L'Echo de la Fabrique : 6 novembre 1831 - Numéro 2

BRUITS DE VILLE

On dit que, vendredi, plusieurs groupes étaient formés sur la place des Terreaux ; que dans l'un d'eux s'était glissé, en uniforme de garde national un individu qu'on a cru reconnaître pour un négociant de la rue Vieille-Monnaie. Cet agent-provocateur de désordres haranguait la multitude, en lui annonçant d'une manière positive, et alléguant, pour se faire croire, sa qualité de négociant, qu'aucun chef de commerce ne se conformerait au tarif ; que ce pacte arraché, disait-il, par [7.1]la violence, n'était qu'illusoire, et que la canaille qui s'était arrogé le droit d'y faire souscrire, ne méritait rien moins que la fusillade.

A ces propos le groupe indigné ne répondit que par des sifflets, et le garde national, dans la crainte de mauvais traitemens, de crier aussitôt à la garde ! Quelques grenadiers du poste de l'Hôtel-de-Ville, accourus sur les lieux, s'empressèrent de dissiper les attroupemens qui s'entretenaient sans bruit, sans cri quelconque, de la misère qui pèse sur eux ; et pendant ce temps l'orateur avait pris la fuite.

— On avait fait circuler, le soir du même jour, que les masses étaient prêtes à s'ébranler ; que déjà la Croix-Rousse se mettait en marche avec un drapeau noir pour assaillir l'Hôtel-de-Ville, et se diriger ensuite vers l'habitation de certains négocians, dont les noms figuraient sur une prétendue liste de proscription. L'autorité, croyant voir là les tables de Sylla, prit des mesures analogues, et de suite des piquets de gardes nationaux forment le carré devant l'Hôtel-de-Ville, d'autres sont établis sur divers points aboutissans à la place des Terreaux et dans les rues adjacentes. Les agens provocateurs, à la nuit close, profèrent d'abord quelques cris injurieux, s’éditieux même, dans l'intention d'ameuter contre la force armée une multitude de curieux qui se demandaient dans quelle intention on avait déployé tant de forces militaires. De suite ces agens pénètrent la foule, et s'empressent de faire circuler, avec la rapidité de l'éclair, les nouvelles alarmantes qu'ignoraient ceux même qu'on désignaient devoir faire partie de ces masses imposantes contre lesquelles on était en garde.

Déçus de leur espoir criminel, ils se portent seuls en avant, persuadés que leur exemple pourrait du moins entraîner une partie des paisibles spectateurs ; et alors une espèce de lutte s'engage entre eux et la force militaire. Quelques-uns sont arrêtés, et à notre grande satisfaction aucun n'a été désigné ni reconnu pour ouvrier de la fabrique.

Pendant que tout ceci se passait, deux ou trois de ces mêmes agens s'écrient : A la Croix-Rousse. Arrivés sur la montagne menaçante, poursuivant le cours de leurs provocations, ils annoncent sur la place de cette ville qu'à Lyon la garde nationale à pied et à cheval fait feu sur le peuple ; que les ouvriers de la Croix-Rousse ne resteraient pas impassibles aux horreurs qui allaient bientôt les atteindre ! Pas plus de succès dans ce faubourg que dans Lyon ; toutes les oreilles sont restées sourdes.

Nous pouvons donc avec assurance affirmer que tous les bruits alarmans qui sont semés, n'ont leur source que dans les agens provocateurs, ennemis de l'ordre public ; que ces mêmes agens ne sont rien moins que des individus à la solde de certains négocians pour faire déverser sur la classe ouvrière tout le blâme que mérite une conduite digne du plus grand mépris, pour ne pas dire de toute la sévérité de la justice.

 

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