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15 mars 1834 - Numéro 34
 
 




 
 
     

EPHEMERIDES LEGISLATIVES.

[1.1]Chambre des députés1. – mars. – Suite de la discussion du projet de loi sur les attributions municipales.

mars. – Suite. Idem. – Rapport par M. Gaillard Kerbertin du projet de loi sur la résidence des réfugiés en France. Il conclut à son adoption en étendant à deux ans le délai d’une année demandé par les ministres, et en soumettant à une pénalité applicable par le tribunal de police correctionnel, les réfugiés qui n’obéiraient pas à l’ordre de sortir de France ou rentreraient sans autorisation. – M. Dusserré fait le rapport du projet de loi portant demande de 1,500,000 fr. pour secours aux réfugiés politiques ; il conclut à son adoption en réduisant le chiffre à 1,180,000 f. – M. Salverte demande à interpeller M. d’Argout sur les assommages du 23 février. Le président élève une discussion à ce sujet, laquelle est renvoyée au lendemain.

5. - Après une longue discussion, dans laquelle MM. Garnier-Pagès, Odilon Barrot, Mauguin, sont entendus pour, et MM. Guizot, Viennet, contre, la chambre décide que les interpellations auront lieu demain. – Suite de la discussion sur les attributions municipales.

6. M. Jaubert lit un rapport sur la demande de 2,000,000 pour pensions militaires, et conclut à l’adoption. – M. Martin, du Nord, fait le rapport du projet de loi contre les associations, et conclut à l’adoption avec des amendemens qui consistent 1° à augmenter la peine d’emprisonnement ; 2° soumettre aux mêmes peines que les sociétaires ceux qui prêteront leur domicile ; 3° définir les attentats contre la sûreté de l’état par le rappel des articles 76,77, 84, 86, 87, 88, 89, 91 et 92 du code pénal ; et 4° permettre les réunions électorales pourvu qu’elles n’aient lieu qu’après l’ordonnance de convocation, et qu’elles ne soient pas affiliées à des réunions semblables dans d’autres départemens. – M. Salverte a la parole pour ses interpellations ; il établit, par un grand nombre de témoignages, qu’une bande d’assommeurs, sans aucun empêchement de l’autorité, a, dans la journée du dimanche 23 février dernier, commis des assassinats sur la place de la Bourse, à Paris (lire le détail dans la Tribune et le National du 7 mars) ; il est soutenu par MM. Baude, Drault, Mauguin, Cabet ; M. d’Argout, ministre, nie ; il avoue cependant que 17 sergens de ville et 20 agens de la brigade de sûreté (forçats libérés la plupart) étaient en habits bourgeois sur cette place. Il avoue que l’un d’eux (M. Rousseau fils) a été renvoyé pour avoir frappé un citoyen inoffensif. Il annonce qu’une enquête judiciaire est commencée ; il cherche à justifier l’introduction des sergens de ville en costume bourgeois dans les groupes ; les députés républicains s’élèvent contre cette illégalité. – M. Odilon Barrot fait observer qu’attendu l’enquête judiciaire, l’enquête parlementaire n’a plus d’objet ; M. Laffitte appuie cette observation. M. Salverte retire sa proposition, et la séance est levée.

7. – M. Remusat fait le rapport de deux projets de loi pour des crédits supplémentaires de l’exercice 1854 ; savoir : l’un de 24,518,000 f. au ministre de la guerre, et l’autre, de 2,100,000 à celui de la marine, et conclut à leur adoption. – Suite de la discussion du projet de loi sur les attributions municipales.

8. – Rapport de la commission de pétitions. – Le sieur Bardineq, huissier à Thèse (Basses-Pyrénées), demande la grace des ministres de Charles X ; la chambre passe à l’ordre du jour, moins MM. Lachèse, Lamartine et Valette des Ormeaux ; le premier avait spécialement parlé en faveur de M. Chantelauze. – Discussion de la proposition de M. Anisson du Perron sur le défrichement des forêts ; elle est prise en considération. – Suite de la discussion du projet de loi sur les attributions municipales.

10.– M. Jouvencel fait le rapport de divers projets de loi d’intérêt local. – M. Dubois Aymé lit une proposition tendant à autoriser le séjour en France des parens et alliés de Napoléon ; elle sera développée le samedi suivant. – Le ministre des finances donne lecture du projet de loi portant réglement définitif des comptes de 1832 ; ce budget est fixé à l,175,800,000. – M. Lachèse fils demande et obtient un congé pour assister au conseil général de son département, convoqué à l’effet d’examiner le projet de translation de la préfecture de Montbrison à St-Etienne. – M. Jay fait le rapport et conclut à l’adoption du projet de loi relatif au traité du juillet 1831 entre la France et les Etats-Unis. Suite du projet de loi sur les attributions municipales. Il est adopté par 214 voix contre 67.

Chambre des pairs – mars. – Discussion du projet de loi relatif à l’organisation du conseil général, et des conseils d’arrondissement de la Seine, et du conseil municipal de Paris.

4. – Suite. Idem.

5. – Idem. Il est adopté par 75 voix contre 36.

7. – Nomination de divers commissions (celle sur le divorce est composée de MM. Caffarelli, Chabrol, Cornudet, Faure, Lepoitevin, Mallouet, Montesquiou et Tripier). – M. Humblot Comté développe sa proposition sur les chemins vicinaux ; elle est prise en considération.

des idées et des tendances nouvelles.

Il n’est personne, pour peu qu’il se tienne au courant des oscillations politiques et qu’il suive les mouvemens sociaux, il n’est personne qui n’ait été frappé d’un fait important qui s’accomplit aujourd’hui dans le monde ; qui n’ait observé et senti que de toutes parts les idées prennent un autre aspect, les tendances une autre direction. Il n’est personne qui n’ait vu une profonde attestation de ce fait dans cette foules de sectes et d’écoles contemporaines qui nous apparaissent avec des formules différentes, mais avec un programme uniforme de réorganisation pacifique ; dans ces milliers de jeunes hommes qui, sous la bannière de St-Simon ou sous l’étendard de Fourrier, arrivent tous avec des systématisations diverses, mais avec la même promesse d’un monde régénéré, la même espérance d’une société nouvelle et ce même instinct de progrès dont telle est déjà la puissance, qu’il a poussé quelques-uns d’entr’eux jusqu’aux frontières de la folie, jusqu’au seuil de Charenton.

Ce travail de transformation qui s’opère dans les esprits, ce vague pressentiment qui remue les ames, tout cela est trop évident pour qu’on l’ait en dédain ou qu’on le passe sous silence. La mission du journalisme est d’en apprécier la cause et d’en rechercher la portée. Ces tendances nouvelles n’ont-elles rien de légitime ? Ces nouvelles idées n’ont-elles aucune valeur ? Toutes ces théories bizarres qui sont venues s’en emparer n’ont-elles pas leur raison d’existence ? Voila ce que tout homme doit se demander, au moment où nous sommes, avec ce calme et cette bonne foi qui défendent également de l’exaltation qui adopte au premier coup d’œil, et de la prévention qui repousse sans voir ; qui font également éviter cette manie d’innovation qui nous précipite dans un paradoxe, et cette rage de statu quo qui nous immobilise dans un lieu commun.

Pour nous, quelque fidèles que nous soyons restés à nos anciennes convictions, à nos sympathies primitives, quelqu’attachés que nous demeurions à ce drapeau que nous n’irons pas abandonner au moment où la France est sur le point de reconnaître qu’à lui seul appartient l’avenir, nous croyons cependant que toutes ces théories sont la conséquence inévitable de notre position nouvelle, qu’elles auront pour résultat de nous la faire mieux comprendre, et que le parti républicain doit y puiser de hauts enseignemens, soit pour le but qu’il doit atteindre, soit pour la marche qu’il doit suivre.

[2.1]Elles doivent nous apprendre, en premier lieu, que les améliorations dont nous sommes appelés à doter l’avenir sont bien plus larges, plus radicales que celles que l’on avait peut-être imaginées ; qu’il n’importe pas tant de donner au peuple l’égalité des droits politiques que l’égalité des chances sociales ; qu’il ne suffit pas de jeter à ceux qui souffrent cette liberté dérisoire qui n’est pour eux que la faculté de se brûler la cervelle ou de se jeter à l’eau, mais qu’il leur faut cette liberté qui consiste à se trouver placé dans une société où l’on peut développer et mettre en œuvre tout ce que l’on a de valeur, c’est-à-dire où l’on rencontre de l’instruction, de la moralité et du crédit ; en un mot, que nous n’avons pas à regretter aussi amèrement la perfide soustraction du programme de juillet, parce que le programme à donner au monde doit être plus beau, plus fécond, plus universel, et ne doit pas seulement contenir, comme le premier, une négation du passé, mais une grande conception de l’avenir.

Ces théories nous apprennent ensuite qu’il faut abandonner les erremens de ceux qui nous ont précédés ; que le républicanisme doit quitter son bonnet rouge ; que la guillotine ne sera plus prise pour épigraphe des constitutions politiques ; qu’au feu qui dévore doit succéder la flamme qui vivifie, et que le refrain de la république nouvelle ne sera pas emprunté à l’hymne foudroyant de Rouget de Lille :
« Qu’un sang impur abreuve nos sillons, »
mais se trouvera dans la noble chanson1 de Béranger :
« Faites l’aumône au dernier de nos rois. »

Ce n’est pas que la Marseillaise n’ait eu sa sainteté ; la terreur, sa légitimité sociale ; la Convention, sa mission providentielle ; et ce n’est pas nous qui viendrons insulter à la mémoire de ces hommes dont le cœur n’a pas failli à la tâche du progrès, même au milieu des flots de sang, et qui n’ont reculé devant aucun des sacrifices que réclamait la sainte cause de l’humanité, pas même le sacrifice de leur vie et de leur réputation à venir.

Mais alors il y avait à détruire, et la destruction est toujours orageuse et sanglante ; maintenant, il n’y a plus qu’à réorganiser. L’œuvre que nous avons à accomplir est différente de celle de nos pères ; car plus rien n’existe à l’heure où nous vivons, et tout ce qui reste du passé ne doit être considéré que comme une baraque provisoire faite avec des briques usées ou des planches pourries, en attendant le nouvel édifice.

Les tendances de renversement et les idées de négation furent bonnes et légitimes, dans la phase révolutionnaire, ouverte en 89 qui sonna le tocsin d’alarme contre l’ancien régime, et fermée en 1830 qui sonna le glas funèbre de la vieille société catholico-féodale. Mais à présent d’autres idées devaient surgir ; il devait se développer des tendances différentes. Il serait ridicule de faire le fier-à-bras sur des ruines et des cadavres ; il n’y a plus de mérite à tout nier, lorsque personne ne croit plus à rien.

De jour en jour, les hommes avancés font des progrès à cet égard ; l’opinion se modifie dans ce sens. Lorsque la politique sera complètement amenée sur ce terrain, lorsque le républicanisme comprendra (et le moment n’en est pas éloigné), qu’il doit être essentiellement réorganisateur, et qu’on ne réorganise pas comme on a détruit ; lorsqu’on ne pourra plus jeter en pâture à la peur et à l’égoïsme les mots de confiscation et de mort, la révolution ou plutôt la rénovation sera faite. Et nous, jeunes hommes qui, en entrant dans la vie, avons vu s’écrouler un vieux monde, nous aurons vu avant de descendre dans la tombe s’élever un monde nouveau.

F. F.

REFUS D’IMPÔT.

Des faits excessivement graves viennent de se passer à Lyon. On chercherait vainement à les atténuer, ils démontrent que nous entrons dans une ère nouvelle, et que, telle circonstance arrivant, de nouveaux Hampden ne se feraient pas attendre. Simples historiens, nous les raconterons en peu de mots.

Un ouvrier charpentier ayant été mal à propos soumis à la patente, a cru de son devoir de résister, et après avoir appelé l’attention publique  par une lettre insérée dans le Précurseur, laquelle n’a pas été démentie, il a attendu que l’huissier vînt enlever ses meubles pour en opérer la vente [2.2]de par le fisc ; il s’est contenté de faire répandre dans la ville l’affiche suivante à laquelle M. Prunelle n’a pas donné son visa, et qui, néanmoins, a reçu toute la publicité possible : « Vente de meubles pour paiement d’impôt, sur la place Léviste, vendredi 21 février 1834, à 10 heures du matin. » Cette simple annonce a suffi pour qu’un grand nombre de citoyens encombrassent de bonne heure cette place. La vente n’a cependant pas eu lieu, un citoyen ayant cru devoir offrir une somme minime en comparaison de celle due, et le receveur ayant accepté.

Semblable fait s’est présenté lundi dernier à la Guillotière. Là encore, l’intervention d’un citoyen a empêché, par un léger sacrifice, qu’un conflit imminent s’engageât entre la population ouvrière de ce faubourg, qui commençait à s’exaspérer, et l’armée que l’autorité avait dirigée sur ce point. Nous n’exagérons pas en nous exprimant ainsi. Il y avait d’un côté infanterie, cavalerie et même de l’artillerie ; et les ouvriers de leur côté avaient élevé des barricades, monté des pierres et autres projectiles. De quoi s’agissait-il donc ? Salignac, ouvrier en soie, prétendait ne pas devoir d’impôt, et sans égard à ses réclamations il avait été maintenu sur le rôle ; il s’obstinait à ne pas payer, soit par misère, soit par suite du droit dans lequel il pensait être, et que nous sommes portés à croire fondé.

Nous invitons le gouvernement à faire de sérieuses réflexions et à donner des ordres à ses préfets pour rendre facile l’examen des plaintes des contribuables. Une mesure urgente, par exemple, serait de supprimer la nécessité du paiement provisoire des douzièmes échus et d’admettre les citoyens à déposer leurs réclamations sur papier libre, chez le juge de paix de l’arrondissement.

Il faut des impôts, mais il faut qu’ils soient modérés, équitablement répartis, afin que la rentrée en soit facile ; c’est parce que nous sommes amis de l’ordre que nous insistons là-dessus. Encore quelques exemples pareils et la rentrée des contributions deviendra presque impossible, sans compter que l’habitude prise deviendra un élément puissant d’opposition ; déjà le bruit circule que si la loi contre les associations est adoptée, aucun loyer ne sera payé par les membres des sociétés politiques ou industrielles, afin de forcer les propriétaires, voire même les patrons bien pensant du Courrier de Lyon, à refuser les impôts. Où cela nous mènera-t-il ? Lyon a besoin que ses manufactures travaillent, et elles ne le peuvent qu’avec la paix intérieure ; mais Lyon, nous sommes loin de l’en blâmer, ne peut sacrifier la liberté au besoin de la paix.

EXTRAIT D’UN DISCOURS

prononcé par le citoyen grignon, ouvrier tailleur d’habits.

(Suite et fin).

Repoussons avec fierté tout ce qui n’est pas le fruit de notre travail ; mais exigeons le prix auquel il nous donne droit : ainsi, nous aurons une aisance indépendante du maître ; et le maître fera supporter aux riches l’augmentation qui nous est nécessaire. Que les difficultés n’abattent pas notre courage ; ne sommes-nous pas, par nos souffrances journalières, à l’épreuve de tous les dangers ? D’ailleurs il est plus facile qu’on le pense d’obtenir ce résultat.

En attendant qu’un gouvernement populaire soulage ; l’extrême pauvreté aux dépens de l’extrême opulence, par un meilleur système d’impôts et par une sage organisation du travail, unissons-nous pour resserrer les liens de la fraternité, pour fournir des secours aux plus nécessiteux d’entre nous, pour fixer enfin nous-mêmes le maximum de la durée du travail, et le minimum du prix de la journée ; c’est-à-dire, pour prendre l’engagement de ne travailler que pendant le temps et pour le prix déterminés par nous ; appelons nos frères des autres corps d’état à suivre notre exemple : nous serons heureux, n’en doutez pas, dès que nous voudrons être les artisans de notre destinée.

Il faut que notre association soit assez forte, assez unie, pour résister aux prétentions de ceux qui nous exploitent, et pouvoir assurer à chacun de nous :

1° Un salaire qui permette des économies pour la morte saison et les dépenses accidentelles ;

2° Le temps de repos nécessaire à la santé et à l’instruction ;

3° Des rapports d’indépendance et d’égalité avec les maîtres.

[3.1]Il faut que nous puissions arriver progressivement à ne travailler que pendant dix heures au plus, et moyennant au moins 5 ou 6 francs par jour.

Bien des gens se récrieront sans doute contre nos projets ; ils trouveront notre demande exorbitante : ne nous en étonnons pas : on accorde volontiers un traitement annuel de dix-huit cents francs et plus à un simple commis de bureau, pour un travail de 6 heures par jour. Cinq ou six francs par jour ne font qu’une somme de 14 à 1,700 fr. par an : ne sommes-nous pas privés de travail et par conséquent de salaire pendant moitié de l’année ! Poursuivons donc sans avoir égard au blâme de nos ennemis.

Commençons d’abord par limiter la durée de nos journées de travail, convenons ensuite de ne plus consentir à aucune diminution de salaire, dans quelque circonstance que ce soit, de ne jamais souffrir qu’un de nos frères soit victime des injustices d’un maître, ou subisse quelque humiliation. Que le maître insolent soit privé de nos bras jusqu’à ce qu’il ait avoué ses torts ! Soyez, justes aussi, laissons-le renvoyer honnêtement l’ouvrier qui ne lui convient plus : ce droit est réciproque. Il ne s’agit ici ni de récrimination, ni de vengeance, c’est notre dignité d’hommes, c’est la vie que nous disputons aux riches.

Mais, citoyens, notre but serait loin d’être atteint, si nous bornions là l’action de notre commission ; en effet, si le prix de nos produits augmentait en raison de celui de notre salaire, nos 6 fr. par jour seraient bientôt insuffisans ; nos mesures ne peuvent donc être que provisoires. Il faut porter nos vues plus haut, remonter à la cause du mal, et nous préparer à la détruire. Ce sont moins les maîtres pour lesquels nous travaillons que les lois de notre pays qui s’opposent à l’amélioration de notre état ; ce sont ces impôts sur les objets de première nécessité qui nous enlèvent la plus forte partie de nos salaires ; ce sont ces monopoles qui nous interdisent l’entrée des professions lucratives, N’oublions pas que les riches seuls font la loi, et que nous ne pouvons secouer le joug de la misère qu’en exerçant, comme eux, nos droits de citoyen. Comme eux, nous devons participer au bonheur et aux jouissances de la vie ; car c’est nous qui leur procurons ces jouissances ; c’est dans nos rangs aussi qu’ils viennent chercher des bras et du courage pour protéger leurs domaines menacés ; nous sommes l’engrais des champs de bataille. Eh ! quoi, nous avons le sentiment de nos malheurs, et nous resterions désunis, inactifs, à la merci de ceux qui nous oppriment et nous appauvrissent ? Quel serait donc l’avantage de la société, si la majorité laborieuse était éternellement la proie d’une minorité oisive et cupide ?

Citoyens, notre cause est la cause publique ; son triomphe est assuré, si nous savons persévérer au mépris de la misère et des persécutions.

CONSEIL DES PRUD'HOMMES.

Présidence de M. Riboud. (Séance du 13 mars 1834).

Lorsqu’une devideuse a dévidé toute la soie qui lui a été donnée, si cette quantité n’est pas suffisante pour finir la pièce, a-t-elle le droit de refuser une autre pesée ? – Oui.

Ainsi jugé entre la dame Crepin, devideuse, et la dame Favier, fabricante.

Lorsqu’un apprenti, soit par mauvaise volonté, soit par maladresse, ne fait pas aussi bien qu’il pourrait le faire l’ouvrage qui lui est confié, est-il passible d’une indemnité envers son maître ? – Oui.

Ainsi jugé entre Perrichon, fabricant, et Lafont, apprenti.

TARIF
pour le dépôt des échantillons et dessins,

Arrêté le 30 janvier 1834 par le conseil des prud’hommes De Lyon.

Pour un an : 10 c.

Pour deux ans : 20 c.

Pour trois ans : 25 c.

Pour quatre ans : 30 c.

Et ainsi de suite en augmentant cinq centimes par chaque année.

Ce tarif ne sera augmenté dans aucun cas, quelque soit le nombre des dessins ou échantillons. Le conseil a eu pour but, par cette réduction, de favoriser l’industrie en facilitant aux déposans peu aisés les moyens d’assurer la conservation des objets de leur invention, et de faire opérer un plus grand nombre de dépôts

Le secrétaire du conseil, staron.

SOUSCRIPTION

En faveur des ouvriers de Lyon.

[3.2]L’emploi des sommes que nous recueillerons pour cet objet sera déterminé dans une assemblée générale des souscripteurs.

1re liste

MM. Falconnet, 75 c. Grange, 75 c. Legras cadet, 1 fr. Girard, 50 c. Berruyer, 80 c. Guibaud, 50 c. Boquin, 50 c. Legras aîné, 50 c. Chauvy, 25 c. Péricard, 50 c. Marius Chastaing, 50 c.

Total : 6 fr. 25 c.

ENCLUME OU MARTEAU.

Suite.

Dix ans après, Otivel n’avait pas fait son chemin à Paris, mais en revanche il avait à peu près perdu sa santé, sa fortune et ses espérances.

Comment cela s’est-il fait ? disait-il. J’ai pourtant suivi constamment les bons conseils de mon oncle. J’ai été doux et modeste, probe, et généreux, et rien ne m’a réussi !

Un soir il s’en allait fort triste le long des quais, au clair, de la lune, regardant couler l’eau, occupation de ceux qui rêvent aux déceptions de la vie déjà passée, dont cette eau fugitive est l’emblème, quand il se sentit frapper sur l’épaule et reconnut des traits caractérisés que le temps n’avait pas effacés de sa mémoire : c’était le voyageur de la diligence. – Eh bien ! jeune homme ? – Eh bien ! monsieur ? – Etes-vous content de votre sort ?

A cette question, Otivel baissa les yeux comme un homme qui n’a rien de bon à répondre et garda le silence. Le voyageur continua : Pourquoi rougir de n’avoir pas été heureux ? Si à votre âge vous aviez réussi à vous faire un rang, un nom, une fortune, vous seriez un hypocrite ou un charlatan, ou même un fripon ; mais c’est tout le contraire. Puis le regardant fixement, il ajouta d’un ton assuré : Vous devez avoir dépensé maintenant les deux tiers de votre héritage. Vous avez dû mettre cinq ans à terminer vos études ; par conséquent, il y a cinq ans que vous avez dû commencer une première carrière sans succès. Vous l’avez alors abandonnée pour une autre dans laquelle vous n’avez pas mieux réussi, et puis une autre encore ; enfin vous voila découragé et sans confiance en vous-même. Voila ce que vous êtes à présent.

Et vous, s’écria Otivel frappé de surprise, êtes-vous le diable, monsieur, pour deviner tout ce qui m’est arrivé ?– Je serais un assez pauvre diable, si vous disiez vrai : mais je puis être votre ange gardien si vous voulez suivre mon avis.

Ils conversèrent pendant une heure. Malgré la répugnance que lui inspiraient les opinions si tristes et l’amertume de cet homme bizarre, Otivel ne se sentait pas trop mal à l’aise auprès de lui. En quelques phrases, il raconta ses déceptions de dix années.

Il avait fait son droit, plaidé avec succès quelques causes à lui confiées par son parrain au barreau, vieil avocat devenu presque imbécile ; mais dès qu’il voulut tirer quelque bénéfice de ses travaux pour lui-même, son patron le chassa et chercha même à le décrier comme un ignorant. Un avoué lui avait fait alors des propositions en lui demandant s’il était habile et éloquent. Otivel, le plus fort de sa conférence, lui avait modestement répondu qu’il n’était pas assez hardi pour afficher une telle prétention ; l’avoué l’avait pris au mot, lui avait tourné le dos et avait donné sa clientelle à un jeune étourdi sans talent, mais plein d’une effronterie imperturbable, lequel, dès la 2e année, se fit 10,000 fr. de son cabinet.

Otivel raconta encore comme quoi il avait essayé de l’administration et fait quelques projets utiles, acceptés même par deux ministres ; mais ne les ayant pas présentés lui-même, les deux amis qui en en avaient été chargés en profitèrent seuls. L’un fut choisi pour une mission importante, l’autre, élevé au rang de chef de la division où Otivel resta surnuméraire. Dégoûté des bureaux, il avait songé à l’industrie.

Un camarade de collège lui proposa une entreprise d’une espèce sûre et lui emprunta de l’argent. Cependant il ne put jamais l’engager à y prendre part pour lui-même. Otivel avait refusé par un sentiment de probité délicate. Il avait même tenté de détourner son ami d’une profession qui, par sa nature peu honorable, devait faire perdre, selon lui, toute considération dans le monde. Mais au lieu de perdre sa considération, l’ami était devenu électeur éligible, en vendant du vin falsifié en gros et en détail : il était député, en [4.1]passe d’aller au conseil d’état, et tous les jours il éclaboussait avec sa calèche Otivel, sans même le regarder en passant.

Pour dernière tentative, le jeune homme s’était jeté dans la littérature, carrière de ceux qui n’en ont plus. Mais c’est alors qu’il avait éprouvé les plus grands désappointemens. D’abord aucun libraire n’ayant voulu de son premier ouvrage, il l’avait publié lui-même, et personne ne l’acheta, car personne ne l’avait annoncé. Cependant un homme bien répandu l’ayant lu par hasard, en parla avec éloge dans un salon aristocratique, et dès le lendemain vingt journalistes qui n’avaient point ouvert son livre, et auxquels il n’avait point fait de visite, déclarèrent à l’unanimité son œuvre absurde, et lui incapable d’écrire.

Il se le tint pour dit, brûla tous ses manuscrits, à l’exception d’un seul, dont la grande dimension de format lui parut propre à faire des enveloppes ; et ce fut précisément ce qui acheva de le désespérer : en effet son domestique en vendit les feuilles, lesquelles firent une réputation d’esprit à un grand niais qui ne savait pas même l’orthographe ; en revanche il savait faire des courbettes, il fut vanté généralement ; on lui reconnut un talent original, de la grace de style et une brillante imagination.

L’étranger sourit dédaigneusement. Tout cela devait être, dit-il, puisque vous avez été modeste et probe, selon les avis de votre oncle, mais vous n’avouez pas tout ; vous avez dû être encore facile et généreux ; donc, on vous a en outre emprunté, volé votre fortune et calomnié quand vous avez voulu vous plaindre ! Au reste, c’était dans l’ordre. Pourquoi demandiez-vous quelque chose à la justice des hommes ? Pourquoi ne vous êtes-vous pas rendu justice à vous-même ? Dans un pays où la modestie est prise pour de l’ignorance et la fatuité pour du talent ; dans un pays où la timidité décente et la réserve discrète sont prises pour de la faiblesse par l’impudence au front toujours levé ; dans la ville où la probité, la générosité sont qualifiées bêtise ou folie par la fourberie et l’avidité, deux vices qui y vivent aux dépens de ces deux vertus ; dans une telle ville, il faut être enclume ou marteau, battant ou battu, trompeur ou trompé, dupe ou fripon ! Eh quoi ! pas de milieu ! s’écria le jeune homme. Ah ! si le monde est ainsi fait, je n’y veux plus vivre ; mais non, je ne crois pas à vos odieux aphorismes ; si Dieu permet qu’il y ait des méchans, il faut aussi qu’il y ait des êtres bons et inoffensifs. Certainement ! dit le vieillard mélancolique, il faut bien des colombes pour nourrir les vautours. Alors il salua Otivel et partit. Quand il eut fait dix pas, il se retourna en lui criant : Vous avez encore besoin de trois ou quatre ans pour achever de perdre ce qui vous reste d’argent et d’illusions. Nous nous reverrons alors, si nous sommes encore sur la terre. Adieu.

(La fin au prochain Numéro.)

PROGRAMME

Des sujets de prix proposés par la Société royale d’ARRAS, pour être décernés en 1834.

Industrie. – Discuter le résultat probable des expériences tentées récemment à Londres et à Paris, pour le transport des marchandises et des voyageurs, au moyen de machines locomotives circulant sur les routes ordinaires.
Déterminer l’influence que ce résultat doit exercer sur la création des chemins de fer.
Prix : une médaille d’or de 300 fr.

Economie publique. – Quels seraient les avantages et les moyens d’employer l’armée et notamment l’infanterie à exécuter, à l’instar des Romains et des Suédois, des travaux publics tels que routes, canaux, etc., etc.
Prix : Une médaille d’or de la valeur de 200 fr.

Littérature. – Eloge de Manuel, député.
Prix : Une médaille d’or de 200 fr.

Poésie. – Un poème de 200 vers au moins sur un sujet dont le choix est laissé à l’auteur.
Prix : Une médaille d’or de 200 fr.

Les ouvrages envoyés au concours devront être adressés et parvenus à M. T. Corneille, secrétaire, avant le 1er juillet 1834, terme de rigueur.

RÉFORME SOCIALE,

ou catéchisme du prolétaire, par le citoyen xavier sauriac1,
Membre de la Société des Droits de l’Homme.
paris 1834. – 1 v. de 144 pages.

NOTA. Nous rendrons compte, dans un prochain N°, de cet ouvrage remarquable qui circule en ce moment à Lyon, et pour le faire mieux apprécier, nous en citerons quelques fragmens.

Histoire Parlementaire

de la Révolution Françaisei1.

[4.2]MM. Buchez et Roux continuent avec zèle et talent leur importante entreprise. Les 3° et 4e livraisons ont paru successivement et avec une exactitude qui leur fait honneur, ainsi qu’à M. Paulin, éditeur. Nous rendrons un compte plus détaillé de ces quatre livraisons, qui forment les deux premiers volumes, dans un prochain numéro. Cet ouvrage doit former le fondement de toute bibliothèque publique et privée.


i. On souscrit, à Lyon, chez Baron, libraire, rue Clermont. Prix ; 2 fr. par livraison ou 4 fr. le volume.

Nouvelles générales.

paris. – mars. – La Tribune a été saisie.

– M. Duret d’Archiac, juge d’instruction, est chargé d’instruire sur les assassinats et violences commis le 25 février dernier, sur la place de la Bourse, par les assommeurs (voir la séance de la chambre des députés du 6 mars). M. Lechevalier tailleur est mort par suite de ces assommages. – De nombreux témoignages sur l’infame conduite de la police sont insérés dans les journaux (voir la lettre de M. de Kérilly Callogh dans le n° 69 de la Tribune).

HAZEBROUCK. – Les ouvriers de la forêt de Nieppe, voyant réduire à 12 sous leur modeste salaire qui était de 24 sous, ont cessé de travailler le 13 février dernier.

ÉTRANGER.
munich (Bavière) – M. Aloys Senefelder1, inventeur de la lithographie, est mort le 26 février dernier, à 63 ans.

madrid (Espagne). – Une émeute carliste a eu lieu le 2 mars courant.

LYON. – M. Fassy, ouvrier cordonnier, prévenu de coalition, a été arrêté préventivement.

– Les membres du comité exécutif de l’association mutuelliste, ont été mandés devant le juge d’instruction. Le procureur du roi n’a pas OSÉ donner l’ordre de leur arrestation préventive.

12 mars. – Le gérant de la Glaneuse a été acquitté après une brillante plaidoierie de Me Michel-Ange Périer. Ce jeune avocat a obtenu les éloges mêmes de ses adversaires politiques.

– Aujourd’hui, M. Léon Boitel, prévenu de publication républicaine, a comparu devant la cour d’assises. Nous ne doutons pas de son acquittement.

– Lundi prochain, la cour, jugeant sans jurés, fera paraître devant elle, le Précurseur à raison du compte qu’il rendu de l’affaire des citoyens Perrin, étudiant en droit, et Barricand, crieur public, que la cour prétend infidèle et injurieux. On a assigné non seulement M. Amédée Roussillac, gérant, mais encore M. Anselme Petetin, rédacteur en chef, sous le prétexte qu’il n’a pas cessé d’être gérant ; aussi, M. Petetin a déclaré qu’il ne se défendrait pas. C’est en effet à notre avis la meilleure réponse qu’il puisse faire à l’accusation. Me Jules Favre s’est déclaré auteur de l’article incriminé, et a demandé et obtenu d’être compris dans la poursuite, il sera défendu par Me Sauzet, et M. Roussillac le sera par Me Alphonse Gilardin. Tout Lyon viendra voir Me Sauzet plaidant pour Me Jules Favre.

– Mardi 18 la cour d’assises jugera M. Reverchon, éditeur des feuilles populaires du Précurseur du Peuple, etc. – Le lendemain, la Glaneuse comparaîtra devant la même cour, et le jeudi, 20, M. Perret, imprimeur d’une brochure intitulée Discours de Grignon, dont nous avons inséré un extrait dans notre n° 32 et dans celui de ce jour ; M. Sylvain Court s’est déclaré éditeur.

cancans.

On demande si Argout dérive d’argousin ou argousin d’ Argout.

La police de Paris est assommante.

Heureux fabricans de peluches ! vous avez cependant le traitement d’un sous-préfet, d’un juge, d’un employé d’administration, et cela sans rien faire presque… Vous n’en disiez rien… Ah ! farceur de Courrier, tu nous la bailles belle !

A LA FIANCÉE. – Lundi- prochain, MM. Renaud et Guinard ouvriront, place de l’Herberie, n° 2, au 1er, un magasin de nouveautés : soieries, mérinos, napolitaines, stoffes, chales, cachemires, etc.

A STE-ANNE. – Articles de Paris, d’Alsace, St-Quentin et Lyon. MM. Raquillet et Bruneau ouvriront leurs magasins, rue Lafont, n° 12, lundi, 17 du courant.

Notes (EPHEMERIDES LEGISLATIVES. [1.1] Chambre des...)
1 Parmi les pairs et parlementaires non déjà mentionnés dans les numéros précédents, on trouve, Pierre-Victor Dusseré (1780-1847), Alexis-Sylvain Drault (1795-1848), Hippolyte-François Jaubert (1798-1874), Raymond-Emeric Montesquiou-Fezensac (1784-1867).

Notes (des idées et des tendances nouvelles.)
1 Chanson « Prédictions de Nostradamus pour l’an deux mil » de Pierre-Jean Béranger.

Notes (RÉFORME SOCIALE,)
1 Xavier Sauriac, Réforme sociale, ou Catéchisme du prolétaire, publié à Paris en 1834.

Notes (Histoire Parlementaire de la Révolution...)
1 Philippe Buchez (1796-1865) et Pierre-Célestin Roux-Lavergne (1802-1874), Histoire parlementaire de la Révolution Française, ou Journal des assemblées nationales depuis 1789 jusqu’à 1815, publié chez Paulin à partie de 1834.

Notes (Nouvelles générales. paris . –  4  mars ....)
1 Aloïs Senefelder (1771-1834), acteur et auteur dramatique autrichien qui à l’extrême fin du 18e siècle inventa la technique de la lithographie.

 

 

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