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6 avril 1834 - Numéro 66
 
 



 
 
     

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PROCÈS

CONTRE L’ÉCHO DE LA FABRIQUE.

Lundi 31 mars 1834, assignation à comparaître par devant M. le procureur du roi a été signifiée à notre gérant, M. rey, en son domicile privé, et non au bureau du journal, ce qui nous a semblé une forme extra-légale.

Les formes de cette assignation nous avaient porté à croire que c’était par devant M. le procureur du roi seulement que notre gérant avait d’abord à comparaître, et non par devant le tribunal de police correctionnelle, et nous avions grand’peine à comprendre le pourquoi de cette assignation.

Néanmoins notre gérant s’est transporté aux lieu, jour et heure indiqués par l’assignation, et cherchait dans les différentes salles le magistrat qui l’avait mandé lorsqu’il apprit que sa cause allait être appelée par le tribunal. Il se hâta de s’y rendre, et à peine était-il entré que l’huissier fit entendre son nom.

Alors M. Rey se présenta. Lecture faite par M. le président de l’acte d’accusation dirigé contre lui, il témoigna de sa surprise et demanda le renvoi à huitaine, alléguant pour motifs et comme de raison, qu’il n’avait [1.2]pas préparé sa défense, dans l’intime pensée que c’était seulement par devant M. le procureur du roi qu’il avait à paraître.

M. l’avocat du roi, s’appuyant sur la notification au dossier des pièces relatives au procès, voulut alors s’opposer à la remise et insistait pour l’ouverture des débats, lorsque M. le président, après avoir lu l’assignation notifiée à M. Rey, déclara qu’il y avait eu erreur de la part de l’huissier, et que notre gérant ne pouvait, en aucune façon, en être responsable.

Alors, vu cette circonstance, et ainsi que le demandait M. Rey, il a été décidé par le tribunal que la cause était renvoyée et serait appelée le mardi 15 avril 1834. – Notre gérant a sur le champ déclaré à M. le président qu’il n’était besoin de nulle autre notification, qu’il serait présent et prêt à répondre à l’accusation.

Mais hâtons-nous de faire ce que nous aurions dû d’abord, c’est-à-dire d’instruire nos lecteurs des motifs de ce procès.

Nous sommes accusés, dit l’assignation, d’avoir traité des matières ou nouvelles politiques dans notre journal, et les N° 59, 60, 61, 62, 63, 64 et 65, correspondant aux 16 et 29 février, 2, 9, 16, 23 et 30 mars 1834, sont ceux incriminés.

SEPT NUMÉROS !… Grand merci, M. le procureur du roi. Voila, sans contredit, un coup de maître, et si déjà vous n’aviez reçu la décoration, aujourd’hui, nous l’avouons, vous l’auriez bien méritée !!!

Mais s’il était vrai, ce que nous vous contestons, que nous ayons traité de matières politiques, pourquoi ne nous avoir pas incriminés pour le premier, voire même pour le second numéro ?

Ne serait-ce pas là une surprise indigne des hautes fonctions dont M. le procureur du roi est revêtu ? – Nous pensons ainsi, le bon sens le dit, et nous nous en remettons avec confiance à la sagesse du tribunal appelé à prononcer sur cette grave question.

La lettre suivante a été adressée et remise à M. le procureur du roi :

« Monsieur,

« Vous avez fait citer par devant le tribunal de police [2.1]correctionnelle de cette ville six membres du conseil exécutif de l’association des Mutuellistes, en raison des événemens de février, et sous la prévention du délit de coalition ; nous sommes tous aussi bien qu’eux, M. le procureur du roi, membres du conseil exécutif de cette association, et nous venons à ce titre réclamer notre part de solidarité (vous dispensant de toutes formalités judiciaires), afin que nous puissions nous trouver samedi, 5 du courant, sur le banc des accusés avec nos frères, et nous vous requérons de vouloir bien nous comprendre dans les poursuites dirigées contre nos co-associés.

« Carin aîné, Clément, Bertholon, Bertholier, Curia, Audelle, Falque, Gorecille, Grobin, Matrod, Simonet, Crozet, Serre, Caboulet, Ollagnier, Durrière, J.-J. Rémond fils, Poncet, Demare, Gervasi. »

PROTESTATION DES MUTUELLISTES.

La société des Mutuellistes de Lyon, placée par le seul fait de sa volonté en dehors du cercle politique, croyait n’avoir à redouter aucune agression de la part des hommes du pouvoir, lorsque la loi contre les associations est venue lui révéler son erreur ; cette loi monstrueuse, œuvre du vandalisme le plus sauvage, violant les droits les plus sacrés, ordonne aux membres de cette société de briser les liens qui les unissent et de se séparer ! Les Mutuellistes ont dû examiner et délibérer.

« Considérant en thèse générale que l’association est le droit naturel de tous les hommes, qu’il est la source de tous progrès, de toute civilisation, que ce droit n’est point une concession des lois humaines, mais le résultat des vœux et des besoins de l’humanité écrits dans le code providentiel ;

« Considérant en particulier que l’association des travailleurs est une nécessité de notre époque, qu’elle est pour eux une condition d’existence, que toutes les lois qui y porteraient atteinte auraient pour effet immédiat de les livrer sans défense à l’égoïsme et à la rapacité de ceux qui les exploitent :

« En conséquence, les Mutuellistes protestent contre la loi liberticide des associations, et déclarent qu’ils ne courberont jamais la tête sous un joug abrutissant, que leurs réunions ne seront point suspendues, et, s’appuyant sur le droit le plus inviolable, celui de vivre en travaillant, ils sauront résister, avec toute l’énergie qui caractérise des hommes libres, à toutes tentatives brutales, et ne reculeront devant aucun sacrifice pour la défense d’un droit qu’aucune puissance humaine ne saurait leur ravir. »

(Suivent plus de 2,544 signatures.)

DU CONSEIL DES PRUD’HOMMES.

Quelque mesquine que soit l’institution, l’organisation de notre conseil des prud’hommes, et sans chercher à effacer par l’énumération de ceux qu’il aurait pu rendre, les services qu’il a rendus ; persuadés aussi que quelques efforts qu’on fasse pour détruire les fruits que nous attendons dans l’avenir pour l’intérêt de tous en général, mais surtout pour celui des travailleurs, [2.2]nous croyons devoir rappeler à ce conseil l’attention que nous lui donnons, en l’invitant à réformer un usage consacré par l’habitude, il est vrai, mais qui n’en est pas moins un vice à corriger pour que cet autre tribunal de conciliation ne soit pas une institution-fantôme comme tant d’autres. – Or, voici notre grief :

La plupart des causes, et généralement celles qui renferment le plus d’intérêt, et qui par cette raison auraient le plus besoin de publicité, cette sauvegarde des relations entre travailleurs et dispensateurs du travail sont ordinairement closes par un renvoi à une expertise particulière, et échappent ainsi au contrôle des intéressés. – Ce n’est pas que nous trouvions mauvais ce mode de conciliation entre deux intérêts l’un par l’autre froissés ; et à Dieu ne plaise que nous donnions à penser ici que nous portons une affection grande aux cours et tribunaux, aux procès et aux condamnations car cette erreur serait grande si elle pouvait, ce que nous ne pensons pas, trouver accès près de nos lecteurs, et chez ceux à qui nous adressons aujourd’hui quelques observations.

Mais ne serait-il pas juste, pour se conformer à l’abolition du huis-clos (sauf les cas très rares où il pourrait être nécessaire), ne serait-il pas juste, disons-nous, que le conseil des prud’hommes, toute cause appelée et les parties entendues, sanctionnât par la publicité le résultat de la décision des experts par lui nommés pour résoudre toute contestation ? – Ceci nous semblerait à la fois équitable et moral, et sauverait le conseil des prud’hommes de cette accusation portée, non sans quelque raison, contre la majeure partie de ses membres, qu’ils veulent éluder la publicité et arracher au peuple l’une de ses conquêtes.

Telle est la question que nous leur posons aujourd’hui, en les conviant à vouloir bien lui donner quelques réflexions ; car nous croyons notre réclamation juste et fondée, et nous la pensons digne de quelque attention de la part de MM. les prud’hommes.

Toutefois, sans préjuger le cas qu’ils en feront, il est de notre devoir, à nous mandataires des travailleurs, de les appeler à corriger ce vice qui, en bien peu de temps, a déjà jeté de nombreuses racines. – C’est pourquoi nous invitons tous ceux qui, placés dans les diverses conditions de la classe des travailleurs, dont nous sommes l’organe naturel, se trouveraient dans le cas ci-dessus indiqué, à nous fournir les moyens de rendre à la publicité les causes qui lui seraient enlevées par la conciliation par experts, en nous faisant connaître leurs décisions que nous livrerons à notre tour à l’appréciation du public.

Nous croyons que dans ce cas il y aura profit pour tous, et que chefs d’atelier, fabricant, compagnons et apprentis trouveront dans la publicité donnée à toutes les causes de ce genre, des garanties de justice qu’ils ne sauraient bien certainement trouver dans la non-publicité.

Dimanche, 30 mars, plusieurs Mutuellistes réunis en famille ont fait entr’eux une souscription en faveur des blessés de Novembre qui a produit la somme de 15 fr. 10 c., qui ont été versés à notre bureau.

Une somme de 15 fr. nous a également été remis par une dame républicaine de 95.

[3.1]Notre journal étant clos le vendredi soir, nous rendrons compte du procès des Mutuellistes et des Ferrandiniers dans notre prochain numéro.

AU RÉDACTEUR.

Lyon, le avril 1834.

Je vous prie, Monsieur, de vouloir bien insérer dans votre journal cet article, comme suite à la réponse que vous avez faite à la 16e lettre départementale.

Comme vous, Monsieur, je prends un vif intérêt à tout le bien-être désirable pour la classe ouvrière, surtout pour celle attachée spécialement à la fabrique de soieries, la plus nombreuse, la plus intéressante, celle qui donne la vie et le mouvement à toutes les autres industries de Lyon.

Ayant l’habitude de lire votre journal, j’ai remarqué dans le N° de dimanche 23 mars, qu’au sujet du Courrier de Lyon, qui n’est pas l’ami des ouvriers, tant s’en faut, vous faites mention d’une pièce que vous y avez lue sous le titre de 16e lettre départementale. L’auteur de cette lettre, à travers quelques réflexions justes, a commis des erreurs graves que vous réfutez avec beaucoup de sagacité ; mais, comme l’auteur de la lettre, vous avez omis, en parlant des loyers, de signaler l’impôt des portes et fenêtres comme une surcharge aggravante des loyers. S’il faut rigoureusement que nous payons l’air que nous respirons, au moins l’impôt devrait être réparti plus équitablement ; l’ouvrier qui vit de son travail journalier paie plus que le riche occupant un magnifique appartement ; il faut, pour les ateliers de fabrique plus d’ouvertures que pour les belles maisons placées dans les plus riches quartiers. – Exemple : Un ouvrier payant 150 fr. de loyer, ayant trois croisées, paie 6 fr. 75 c. pour contributions de portes et fenêtres. – Autre payant 200 fr., ayant six croisées, est taxé à 13 fr. 50 c., et ainsi de suite. Il y a beaucoup d’ateliers de 8 et 9 croisées, dont le prix du loyer n’excède pas 300 fr., et dont l’impôt des portes et fenêtres monte à 18 et 20 fr. 23 c., tandis que dans les plus beaux quartiers, un appartement de 1,800, 2,000 fr. et plus ne paie pas davantage, les classes sont les mêmes ; un magnifique salon, pièce superflue, ayant deux croisées, paie 4 fr. 30 c. seulement, et le malheureux ouvrier, travaillant 16 heures par jour, à qui il faut beaucoup d’ouvertures pour son genre de travail, paie jusqu’à 20 fr. 25 c. Ces riches négocians, ces grands capitalistes, occupant des appartemens somptueux, ne paient presque rien comparativement. En voila assez pour démontrer que c’est l’impôt le plus onéreux à l’ouvrier, et même à la cité, parce qu’il tend à faire sortir beaucoup d’ouvriers, attendu qu’on ne paie que moitié hors des barrières.

L’impôt des portes et fenêtres a été créé par la loi du 4 frimaire an VII de la république, mais seulement temporairement et à un taux très modique ; mais comme il faut que le poids qui pèse sur le peuple s’accroisse toujours jusqu’à ce qu’il succombe, cette contribution a fait comme les autres, elle s’est accrue annuellement jusqu’à devenir insupportable.

Le 4 germinal an XI, art. 19 de la loi qui fixait la contribution des portes et fenêtres, le législateur, jugeant combien il était injuste et impolitique de faire supporter cette taxe à la classe ouvrière, exempta les ouvertures des ateliers pour les fabriques de l’impôt des portes et fenêtres. La majeure partie des fabriques du royaume jouissent de cette exemption prononcée par la loi du 4 germinal an XI. Pourquoi celles de Lyon ne jouiraient-elles pas de la même faveur ? Espérons que nos magistrats cicatriseront cette plaie qui afflige la classe manufacturière de Lyon, et qui rend les loyers intolérables.

Agréez, etc.

Un de vos lecteurs habituels.

Texte

DE LA LOI SUR LES ASSOCIATIONS,

Telle qu’elle a été adoptée par la chambre des députés.

Art. 1er. « Les dispositions de l’art. 29l du code pénal sont applicables aux associations de plus de 20 personnes, alors même que ces associations seraient partagées en sections d’un nombre moindre, et qu’elles ne se réuniraient pas tous les jours ou à des jours marqués.
[3.2]« L’autorisation donnée par le gouvernement est toujours révocable. »

« Art. 2. Quiconque fait partie d’une association non autorisée, sera puni de deux mois à un an d’emprisonnement, et de 50 fr. à 1,000 fr. d’amende.
« L’article 463 du code pénal pourra être appliqué dans tous les cas.
« En cas de récidive, les peines pourront être portées au double.
« Les condamnés, dans ce dernier cas, pourront être soumis à la surveillance de la haute police pendant un temps qui pourra être élevé jusqu’au double de la peine. »

Art. 3. « Seront considérés comme complices et punis comme tels, ceux qui auront prêté ou loué sciemment leur maison ou appartement pour une ou plusieurs réunions d’une association non autorisée. »

Art. 4. « Les attentats contre la sûreté de l’état, commis par les associations ci-dessus mentionnées, pourront être déférés à la juridiction de la chambre des pairs, conformément à l’art. 23 de la charte constitutionnelle.
« Les délits politiques commis par lesdites associations, seront déférés au jury, conformément à l’article 69 de la charte constitutionnelle.
« Les infractions à la présente loi et à l’art. 291 du code pénal seront déférées aux tribunaux correctionnels. »
« Les dispositions du code pénal auxquelles il n’est pas dérogé par la présente loi, continueront de recevoir leur exécution. »

A la suite de cette loi d’amour, dont la discussion a réveillé de vives émotions dans le pays, fait entendre à nos gouvernans d’énergiques protestations de la part d’un grand nombre de députés (parmi lesquels d’honorables citoyens bien connus par leur prédilection pour l’ordre monarchique constitutionnel ont produit une vive et profonde sensation), de remarquables discours sont venus fixer notre attention et commander notre admiration pour ceux qui ont avec tant de noblesse et si courageusement défendu les libertés du pays fortement menacées par cette loi.

Nous aurions bien voulu qu’il nous fût possible de les enregistrer tous et les livrer à l’appréciation de nos lecteurs ; car ils sont, telle est du moins notre pensée, le prélude du dernier défi jeté à l’humanité et au progrès social par les stupides soutiens d’un ordre qui procède par la corruption, la vénalité et la démoralisation, dresse des autels à l’ignorance et au fanatisme, et fait de la misère des peuples une jouissance de plus pour ses lâches courtisans.

Toutefois, nous ne saurions résister à l’envie de reproduire ici quelques fragmens du discours prononcé par M. Pagès (de l’Arriège)1 au moment où la chambre des députés allait par son vote clore la discussion de cette loi déplorable.

« Je déclare hautement, a dit M. Pagès, que, malgré son inique arbitraire, j’aiderai le pouvoir contre toute association perturbatrice, que je le ferai avec courage, avec force, de bonne foi, sans arrière pensée. Mais je déclare aussi que sous l’empire, j’ai fait partie d’une réunion ; magistrat alors, ma maison était son asile, et jamais, jamais je n’inspirai d’ombrage. Le despotisme n’est pas la tyrannie. Si quelques bassesses se couchaient à plat-ventre devant Napoléon, planant au-dessus de cette poussière, il comptait sur la France et sur son génie […]

Je déclare que je ne ferai pas au roi des Français une injure que je n’ai faite ni à Napoléon, ni à la restauration. J’ai cru au puissant génie de l’empereur, j’ai cru à la religieuse probité de Charles X, je veux croire à la sagesse prudente de Louis-Philippe.

Si je me trompe, députés magistrats, députés fonctionnaires, je vous ajourne. (Mouvement.) Nous nous retrouverons hors de cette enceinte. Vous me verrez sur la sellette des accusés, seul devant Dieu et le pays, seul avec ma conscience, la raison et la liberté, et vous sur la pourpre, vous avec vos honneurs, vos places, vos traitemens. [4.1]La France dira si vous pouvez briser une indépendance de caractère que les Marchangy et les Bellart2ont respectée.

Aussi, si un Français, homme de bien, veut se réunir pour propager, affermir, garantir le christianisme, je suis son homme malgré vos ministres et votre loi. (Bruit au centre.)

Si un Français, homme de bien, veut se réunir pour étendre les secours de la bienfaisance à la classe pauvre et laborieuse, aux malades, aux infirmes, aux ouvriers sans travail, je suis son homme, malgré vos ministres et votre loi. (A droite : Très bien !)

Si un Français, homme de bien, veut une plus puissante diffusion de vérités acquises, de saines doctrines, de ces lumières qui préparent la moralité de l’avenir et le bonheur de l’humanité, je suis son homme, malgré vos ministres et votre loi. (Bruit confus. – Approbation aux extrémités.)

Si un Français, homme de bien, veut donner au pays la sauvegarde de l’indépendance électorale, et s’opposer à ces choix honteux qui livrent la vénalité politique à la corruption ministérielle, je suis son homme, malgré vos ministres et votre loi. (Rumeurs au centre.)

Esclave de toutes les lois justes, ennemi de toutes les lois iniques, entre les persécuteurs et les victimes, je ne balancerai jamais. Je ne connais pas de pouvoir humain qui puisse me faire apostasier Dieu, l’humanité, la France. Je désobéirai à votre loi pour obéir à ma conscience (Voix des extrémités : Très bien ! très bien !) »

La lettre suivante a été adressée à M. le préfet du Rhône :

Lyon, 1er avril 1834.

Monsieur le préfet,

J’ai l’honneur de vous informer qu’ayant été nommé à condition de ne pas siéger avec M. Labory (prud’homme désigné par le sort comme sortant), dans le cas où vous croiriez devoir passer outre, vous vouliez bien me considérer comme démissionnaire.

Agréez, M. le préfet, etc.

charnier.

De la Centralisation.

La France, a dit un philosophe éclectiquei1 de nos jours, concurremment avec l’Allemagne et l’Angleterre, a toujours donné l’initiative à l’Europe ; l’Europe est à la tête du monde civilisé, c’est-à-dire du monde chrétien, et le monde chrétien étant de sa nature très excentrique, doit entraîner dans son mouvement l’univers tout entier.

La France étant près de l’Allemagne, a quelque chose de son allure scientifique ; puis, comme elle est aussi très près de l’Angleterre, elle en reçoit un ton positif et pratique ; ce qui fait, dit-on, que notre pays possède à la fois la pratique de la science et la science de la pratique ; c’est la nation des idées, c’est tout-à-fait une position de juste-milieu.

Ne vous évertuez pas à chercher la couleur politique du philosophe : qu’il vous suffise de savoir qu’il est docteur en Sorbonne, professeur au collège de France, et que lorsque le temps lui permet de se délasser un peu de ses travaux philosophiques, il vient s’asseoir à la chambre de nos représentans pour appuyer les projets de loi que le gouvernement veut bien y présenter, à la plus grande gloire de l’ordre et du progrès.

Nous en sommes restés à la France ; jusqu’à présent la dissection des impulsions réciproques de nations à nations était, sinon acceptable, au moins supportable ; [4.2]mais voici que, demandant à notre nation où elle-même puise sa force virile, il n’hésite pas à répondre : Paris. Je concevrais à peine qu’on vienne gratuitement renforcer un préjugé de tout le poids d’une gravité philosophique, si la conséquence du principe énoncé ne m’en donnait la prompte explication.

Paris lui-même, continue notre moraliste, est conduit intellectuellement par quelques hommes d’élite, quelques esprits supérieurs et profonds ; de telle sorte que sans nous en douter, nous vivons réellement sous une oligarchie morale universelle ; or, comme il est presque impossible de ne pas admettre qu’un docteur en Sorbonne, professeur au collège de France et membre du corps législatif, doive nécessairement faire partie de ce petit comité, par cette hiérarchie ingénieuse, le psychologue saute d’un seul bond des bancs du centre au trône de l’univers : l’escalade est merveilleuse.

C’est qu’en effet, que ce soit un principe ou une personnalité, ce n’est certes pas la philosophie du sens commun qui peut inspirer de telles utopies ; dire que la France est la clé de voûte de l’Europe, ceci est presque incontestable ; mais ajouter que Paris est à la France ce que la France est à l’Europe, c’est peut-être dire ce qui devrait être, mais non pas certainement ce qui est.

Sans doute Paris est le centre où viennent converger toutes les lumières extérieures ; Paris a dans son sein les élémens de tout progrès, le germe de toutes les innovations ; Paris est brillant, fastueux, plein de luxe, on y respire une atmosphère artistique, les sensations s’y succèdent rapidement ; c’est, si vous voulez, un monde d’illusion, un prisme permanent ; les bibliothèques, les musées, les concerts, les bals et les spectacles ne vous laissent, comme on dit, que l’embarras du choix : mais voulez-vous que ces illusions disparaissent, que ce prisme soit détruit ? Approchez de plus près, ne restez pas à l’écart dans les rêves de votre imagination ; l’idéal et le réel n’ont jamais été plus disparates, le positif prévient les déceptions : approchez-vous.

D’abord Paris, quoique grand, a sa circonscription tracée, les établissemens en tous genres, quoique fort multipliés, ne sauraient donner place à tous, et s’il et un endroit où la concurrence se montre dans toute sa hideur, où l’anarchie industrielle soit à l’apogée de son affreux développement, c’est bien en ce lieu, où l’accumulation des hommes et des choses établissent un conflit tel que ce n’est que par l’exploitation et le froissement du plus grand nombre que quelques-uns peuvent surgir de la foule.

Paris, avec toutes les conditions de splendeur qu’il possède, s’est assigné une tâche immense, un devoir imposant, car il s’est posé le tuteur absolu du reste de la France ; il y a même du dictateur dans son fait ; mais ce n’est pas une usurpation puisque tous les autres grand points qui pouvaient, eux aussi, aspirer à un tel honneur, se sont inclinés humblement devant lui ; c’est presque une élection spontanée. Cette acclamation générale (je demande pardon de ma témérité à attaquer ce fier colosse) en fit un despote qui, semblable à de hauts fonctionnaires, reçoit beaucoup plus qu’il ne donne et garde beaucoup plus qu’il ne rend.

Maintenant qu’une semblable accusation est portée, je tiens à honneur de prouver que, loin d’être une calomnie, c’est tout au plus une médisance, et pour cela je n’entasserai pas injures sur injures contre l’idole qu’il d’agit de renverser, mais je m’en plaindrai simplement à ses adorateurs en leur demandant compte de leur adoration et de ses résultats.

[5.1]Si nous cherchons impartialement la cause première de cette centralisation, nous la trouverons dans la résidence habituelle des premiers pouvoirs de l’état ; mais ce n’est vraiment pas encore la plus forte cause, et je crois plutôt qu’elle existe dans le préjugé des hommes de la province : depuis le plus simple ouvrier jusqu’au plus célèbre artiste, la médiocrité la plus humble comme le génie le plus vaste, n’ont tous qu’une ambition, un désir, un seul vœu : Paris ! Et ne croyez pas qu’il s’agisse ici de curiosité ni de voyages, que l’artiste veuille voir Paris comme on va visiter Rome, pour recueillir des impressions ; non, c’est un but à atteindre sur lequel il a constamment les yeux ; ce n’est pas un point de départ, mais un lieu d’attente et de repos.

L’industriel pense que là seulement peut avoir lieu son perfectionnement, et c’est peut-être le moins exclusif dans son principe, car il en fait presque un moyen ; il conserve l’espoir de s’échapper de la capitale sitôt qu’elle lui aura donné ce que son intelligence lui en fait attendre. Le commerçant ne croit pas être blasé sur toutes les roueries du mercantilisme tant qu’il n’a rien vendu à Paris ; en cela au moins il n’a peut-être pas tort. Le poète n’a qu’une gloire de bien peu d’importance, quand ses confrères ne l’ont pas vu prôné au feuilleton des journaux de Paris. L’acteur ne recherche des applaudissemens en province que pour les échanger contre un accueil de glace à Paris. Le peintre est oublié tant qu’il n’a pas reçu la sanction parisienne. Les sons du musicien n’ont de valeur que lorsqu’ils ont frappé les oreilles du département de la Seine. Les statues du sculpteur attendent en silence les appréciations de l’antique Lutèce. La fièvre est générale, c’est une parisomanie.

Pourtant, que rend Paris pour tant de richesses qu’il reçoit ? Quelle protection bienfaisante répand-il sur chacun pour accepter si gravement les félicitations de tous ? Quelle nouvelle force donne-t-il à ceux qui viennent naïvement lui révéler leur faiblesse ? Lui sait-on les moyens de récompenser toutes les peines, de guérir toutes les douleurs, d’adoucir tous les désespoirs ? La négative à toutes ces questions est chose incontestable. Tient-on à savoir comment il s’acquitte ? Voici la moyenne de sa reconnaissance : à l’industriel, beaucoup de tracas et de peines sans amélioration bien sensible ; au commerçant, une faillite ; au poète, trois lignes d’un feuilleton ; à l’acteur, une prévention décourageante, au peintre, une causerie de salon ; au musicien, un froid orchestre ; au sculpteur, une critique à travers un lorgnon.

Après tout, croyez-vous que ce soit de sa faute ? Moi je trouve son ingratitude tout-à-fait indépendante de sa volonté ; il n’a vraiment pas le temps de créer des réputations, c’est-à-peine s’il peut respirer. Dans ce tourbillon d’actualités chacun peut avoir son tour ; mais c’est une mer agitée qui ne montre jamais deux fois la même vague, quelles que soient sa dimension et sa force ; il faudrait vraiment que la renommée possédât un nombre de voix illimité, encore pourrait-elle perdre haleine.

A la France entière appartient l’élaboration complète des doctrines nouvelles et la sanction rationnelle des talens dont notre pays s’honore ; Paris a peut-être prononcé leurs noms, c’est là trop souvent toute sa tâche. A l’intelligence de tous le développement de leurs œuvres ; pourquoi les autres villes nationales resteraient-elles en arrière, victimes d’un préjugé funeste ? Pourquoi se contenter du rôle de satellite quand ou a assez de virilité pour être planète ?

Non, non, Paris n’est pas à la France ce que la [5.2] France est à l’Europe ; Paris est ville de France ; il peut avoir un caractère qui le distingue, mais ce n’est pas celui que l’erreur lui concède : voyez la presse, ce pouvoir si immense de nos jours ; voyez, dis-je, la presse départementale et la presse parisienne, et dites, la main sur la conscience, si Paris mérite sincèrement le titre d’initiateur ?

Que les villes dites secondaires fassent donc surgir en dehors du bon plaisir de Paris des réputations à elles sans se soucier des murmures du tyran : la diffusion des lumières doit nécessairement amener la décentralisation complète.

stourm, Parisien.


i. M. Jouffroy, Mélanges philosophiques.

Au Rédacteur de l’écho de la fabrique.

Lyon, 3 avril 1834.

Monsieur,

Quatre chefs d’atelier, MM. Chardonnait, Millet, Marrel et Plantard, ont cru devoir faire insérer dans votre dernier numéro une lettre de nature à porter atteinte à ma considération. Je suis bien obligé, quelque regret qu’il m’en coûte, de repousser une attaque que je n’avais nullement provoquée.

Les quatre signataires parlent des conférences que j’ai eues au commencement de l’année avec une députation de chefs d’atelier : « Nous nous étions présentés, disent-ils, chez ce négociant dans la première quinzaine de janvier… ; il nous promit alors sur l’honneur, et à trois reprises successives, qu’il paierait cet article 1 fr. 20 c., etc. » Or, voyons quelle confiance méritent ces paroles.

M. Chardonnait ne s’est présenté chez moi avec la députation que le premier jour où je reçus sa visite, le samedi 11 janvier, quand elle m’annonça que si je ne consentais pas le prix demandé, les métiers que j’avais montés dans cet article s’arrêteraient le lundi suivant. Puisqu’ils s’arrêtèrent en effet le jour indiqué, apparemment je n’avais rien promis en présence de M. Chardonnait ; depuis lors je ne l’ai pas revu. – M. Chardonnait ne peut donc pas avoir dit vrai.

Quant à MM. Millet et Marrel, ils n’ont fait partie ni l’un ni l’autre de la députation des chefs d’atelier ; je ne les ai pas vus une seule fois pendant la discussion qui a duré du samedi 11 au mercredi 15 janvier. Ils n’en parlent pas moins comme ayant pris part à des conférences auxquelles ils ont été absolument étrangers. – MM. Millet et Marrel ne peuvent donc pas être crus.

M. Plantard a signé que j’avais promis à trois reprises, et ensuite que je refusais de donner fr. 20 c. Quant à la première allégation, M. Plantard doit se rappeler que le matin du mercredi 15, dernier jour du débat, je lui dis, dans un tête-à-tête qui ne peut être sorti de sa mémoire, que je quitterais mon état plutôt que de céder à l’acte de violence sous lequel je me trouvais ; je n’avais donc encore rien promis alors. Quant à la seconde, lorsque M. Plantard a donné sa signature à la lettre qui la contient, il avait toutes ses pièces portées à 1 fr. 20 c. au compte d’argent de son livre. – M. Plantard a donc des distractions qui ne permettent pas d’ajouter foi à son témoignage.

J’avais dit précédemment, dans une de vos feuilles, qu’il y avait eu promesse de la part d’une députation de chefs d’atelier de me garantir de la contre-façon, et de ma part promesse par réciprocité de payer 1 fr. 20 c. Pour infirmer mon dire, on sent bien qu’il eût fallu que les membres de cette députation l’eussent contredit : et cela n’a pas eu lieu.

Les quatre signataires me gourmandent de ce que j’ai pu croire qu’on me garantirait de la contre-façon ; j’avoue humblement que je l’avais cru Mais le tort de ma crédulité s’efface devant l’aveu que j’en fais. On n’acquiert l’expérience qu’à ses dépens, et je ne pense pas qu’on me fisse une autre fois un semblable reproche.

Maintenant je me demande, en finissant, qui a pu porter à la démarche dont je m’étonne autant que je m’en plains, des hommes avec lesquels je n’avais eu jusqu’alors que des rapports agréables, et qui avaient entr’eux dix métiers travaillant pour moi, lorsqu’ils ont résolu de me faire un acte d’agression si peu justifié ? J’avais des raisons de me croire dispensé de payer 1 fr. 20 c. l’article qu’ils fabriquaient ; toutefois, je m’y étais décidé par des motifs de convenance dont je n’ai pas à rendre compte ici. Que voulaient de plus les signataires ?

S’ils ont été mus par quelque sentiment d’animosité que je ne saurais m’expliquer ; s’ils ont eu l’intention de me faire de la peine, je puis leur dire qu’ils ont complètement réussi. Rien ne pouvait m’être [6.1]plus douloureux qu’un doute exprime publiquement à l’égard de ma loyauté.

Je vous prie, M. le rédacteur, de vouloir bien admettre dans votre prochain N°, cette réponse, qui sera la seule que je fasse, quoi qu’il puisse arriver, et agréez pour vous l’assurance de ma considération distinguée.

L. bonand.

Note du rédacteur. – Nous devons dire ici que les formes dans lesquelles M. Bonand se renferme pour démentir les faits avancés par MM. Chardonnait, Plantard, Millet et Marrel seraient de nature à nous faire soupçonner l’authenticité de ces faits s’il pouvait nous être permis de nous établir juges dans ce cas, et nous avons du reste une répugnance extrême à nous arrêter à un tel soupçon ; car nous ne saurions éprouver de sentiment plus pénible que celui d’avoir servi d’organe à des allégations mensongères, comme nous verrions avec la peine la plus grande que parmi les travailleurs des hommes se trouvent qui emploient de telles armes pour nuire à un citoyen, quelle que soit du reste sa position sociale.

La presse a commencé ce débat, la presse l’achèvera et rendra justice à qui de droit : c’est dans cette espérance du moins que nous nous sommes empressés de céder à l’invitation de M. Bonand.

CONSEIL DES PRUD’HOMMES,

(préside par M. riboud.)

Audience du avril 1834.

Mlle Maret ayant occupé chez elle pendant l’espace de dix mois, sous la foi des conventions verbales, la fille Roguet, en qualité d’apprentie, fait comparaître le père de cette dernière pour lui réclamer une indemnité, attendu qu’il l’avait retirée chez lui avant la fin de son apprentissage.

Roguet a répondu qu’il avait placé sa fille à gage et non en qualité d’apprentie ; mais, d’après l’enquête qui en a été faite, le conseil a reconnu que la fille Roguet avait été placée et occupée en qualité d’apprentie, et non autrement, et condamné Roguet à payer à Mlle Maret la somme de 90 fr, à titre d’indemnité, et les dépens en sus.

Lorsqu’il est constaté qu’un chef d’atelier maltraite son apprenti et se livre à des voies de fait envers lui, le conseil résilie les engagemens sans indemnité.

Ainsi jugé entre Mme Boudet et Mlle Lagrange.

Mme Michaland fait comparaître Mlle Giraud et son tuteur, pour réclamer une indemnité à ce dernier, attendu qu’elle avait occupé ladite demoiselle en qualité d’apprentie pendant l’espace de 13 mois sans engagement, ni verbal, ni par écrit.

Lorsqu’il a été constaté que Mlle Giraud avait fait un apprentissage suffisant chez Raphaël, chef d’atelier, avant d’entrer chez Mme Michaland, qui avait profité de son travail en achevant de la perfectionner, le conseil a débouté Mme Michaland de toutes ses réclamations envers Mlle Giraud et son tuteur.

Vuillermet, chef d’atelier, fait comparaître Bernard et Ce, négocians, pour leur réclamer une indemnité pour le montage d’un métier qu’ils avaient cessé trop tôt de faire travailler.

Lorsqu’il a été constaté que Vuillermet avait reçu une disposition qui lui avait été très peu dispendieuse, et que la négligence qu’il avait mise dans son travail lui [6.2]avait occasionné le refus d’une autre pièce, le conseil l’a débouté de sa réclamation.

Lorsqu’un chef d’atelier renvoie son élève pour des raisons légales, il a droit de réclamer une indemnité.

Ainsi jugé entre Mme Dufour et Clavel, qui a été condamné à payer une indemnité de 90 fr. en faveur de Mme Dufour.

Littérature.le temps.

Fugit irreparabile tempus.

Jeté par l’Eternel sur un point de la terre,
Homme, fils du néant, j’interroge des yeux
Et les monts et les mers, et la voûte des cieux,
Et les moindres objets que la nature enserre.
A peine ai-je sur eux porté quelques regards
Qu’ils semblent fuir de toutes parts,
Poussés par une main terrible :
Saisi moi-même, alors, le cœur transi d’effroi,
Je cède à la force invincible
Dont le rapide élan m’entraîne malgré moi.

Quel est ce mouvement, cette action puissante,
A qui rien ici-bas ne saurait résister,
Qui fait naître et mourir, tomber et subsister
Au sein des élémens l’animal et la plante ?
Qui, des astres divers précipitant le cours,
Mesure les nuits et les jours
Par le plus inconstant partage ?
Quel est cet être, enfin, qui n’a point de repos
Qu’il n’ait dévoré son ouvrage,
Et plongé l’univers dans son premier chaos ?

Mais lorsqu’à le chercher ma vue au loin s’égare,
Le Temps, le Temps lui-même a déjà fendu l’air,
Et sur un char ailé, glissant comme l’éclair,
Me laisse épouvanté de sa fuite barbare.
Ainsi, toujours fidèle à sa mobilité,
Le Temps avec rapidité
S’élance et dévore l’espace :
Implacable ennemi, tyran fier et jaloux,
Partout il imprime sa trace,
Et proscrit l’univers dans son vaste courroux.

Eh ! que sont devenus ces peuples, ces empires
Qui pesaient sur la terre aux jours de leur grandeur ?
Que reste-t-il, hélas ! de leur vaine splendeur ?
Le Temps les a détruits… O terre, tu respires !
Sous le niveau fatal pêle-mêle entassés,
Leurs débris confus, dispersés
Ne sont qu’une cendre mouvante ;
Et ceux qu’éclaire encor l’astre brillant du jour
Tomberont sous la faulx tranchante
Du temps qui les fait vivre et périr tour-à-tour.

Qui pourrait nous sauver de ses affreux ravages ?
Sa pitié, même, encor nous réserve l’affront
Que son doigt ennemi grave sur notre front,
Ou s’impriment des ans les terribles outrages.
Beauté, grâces, jeunesse, au déclin d’un seul jour,
D’une aurore, hélas ! sans retour,
Ont vu s’évanouir leurs charmes :
Le doux parfum des fleurs s’exhale en un matin ;
Malgré nos cris, malgré nos larmes,
Naître, changer, mourir, c’est le commun destin.

Mais que dis-je ? au désert, d’immenses pyramides
Du temps qui les créa semblent braver l’effort :
Ces sombres monumens, asiles de la mort,
Triompheraient-ils seuls de ses mains parricides ?
Ah ! si leurs vastes flancs ne sont pas attaqués,
[7.1]Voyez, de leurs sommets tronqués,
Descendre une antique poussière :
Chaque siècle en passant, heurte, lève sans bruit
Une pierre encore, une pierre,
L’édifice ébranlé croule et tout est détruit.

O Temps ! cruel auteur de notre long supplice,
Jusques à quand sur nous pèsera ton pouvoir !
Victimes du trépas, n’avons-nous plus l’espoir
D’échapper à la mort, ta fatale complice ?
Ah ! j’en crois cet instinct, ce rayon de clarté,
Que Dieu lui-même en sa bonté
Daigna mettre au fond de mon ame :
O temps ! tu dois finir et la mort avec toi ;
C’est la justice qui réclame
Pour vous l’affreux néant, l’éternité pour moi !

Oui j’entrevois le jour de sublime espérance
Où le Dieu trois fois saint, apaisé pour jamais,
Rendra, sans repentir, le bonheur et la paix
A nos cœurs trop long-temps brisés par la souffrance.
Quand ce Dieu, tout amour, renouvelant les cieux,
Viendra, triomphant, glorieux,
S’unir à notre ame ravie !
Le Temps cessera d’être, et la mort à son tour,
Absorbée, enfin, par la vie,
N’aura pas même un nom dans l’éternel séjour.

Adrien beuque.

Chansons de M. Lange Chiarini.

Quoi qu’en disent les moralistes, la chanson n’a pas encore perdu sa vogue, on chante encore en France, surtout depuis Béranger. Oui, nous aimons à nous reposer de l’ennui des discussions politiques en chantant quelques joyeux refrains, ou quelques odes à la patrie, à la liberté et à la gloire passée. La chanson, comme jadis, est encore un besoin des Français ; c’est en chantant que l’on fit la révolution de juillet, et la Marseillaise, courant les rues et les carrefours, enfantait des combattans. Aussi voyez, depuis les succès et la gloire de Béranger, que de chansonniers de toutes les couleurs ; et ce genre, si futile en apparence, laisse pourtant connaître bien peu de noms ; c’est que la chanson demande plus que de l’esprit, il lui faut de l’inspiration ; la chanson est l’ode moderne, chargée de gémir, de pleurer, de célébrer toutes les gloires, d’animer les repas en faisant pétiller le Champagne, de jeter aux cœurs aimans des vers d’amour et de bonheur, et parfois aussi de se faire grotesque, bouffonne, mordante, satirique, pour que chacun y puisse trouver ce qui convient à ses goûts et à son caractère.

Vous donc qui aimez encore à rire, qui n’avez pas abjuré l’ancienne gaîté, qui ne vous effrayez pas d’un langage un peu grivois ou des accens d’un vieux troupier, nous vous engageons à lire le nouveau recueil de M. lange. Il ne faut pas croire pourtant que M. Lange ne se borne qu’à chanter le vin, les fêtes ou les soldats ; non, sa lyre a des cordes aussi pour la patrie, et son cœur des vers pour pleurer nos malheurs et nos déceptions.

Il y a chez M. Lange une grande facilité de poésie, ses vers coulent de source ; on sent qu’il écrit sous l’inspiration du moment, qu’il s’abandonne entièrement à son caprice, et qu’il se laisse être gai ou sérieux, sans jamais se forcer.

Nous promettons un succès populaire à M. Lange, car c’est pour le peuple surtout qu’il a écrit, et le peuple manque rarement de reconnaissance pour ceux qui veulent bien parler son langage et se mettre à sa portée. D’ailleurs le nom et le talent de M. Lange comme [7.2]artiste assureraient le succès de son recueil s’il en était besoin ; mais ni l’un ni l’autre n’ont besoin de nos éloges pour avoir une excellente réputation.

(Voir les Annonces).

Variétés.
Des associations en Allemagne.

Pendant la grande lutte du continent européen contre la toute-puissance de Napoléon, une multitude de sociétés ayant toutes une tendance politique, se constituèrent dans les états d’Allemagne.

Ce fut surtout dans les universités que se manifesta cet esprit d’association qui plus tard devait contribuer si puissamment à l’affranchissement de la nation. Les gouvernemens absolus que ces sociétés effrayaient, feignirent d’ignorer leur existence, en se contentant de les surveiller et de les maintenir, de loin, dans les bornes d’une liberté raisonnable ; c’est qu’ils savaient bien que le meilleur moyen de s’attirer l’affection de leurs peuples, était de n’opposer aucun obstacle au besoin d’association qui tourmentait alors toute l’Allemagne.

Napoléon, lui, fit le contraire ; il poursuivit à outrance les sociétés politiques, et chercha par tous les moyens à les détruire. Ce fut en vain. Toute la puissance du grand homme se brisa contre l’invincible instinct du droit naturel, alors généralement senti. Chaque condamnation augmenta le nombre des associés : seulement on devint plus circonspect, on se réunit pendant la nuit, hors de la ville, dans des maisons de chétive apparence ; on alla même jusqu’à employer des déguisemens de toute espèce, pour échapper à l’inquisition de la police.

Après la malheureuse campagne de 1813, l’Allemagne eut lieu de se féliciter que les associations eussent résisté au despotisme de Napoléon. Elles fournirent un grand nombre de corps francs, qui, harcelant nuit et jour nos soldats, contribuèrent, plus que les troupes réglées, à délivrer le sol de l’Allemagne de ses ennemis.

Mais lorsque les associations eurent accompli leur mission, qui était de rendre à la patrie son indépendance première, les gouvernans firent ce qu’ils n’avaient osé tant qu’ils avaient eu besoin des société politiques. Sous prétexte qu’elles formaient un état dans l’état, ils les déclarèrent révolutionnaires et les proscrivirent.

Toutefois ils laissèrent subsister un assez grand nombre de sociétés littéraires ; ce n’est pas que les princes allemands n’eussent désiré, comme M. Barthe, anéantir le droit d’association dans son essence même ; mais, malgré leur puissance, malgré les moyens de répression dont ils disposaient, ils n’eurent pas le courage d’étendre à toutes les sociétés en général la mesure dont ils avaient frappé les réunions politiques.

En Allemagne, tous les métiers ont leurs associations, bottiers, tailleurs, tisserands, etc. ; tous sont réunis en corporation, ayant chacune ses statuts, sa caisse, ses drapeaux, et ses signes distinctifs. Celles-là aussi furent tolérées, bien qu’elles portassent ombrage au pouvoir.

Ce fut la Société de la Vertu1qui, la première, subit les persécutions des petits despotes allemands : sa réputation de carbonarisme lui valait cette insigne faveur. Tout ce que la police peut inventer de plus machiavélique fut employé pour la détruire : arrestations, condamnations, [8.1]emprisonnemens, rien ne fut ménagé. De tout cela que résulta-t-il ? Que de publiques et inoffensives qu’étaient d’abord les associations, elles se firent secrètes et ne cessèrent d’inspirer à leurs persécuteurs les plus sérieuses appréhensions. C’est qu’il n’est donné à aucun pouvoir au monde d’empêcher le rapprochement des individualités qui ont entre elles conformité d’intelligence et de croyance. Persécutés, les membres se lieront par serment ; il y aura peine de mort contre le dénonciateur, et chacun aura le courage dans l’occasion de s’armer du poignard de l’assassin.

Telles ont été en Allemagne les conséquences d’une loi contre les associations. Les gouvernemens de la Prusse, de l’Autriche, du Hanovre et de la Hesse ont bien trouvé quelques dénonciateurs, mais peu de vrais coupables. Ils ont frappé quelques hommes soupçonnés de méditer leur ruine ; mais loin de dissoudre une seule société, ils les ont multipliées à l’infini. Ainsi la Société de la Vertu, proscrite dans tous les états de l’Allemagne, s’est divisée, en moins de dix ans, en soixante sociétés, ayant toutes au fond la même constitution, la même tendance. On en poursuit une ; il en naît deux ! Et pourtant les plus ignobles moyens sont employés par le pouvoir pour désunir quoi ?… Le plus souvent des réunions qui n’ont d’autre but que de rire des frayeurs de leurs persécuteurs et de l’importance qu’on veut bien leur accorder.

(Le Temps.)

Nouvelles Diverses.

Un caporal du 38e de ligne, en garnison à Soissons, a fait représenter sur le théâtre de cette ville une pièce qui a obtenu beaucoup de succès. Le lieutenant-colonel commandant le régiment pendant l’absence de M. Garraube1, membre de la chambre des députés, commença par refuser à M. Delahodde la permission s’assister dorénavant au spectacle, et annonça qu’il allait faire savoir au colonel le délit dont M. Delahodde venait de se rendre coupable, en se permettant de faire représenter une pièce de théâtre sans l’avoir préalablement soumise à la censure de son supérieur. Peu de jours après l’ordre suivant a été affiché dans la caserne.
Ordre du 8 mars 1834.
« Le caporal Delahodde, de la première compagnie de grenadiers, est cassé de cette compagnie d’élite et passera dans une compagnie du centre ; il est en outre suspendu de ses fonctions pendant un mois, et consigné pendant ce temps pour s’être permis de faire représenter une pièce de théâtre sans en avoir obtenu l’autorisation. Le colonel du 38e de ligne, signé de garraube. »
(Tribune).

On écrit de Bourges, 20 mars :
« L’élection de Me Michel, comme bâtonnier de l’ordre des avocats, avait déjà été annulée par défaut par la cour royale de Bourges. Sur l’appel, l’affaire a été jugée jeudi 13 mars, en chambre du conseil, toutes chambres assemblées. Me Guillot, représentant du parti carliste au barreau, défendait Me Michel, représentant du parti républicain. L’élection a été cassée, par le motif que des avocats stagiaires et un avocat non inscrit au tableau y avaient concouru.

On remarque que depuis quelque temps MM. les administrateurs des églises de Paris s’occupent d’exhumer de leurs magasins si riches les meilleurs tableaux et les plus belles sculptures pour les placer en évidence dans les églises.
(Le Temps.)

Il y a à Versailles un honnête industriel qui a vingt-deux enfans, plus sa femme et sa sœur. Il vient de lui être ordonné, en vertu de la loi sur les associations, de diviser sa famille par fractions de huit personnes, et de ne les admettre à sa table qu’à tour de rôle.
(Corsaire.)

[8.2]Les associations d’ouvriers en Angleterre commencent à exciter sérieusement l’attention du gouvernement. Dans la journée du 25 mars une réunion du cabinet a eu lieu au bureau de lord Melbourne2 à ce sujet ; on a proposé plusieurs expédiens pour enlever à ces associations leur caractère menaçant ; mais on s’est séparé sans rien conclure.
(Précurseur.)

a la mémoire de dulong. – Une société de jeunes demoiselles, de Strasbourg a adressé au Courrier du Bas-Rhin 67 fr. 25 c., muni, d’une souscription pour contribuer à l’érection d’un monument à la mémoire du député Dulong. « La France entière, disent-elles, lui doit une larme de regret ; n’a-t-il pas défendu les droits de l’armée ? N’avons-nous pas dans l’armée des frères ou des parens dont il a défendu les droits ? »
(Populaire.)

« MM. lepelletier et Ce Lepelletier et Ce, directeurs de l’Office Correspondance, pour les journaux français et étrangers, fondé à Paris depuis quatre ans, viennent de publier un Nouveau Tableau statistique, offrant pour l’année 1834 la Nomenclature authentique de tous les journaux et écrits périodiques qui paraissent en France, et dont le nombre s’élève à 608 feuilles publiques ; on ne saurait trop apprécier l’utilité de cette importante publication. »

Avis

Le 15 mars, le sieur Joseph Esquin, ouvrier employé chez le sieur Prunet, ovaliste, demeurant cours d’Herbouville, n° 25, commune de la Croix-Rousse, a disparu furtivement du domicile de ce dernier, où il logeait.

Signalement : – Agé d’environ 75 ans. – Taille de 5 pieds 3 pouces, borgne.

Vêtemens : – Veste grise en coton. – Pantalon de drap gris. – Coiffé d’une casquette en mauvais état. – Chaussé avec des souliers.

Les personnes qui pourront donner des renseignemens sur cet individu sont priées de les adresser à la préfecture de Rhône, division de la police.

AVIS DIVERS.

Un jeune homme, qui a fait d’excellentes études et a déjà obtenu la confiance de plusieurs personnes pour l’éducation particulière de leurs enfans, désirerait trouver encore quelques élèves.
S’adresser hôtel Bourgoin, place de la Boucherie-des-Terreaux, n° 1.

(322) A VENDRE, pour cause d’infirmité, un magasin d’épicier-revendeur, bien achalandé, dans un quartier d’ouvriers. S’adresser à la Croix-Rousse : place de la Visitation, grande maison Perrein ; n. 1, au sieur Reyjoly, épicier.

(317) A VENDRE une mécanique en 744 courant, corps et remisse en soie, travaillant pour étoffes d’ameublement. S’adresser au bureau.

(320) A VENDRE, 2 métiers de schalls 6/4, en 1,500, avec suite d’ouvrage et suite de loyer si l’acheteur le désire. – S’adresser au bureau.

(320) A VENDRE, une banque de 50 tavelles pour grège ; un doublage ou trancanage de 50 à 100 broches ; 2 métiers mécaniques à rotation en fer. S’adresser à M. Ardin, vis-à-vis le pont de la Gare, à Vaise.

LA LYRE RÉPUBLICAINE,
Chansonnier des patriotes.
publié par m. lange chiarini.
Déjà quatre livraisons sont en vente chez MM. Babeuf et Baron, libraires, et Perret, imprimeur, rue St-Dominique, n° 13.
Et au bureau de l’Echo de la fabrique.

Notes (  SOMMAIRE. [1.1] Procès de l’Echo de la...)
1. Il s’agit du tout dernier numéro avant l’insurrection qui commencera trois jours plus tard pour se terminer le 15 avril. L’Écho de la Fabrique, enregistrant ici sa première interruption depuis octobre 1831, ne reparaîtra que le 27 avril et publiera son tout dernier numéro le 4 mai 1834.

Notes ( Texte)
1. Jean-Pierre Pagès dit Pagès de l’Ariège (1784-1866), député de l’Ariège dès 1831, opposant au parti de l’ordre il prendra au tournant des années 1833-1834 la défense des associations.
2. Référence à Louis-Antoine-François de Marchangy (1782-1826) et à Nicolas-François Bellart (1761-1826) deux hauts magistrats qui, sous la Restauration, avaient accablé la presse et le droit d’expression.

Notes ( De la Centralisation.)
1. Philosophe éclectique (dont on cite ici les Mélanges philosophiques parus à Paris en 1822), Théodore Jouffroy (1796-1842) était aussi, depuis 1831, député conservateur du Doubs.

Notes ( Variétés.
Des associations en Allemagne.)

1. Fondée en 1813 en Allemagne par des étudiants, la société de l’Union de la Vertu (Tugend-Bund), société secrète, complotait pour l’expulsion des Français.

Notes (Nouvelles Diverses. Un caporal du 38 e  de...)
1. Jean-Alexandre Garraube (1790-1859), militaire, député conservateur de la Dordogne depuis 1831.
2. William Lamb (1779-1848), vicomte de Melbourne, homme politique whig, secrétaire d’État puis Premier ministre au début des années 1830.

 

 

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