pour des crimes faits pour une autre époque, et pour d'autres contrées.

Que les citoyens paisibles se rassurent ! Nos larmes couleront long-temps, mais nos malheurs ont atteint leur terme ; la tristesse générale exprime suffisamment nos regrets, et nous pouvons penser que toute récidive est impossible désormais.

Fait à Lyon, le 1er décembre 1831.

Le Maire de la ville de Lyon, membre de la chambre des députés,
Prunelle.

Avant-hier, M. le maire a fait publier la proclamation suivante :

Mes chers Concitoyens !

La députation d'Ouvriers, qui devait se rendre hier auprès du Prince royal, lui a été présentée à son quartier-général de Balmont, par les corps municipaux de Lyon.

Les membres de la députation ont déjà pu rendre compte de la manière affectueuse avec laquelle ils ont été reçus. Son Altesse Royale, après s'être attendrie sur la détresse des ouvriers en soie et sur nos malheurs récens, a dit que sa présence en cette circonstance devait complètement rassurer sur les intentions du gouvernement du Roi ; qu'elle n'avait pas hésité un instant, en apprenant notre position, à se rendre à Lyon, pour y venir acquitter la dette qu'elle pensait avoir contractée envers notre population à pareille époque l'année dernière. Le Prince a ajouté que son rôle à lui était tout de pacification ; que la ville de Lyon venait d'apprendre par la plus terrible des leçons, tout ce que peut amener de calamités l'oubli et la violation des lois, et qu'au milieu de la peine qu'il en avait ressentie, il avait vu néanmoins, avec une vive satisfaction, tout le bien opéré, pendant ces jours de calamités, par une population laborieuse et conséquemment toujours amie de l'ordre ; que le maintien de cet ordre pouvait seul assurer la prospérité des villes manufacturières, et que nuls, plus que les ouvriers, n'étaient intéressés à le conserver.

Son Altesse s'est ensuite informée auprès de plusieurs membres de la députation, des moyens propres à faire cesser la détresse actuelle, en ajoutant qu'elle chercherait à y contribuer de tout son pouvoir.

La ville entière partagera sûrement les sentimens de reconnaissance dont les ouvriers sont déjà animés envers Son Altesse Royale qui s'occupe, de la manière la plus active, des moyens de soulager leurs misères les plus pressantes, et de créer des ressources pour l'avenir.

MINISTERE DE LA GUERRE.

Le maréchal de France, ministre de la guerre,

En vertu des pouvoirs spéciaux contenus dans l'ordonnance royale du 24 novembre dernier,

Ayant à mettre à exécution les nouvelles ordonnances du Roi, en date du 28 du même mois, qui prononcent la dissolution de la garde nationale de la ville de Lyon et des communes de la Guillotière, de la Croix-Rousse et de Vaise, département du Rhône,

ARRETE :

Art. Ier. Les ordonnances royales du 28 novembre dernier, portant dissolution de la garde nationale de la ville de Lyon et des communes de la Guillotière, de la Croix-Rousse et de Vaise, département du Rhône, seront adressées à M. le Préfet de ce département, qui demeure chargé de les notifier et de veiller à leur exécution.

Art. II. Tous les canons, fusils, mousquetons, pistolets, sabres, caissons, armes et munitions quelconques, qui étaient à la disposition de la garde nationale de la ville de Lyon et des communes de la Guillotière, de la Croix-Rousse et de Vaise, département du Rhône, seront immédiatement réintégrés dans l'Arsenal de la Ville de Lyon, sur récépissé du Directeur de l'Artillerie.

Art. III. La dissolution étant consommée et le retrait des armes entièrement opéré, il sera aussitôt procédé à la réorganisation de la garde nationale desdites ville et communes, conformément à la loi du 22 mars 1831.

Art. IV. Le Préfet du département du Rhône est chargé de l'exécution [7.2]du présent Arrêté, qui sera publié et affiché dans la ville de Lyon et dans les communes de la Guillotière, de la Croix-Rousse et de Vaise.

Fait au quartier-général, à Balmont, le 2 décembre 1831.

Signé Maréchal Duc de DALMATIE.

Louis-Philippe, Roi des Français,

A tous présens et à venir, salut :

Vu l'article 5 de la loi du 22 mars 1831 ;
Vu la demande de notre ministre secrétaire-d'Etat de la guerre, agissant en vertu des pouvoirs que nous lui avons conférés par notre ordonnance du 24 de ce mois ;
Sur le rapport de notre président du conseil, ministre secrétaire d'Etat de l'intérieur,
Nous avons ordonné et ordonnons ce qui suit :

Art. 1er. La garde nationale de la ville de Lyon, département du Rhône, est dissoute.

Art. 2. Notre président du conseil, ministre de l'intérieur, est chargé de l'exécution de la présente ordonnance.

Au palais des Tuileries, le 28 novembre 1831.
Signé Louis-Philippe.

Le Maire de la ville de Lyon,

Vu la lettre de M. le préfet du Rhône en date de ce jour et les instructions qu'elle renferme,

Arrête :

Art. 1er. L'ordonnance royale prononçant la dissolution de la garde nationale de Lyon, ainsi que l'instruction de M. le maréchal ministre de la guerre, seront publiées et affichées sur-le-champ aux lieux accoutumés.

Art. 2. MM. les gardes nationaux de service garderont leurs postes jusqu'à ce qu'ils soient relevés par la troupe de ligne ; les détachemens relevés se rendront immédiatement sur leurs places d'armes respectives où ils se dissoudront.

Fait à l'Hôtel-de-Ville, le 2 décembre 1831.

Le Maire de Lyon, membre de la chambre des députés,
Prunelle.

ENTRÉE DE MONSEIGNEUR LE DUC D’ORLÉANS.

Hier à midi, S. A. R. le duc d'Orléans est entrée dans nos murs ; tout ce que nous pourrions dire serait moins expressif que l'élan de toute la population se pressant sur son passage, et faisant retentir l'air de vivats prolongés et d'acclamations unanimes. S. A. R. a été reçue par les autorités civiles et militaires. M. le maire, au nom de toute la population lyonnaise, a porté la parole au Prince en ces termes :

Monseigneur !

Il n'y a guère plus d'une année que, dans ces mêmes lieux, des cris d'alégresse et d'amour retentissaient de toutes parts à votre approche.

Nos sentimens sont loin d'être changés ; et cependant la tristesse est empreinte sur nos visages ; l'affliction opprime nos cœurs.

Quelle différence, grand Dieu ! Votre Altesse Royale visitait, il y a un an, une ville pure d’innocence, une ville vierge de toute faute. Votre Altesse lui accordait la plus douce des récompenses. Aujourd'hui, une bienveillance sans exemple vous conduit dans une ville coupable, et nous n'avons à vous présenter que les larmes du repentir, et l'hommage d'une reconnaissance profonde.

Nous ne conduirons plus Votre Altesse Royale à des fêtes, qui ne sauraient exister parmi nous ; vous ne viendrez plus admirer cette garde nationale, autrefois notre orgueil. Elle est dissoute ; et ce qui comble l'énormité de la peine, c'est que personne ici n'ose en blâmer l'application.

Que Votre A. R. veuille bien permettre cependant aux magistrats de la cité de ne pas accepter, pour elle seule, toute l'étendue de la faute : il est vrai qu'une partie de la population a violemment outragé les lois ; qu'une autre n'a pas su les défendre ; mais une troisième portion a versé largement, et trop inutilement, son sang pour les maintenir. Il est vrai qu'une multitude égarée a été entraînée, par son inexpérience, aux plus graves des attentats ; mais bientôt le prenant en horreur, elle a senti le besoin de l'ordre, et l'a spontanément rétabli.

Les faits parleront haut, Monseigneur, ils montreront les vrais coupables, et nous conserverons l'espérance qu'ils se trouveront ailleurs que parmi nous.

[8.1]Mgr. le duc d'Orléans a répondu à M. le maire :

Monsieur le Maire !

Je ne puis vous témoigner de quelle profonde tristesse mon cœur est pénétré en rentrant aujourd'hui dans la seconde ville du Royaume, après les sanglans désordres et les coupables excès dont elle a été le théâtre et la victime. Je me rappelle avoir vu, il y a un an, la population lyonnaise manifester les sentimens les plus vifs d'amour de l'ordre et de l'attachement aux institutions et au gouvernement que la révolution de juillet a fondé en France. C’est ce souvenir, c’est l’espoir que ces sentimens n'étaient point effacés, ce sont les liens qui m'uniront toujours à la ville de Lyon, qui m'ont décidé, aux premières nouvelles des troubles qui l'ont affligée, à tout quitter pour venir faire cesser cette effusion de sang français que je ne cesserai de déplorer.

J'ai voulu, aussi, d’accord avec l’illustre Maréchal qui m'accompagne, contribuer de tous mes efforts à rétablir, dans toute sa plénitude, l'ordre légal là où il avait cessé d'exister, et à faire respecter l'autorité des lois qu'une partie de la population avait violemment méconnue, mais qu'une autre avait si vaillamment su défendre. Tels sont les sentimens qui m'animent ; je suis venu, non pour chercher des coupables, c'est le devoir de la justice, mais comme pacificateur, mais pour rappeler à des Français égarés quels sont leurs devoirs, et aussi, j'ose le dire, quel est leur véritable intérêt. Aujourd'hui, cette tâche est remplie, et j'en commence une autre bien plus douce, mon cœur : celle d'apporter tous les soulagemens possibles au sort des classes ouvrières de la ville de Lyon, dont le Roi mon père m'a ordonné de m'occuper avec sollicitude.

Puissent-elles comprendre, par le terrible exemple qu'elles ont sous les yeux, que ce n'est que dans la protection que la loi accorde à ceux qui la respectent, qu'elles peuvent trouver leur bien-être. C’est par un repentir sincère, par une soumission sans réserve, que la population de cette industrieuse cité pourra me mettre à même de lui faire voir que j'ai non-seulement les sentimens d'un bon Français, d'un citoyen sincèrement dévoué à son pays et à nos institutions, mais aussi d'un bon Lyonnais.

Pièce authentique qui nous a été communiquée pour justifier une classe malheureuse, mais dont l'honneur et la probité sont, dans toutes les circonstances, à l'abri des traits de la calomnie.

Nous soussignés négocians et propriétaires de la maison Nivière et environs, nous empressons d'attester sur l'honneur, que MM. Martinon, cap. ; Gagnière, lieut. Brossard ; lieut. et Glénard sous-lieut, ont pris le poste de la recette générale, le 23 novembre à huit heures et demie du matin, et que ce n'est qu'à leur courage, leur présence d'esprit, le zèle et le dévouement de tout le poste qui était de 30 hommes, qu'ils sont parvenus à sauver de la dévastation, la caisse et les bureaux du receveur général, nos marchandises, argent, papiers et mobiliers.

La conduite et les opinions de tout ce poste étaient celles de vrais français, et nous nous faisons un devoir de leur vouer une reconnaissance éternelle.

Lyon, ce 24 novembre 1831.

Saint-Rué Dessagets, B. Vetter aîné, Auguste Vetter, Gilbert, Goubayon, Charles Berna,Charles Cambefort, Louis Pons, Niel, officier en retraite, employé à la recette générale ; Laugier, gérant de la recette générale, et Guélas.

Nous devons ajouter que MM. Drivon frères et Maurice , ouvriers en soie, étaient occupés à placer des sentinelles à toutes les portes des allées de la place Tholozan, pour faire respecter les magasins et les propriétés, lorsqu'ils furent assaillis par une foule d'individus étrangers à la fabrique, qui voulaient se porter à la recette du receveur-général du département ; qu'ils avaient déconcerté les malveillans en leur adressant ces mots : Vous nous passerez sur le ventre avant que nous vous laissions [8.2]entrer ; que peu à près, renforcés par la compagnie d'ouvriers sous les ordres de MM. Martinon, Gagnière, Brossard et Glénard, ils parvinrent ensemble, non sans peine, à rester maîtres de ce poste important.

Au prompt retour de l'ordre et de la tranquillité est venue se joindre une nouvelle activité dans les affaires commerciales. Les personnes qui avaient hésité un instant de rouvrir leurs magasins, entièrement rassurées d'abord par la nouvelle des commandes faites à notre ville par S. M., ensuite par l'arrivée dans nos murs de S. A. R., qui doit pour toujours fermer nos blessures, ont repris, comme auparavant, le cours de leurs opérations. De toute part la confiance se rétablit, et tout fait présager une saison moins rigoureuse qu’on ne l'avait craint jusqu'alors.

Une souscription est ouverte au bureau de l'Echo de la Fabrique en faveur des blessés, des veuves et des orphelins des trois journées de novembre. Nous en appelons à toutes les ames généreuses, à ces cœurs philantropes qui ont secouru l'infortune jusques sur des rives étrangères et dont l'humanité ne manquera pas de venir au secours de leurs concitoyens malheureux.

Première liste de Souscripteurs.

MM. Vautrin frères, menuisiers, place des Pénitens-de-la-Croix, 5. fr. ; Payot, aubergiste, cours d'Herbouville, 3 fr. ; Lortet, propriétaire, montée St-Barthélemy, 10 fr. ; un Lyonnais pauvre et obscur, compatissant et charitable, 5 fr. ; une quête faite à domicile par les sieurs Journau et Sellier dans le quartier des Chartreux , a produit 45 fr., qui ont été remis à la section de cet arrondissement ; une, faite à la porte de l'église de St-Polycarpe, par M. Berger et Mme Jacob, a produit 100 fr. 30 cent. M. le curé des Chartreux a versé 65 fr. 75 c., provenant d'une quête faite dans sa paroisse.

La caisse municipale a déjà donné la somme de 63,200 francs aux chefs de sections pour être distribuée par eux aux ouvriers les plus nécessiteux. Des visites domiciliaires ont été faites, et nous pouvons assurer que rien n'a été négligé pour connaître les vrais besoins des malheureux ouvriers.

ANNONCES DIVERSES.

Au profit des Ouvriers et des Soldats blessés.

En vente, au premier jour, chez Auguste Baron, libraire, rue Clermont, n° 5,

TROIS JOURS DE GUERRE CIVILE A LYON,
ou
Relation des événemens qui se sont passés pendant les 21, 22 et 23 novembre 1831

On demande de suite vingt métiers de peluches pour chapeaux, payées 3 fr. l'aune ; on garantit de maintenir l'ouvrage pour 6 mois. S'adresser au Bureau du Journal.

— Un homme de trente ans, connaissant parfaitement la fabrique d'étoffes de soie, sachant lire et écrire, désire se placer comme contremaître dans une fabrique d'étoffes de soie, ou comme garçon de peine dans une maison de commerce. Il donnera des renseignemens satisfaisans. S'adresser au Bureau du Journal.

Notes (LYON.)
1 L’auteur de ce texte est Antoine Vidal d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).
2 Ferdinand-Philippe d’Orléans (1810-1842) était le fils aîné de Louis-Philippe Ier. Militaire formé à l’Ecole Polytechnique, il se distinguera avec l’Armée d’Afrique et trouvera la mort accidentellement à Neuilly le 13 juillet 1842. Le Maréchal Jean de Dieu, Nicolas Soult (1769-1851), Duc de Dalmatie (1808), était un grand soldat des campagnes napoléoniennes. Au début de la Monarchie de Juillet, il sera ministre de la guerre (1830-1834) et cumulera un temps la présidence du Conseil des ministres (1832-1834).

Notes (Toutes les feuilles publiques des départemens...)
1 L’auteur de ce texte est Antoine Vidal d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).

Notes (UN MOT SUR M. DU MOLART, PRÉFET DU RHONE.)
1 L’auteur de ce texte est Joachim Falconnet d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).
2 Sous la Restauration le « juste milieu » ralliait les partisans du libéralisme et de la Monarchie Constitutionnelle, opposés aux « Ultras », légitimistes d’opinions extrêmes. Après 1830, Le « juste milieu » désigne également la politique modérée et bourgeoise suivie dès le ministère Casimir Périer.
Au début de la Monarchie de Juillet on pouvait distinguer le parti du « mouvement » et celui de la « résistance ». Le « mouvement » avait été au pouvoir jusqu’au mois de mars 1831 avec le ministère Lafitte. Ses partisans estimaient que la Charte d’août 1830 n’était qu’une étape vers un régime plus démocratique et ils étaient favorables à toutes mesures permettant l’extension du droit de vote. Sur le plan extérieur ils étaient favorables à un politique d’aide en faveur des nationalités cherchant alors à se dégager des tutelles étrangères.
Le parti de la « résistance » estimait en revanche que l’essentiel avait été accompli avec la Charte de 1830. En décembre 1831 il était alors au pouvoir avec le ministère Casimir Périer et le demeurera plus solidement encore avec le ministère Soult (1832-1834).
3 Le 6 décembre Bouvier-Dumolart sera rappelé à Paris par Casimir Périer pour rendre compte de sa conduite pendant l’insurrection. Il publiera à Paris en 1832 un Compte-rendu des évènements qui ont eu lieu à Lyon au mois de novembre 1831 peu après réédité à Lyon sous le titre, Relation de M. Bouvier du Molart, ex-préfet du Rhône, sur les évènements de Lyon, Lyon, Bureau du Journal du Commerce.

Notes (A MM. Buisson , Martinon , Chabrier ,...)
1 Il s’agit probablement de Jean François Xavier Vernère, chef de bataillon et officier de la légion d’honneur, chevalier de Saint-Louis, domicilié à Albigny (Rhône, canton de Neuville).

 

 

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