L'Echo de la Fabrique : 8 juillet 1832 - Numéro 37

LYON.
industrie lyonnaise.1

Nous avons à plusieurs reprises cherché à prouver que le maintien et le progrès de notre industrie exigeaient l?association ou du moins l?union, le concert de ses agens. Nous ne considérons pas comme une réponse ou une réfutation les phrases du Courrier de Lyon citées dans notre dernier Numéro, et nous continuerons donc à développer nos idées sur cette question.

Les fabriques d?Allemagne et d?Angleterre, celles de France dans les articles laine ou coton, progressent rapidement sans qu?il y ait association entre leurs agens ; mais c?est parce que les bases sur lesquelles ces établissemens reposent sont tellement larges qu?elles permettent, sans inconvénient, les frais d?essais, d?expériences, de recherches ; chez nous, au contraire, l?organisation industrielle est telle que le plus petit capital suffit à l?établissement d?une fabrique2, et que fort peu roulent sur de grands capitaux : d?où il résulte un avantage en ce que plus d?industriels peuvent devenir fabricans ; mais cet avantage est chèrement compensé par l?inconvénient qu?en éprouvent l?industrie en général et les agens subalternes en particulier.

On comprendra facilement qu?une maison qui roule sur 400,000 francs de capital et fait pour 1,200 mille fr. d?affaires, a bien plus de marge sous tous les rapports, et surtout sous celui des perfectionnemens et des essais, que celles qui n?ont que 100,000 f. ou moins.

Une petite fabrique qui voudrait faire des essais afin de perfectionner sa branche, se ruinerait bientôt en [1.2]expériences ou n?avancerait pas. Le statu quo est donc la condition d?existence de la plupart de nos fabriques. C?est là un des plus grands inconvéniens de l?industrie morcelée.

Mais cet inconvénient, on peut y parer par l?association.

Eh ! qu?on ne jette pas les hauts cris à ce mot d?association, et qu?avant d?avoir lu et réfléchi on ne hurle pas que c?est impossible !

Ce n?est pas de l?association pour l?exploitation de l?industrie que nous voulons parler, mais de l?association pour faire, à frais communs, toutes les expériences, tous les essais, pouvant provoquer et activer le perfectionnement et le développement de notre industrie dans toutes ses branches.

Ce n?est pas un cercle de fabricans tel qu?il a existé que nous demandons ; nous avons, Dieu merci, assez de parlage, et savons, par expérience, qu?il sort peu de bon des grandes assemblées délibérantes. Nous demandons une association d?industriels, une association composée de fabricans, marchands de soie, commissionnaires, teinturiers, chefs d?ateliers, mécaniciens, artistes, enfin d?hommes directement intéressés à la prospérité de notre industrie et voulant y concourir.

Nous pensons qu?il suffit d?émettre cette idée pour que les hommes accoutumés à réfléchir y voient un germe fécond en grands résultats. Nous développerons dans le prochain Numéro nos idées sur l?organisation de l?association : mais comme la tâche est grande et que notre journal n?est pas lu par tous ceux que la question intéresse, nous appelons franchement l?attention et la coopération des écrivains qui se fatiguent à faire du constitutionalisme ou du radicalisme dont les masses se soucient peu tant qu?elles ont faim ; qu?ils descendent des nuages ou plutôt des brouillards de la haute politique dans le champ simple, mais immense, mais fertile des intérêts matériels ; qu?ils nous aident de leur talent à répandre dans toutes les opinions l?idée de l?association industrielle d?essais et de perfectionnemens.

Z.

Notes de base de page numériques:

1 L?auteur de ce texte est François Barthélémy Arlès-Dufour d?après la Table de L?Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).
2 Il est à noter que l?organisation proto-industrielle de la production, dominante au XVIIIe siècle, a survécu dans le textile au cours du XIXe siècle. Ainsi, dans la région de Condé-sur-Noireau, le tissage  du coton occupe 2500 métiers en 1837. La bonneterie troyenne conserve une structure à base d?ateliers familiaux. En Haute-Loire, la dentelle occupe 50 000 personnes dispersées dans la campagne. La soierie lyonnaise connaît aussi une ruralisation importante. En 1830, le quart des métiers se situe à la campagne. Au total et selon une enquête de la Chambre de Commerce de Paris, la petite industrie réunit en 1851 encore, près de 4 700 000  personnes en France contre 1 330 000 pour les grandes manufactures. À cette même date, il y a 1 524 000  petits patrons, référence : D. Woronoff, Histoire de l?industrie en France du XVIe siècle à nos jours, Paris, Le Seuil, 1998, p. 217-225.

 

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