L'Echo de la Fabrique : 1 juillet 1832 - Numéro 36

LYON1.
INDUSTRIE LYONNAISE.

Les récoltes de toute espèce se présentent partout magnifiques, et celles qui nous intéressent le plus directement, la soie et le blé, sont déjà assurées.

L?abondance de la première nous promet du travail, si le calme se rétablit en Europe et surtout en France ; la richesse extraordinaire de la seconde, nous assure du pain à bon marché. Quant à la récolte du vin, elle s?annonce comme les autres, mais elle a plus de chances à courir ; celle-là, d?ailleurs, nous intéresse bien moins ; car la concurrence intérieure ou étrangère réduit tellement nos salaires, que le vin n?est plus guère pour la plupart d?entre nous qu?un objet de luxe.

Les ventes considérables de cocons qui ont déjà eu dans le midi, présentent, en commune, une baisse de 8 à 10 %, sur les prix de l?année dernière, et il est à supposer que la différence sera encore plus forte sur les achats tardifs.

Toutes les lettres d?Italie comparent la récolte de cette année à celle de 1823 qui fut magnifique.

Voilà donc, Dieu merci, le bas prix et l?abondance des matières premières assurés, et c?est une garantie d?affaires pour le commerce en général, et de travail pour l?ouvrier.

Voyons maintenant comment les principales consommations sont disposées à profiter de cette circonstance.

La France a des besoins, et l?activité des demandes de Paris et des provinces, interrompues par le choléra, trouve qu?ils sont grands et que dès que l?agitation et [1.2]l?incertitude qui règnent auront cessé, cette activité reprendra.

L?Amérique du Nord est en ce moment affectée d?une crise causée par une surcharge de marchandises, d?une part, et le manque de numéraire de l?autre.

La surcharge de marchandises provient du beau résultat des dernières saisons ; la rareté du numéraire, de l?état de l?Europe qui n?a pas permis aux Etats-Unis de lui envoyer régulièrement leurs cotons en payement de marchandises. L?échange des produits n?ayant pu avoir lieu, et l?un des pays ayant été obligé d?envoyer des espèces au lieu de marchandises, il y a immédiatement une crise dans ce pays, et par suite, souffrance dans les pays qui travaillent avec lui. Ce qui prouve mieux que tous les raisonnemens, que c?est folie de vouloir établir un commerce avec des pays qui ne produisent rien qui soit susceptible d?être échangé, ou dont on ne veut recevoir que du numéraire.

Les commissions des Américains pour la saison d?automne étant presque nulles et les expéditions de coton des Etats-Unis ayant repris leurs cours, on peut espérer des affaires cet automne pour les ventes du printemps.

L?Angleterre a, depuis 1825, pris rang parmi nos principaux débouchés ; malheureusement notre système de douanes qui prohibe tous, ou presque tous ces produits manufacturiers, arrête l?échange et par conséquent le développement de nos relations avec ce riche pays. L?Angleterre a déjà placé une grande partie de ses ordres pour la saison d?automne, et c?est à cela, en partie, qu?il faut attribuer l?activité qui règne dans certaines branches de notre industrie : mais l?automne n?est pas la saison principale pour nos articles, et l?on peut avancer que les 2/3 des affaires de Lyon ou St-Etienne avec l?Angleterre, se font de février à juin. Si la révolution qui se fait en ce pays, s?opère sans commotion, ce qui serait miraculeux, ses ordres pour le printemps seront très-considérables, en admettant, toutefois, que l?importation des soieries françaises soit encore permise.

L?Allemagne jadis le plus important de nos débouchés en est devenue par l?extension et le développement [2.1]des fabriques étrangères l?un des plus insignifians. Cependant depuis environ un an ses ordres et ses achats ont repris de l?importance et de l?activité, et ils contribuent en ce moment au maintien de beaucoup de métiers qui sans elle et l? Angleterre seraient oisifs.

Le bas prix des nouvelles matières engagera sans doute cette consommation à demander à Lyon certains articles qu?elle tire de Suisse ou de Prusse ; c?est à nous, fabricans et ouvriers à ne pas laisser échapper l?opportunité.

L?Amérique du Sud est en général agitée dans tous les sens par des troubles et des révolutions qui arrêtent ses développemens et nuisent à nos transactions,

La Russie2, l?Espagne, l?Italie, les Pays-Bas, les Indes, sont des débouchés moins importans pour nous que l?Amérique du Nord, l?Angleterre et l?Allemagne, mais ils méritent notre attention et sont loin d?être insignifians ; leurs ordres sont souvent très-majeurs et contribuent grandement au maintien de nos fabriques.

Si notre marché était mieux assorti en marchandises fabriquées, les affaires avec toutes ces consommations seraient certainement plus actives ; mais il y a une certaine défaveur attachée à la marchandise faite qui arrête nos fabricans. Le prix des matières premières et l?état de révolution de l?Europe ont d?ailleurs dû calmer les plus hardis. Espérons que la paix et le calme permettront bientôt aux fabricans de profiter de l?avantage des prix pour faire travailler et aux négocians pour reprendre et étendre leurs relations commerciales.

Z.

Notes de base de page numériques:

1 L?auteur de ce texte est François Barthélemy Arlès-Dufour d?après la Table de L?Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).
2 Il faut rappeler qu?en 1830, la France est le deuxième exportateur parmi les principaux pays européens, sa part relative dans le commerce européen est de 15.9 %. Les tissus de soie représentent 40 % des exportations de produits manufacturés. Entre 1827 et 1836, l?Allemagne représentait 7.65 % des exportations françaises, le Royaume-Uni, 9.08 %, la Suisse, 4.24 %, l?Italie, 6 %, l?Espagne, 5.62 %, les États-Unis, 13.41 %, la Russie, 1.26 %, et le reste du Monde, 52.76 %, référence : F. Braudel et E. Labrousse, Histoire économique et sociale de la France, tome 3, Paris, P.U.F., 1993, p. 335-346.
3 L?auteur de ce texte est François Barthélemy Arlès-Dufour d?après la Table de L?Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).

 

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