L'Echo de la Fabrique : 8 juillet 1832 - Numéro 37AU MÊME.Monsieur, Votre numéro du 1 courant contient un article sur la défense devant le conseil des prud’hommes, dans lequel on ne discute que la question de droit. De là des insinuations toutes défavorables au conseil, tandis que dans le refus qu’il a fait d’admettre des agréés, il n’a eu en vue que l’avantage de l’ouvrier. Les considérations qui l’ont déterminé beaucoup plus que la loi, et dont M. Marius Ch… n’a sans doute pas eu connaissance, sont les suivantes : 1° Un agréé, ou défenseur, quelqu’officieux qu’il soit, ne viendra pas passer un après-dîner à l’audience et ne se donnera pas la peine de présenter une défense, sans se faire payer. Si l’ouvrier ne lui donne un salaire en espèces, il se croira néanmoins obligé de lui faire une politesse, de lui offrir au moins quelques raffraîchissemens au sortir de l’audience et ce sera toujours l’ouvrier qui paiera. Or, la loi, ainsi que le conseil l’a fort bien comprise, veut que ces débats soient sans frais pour les parties. 2° Le conseil sait fort bien encore que plusieurs personnes compteraient se faire un état de cette qualité d’agréé et que s’il en accorde à l’ouvrier, il ne pourra en refuser au fabricant ; que par suite, il pourra se glisser parmi ces agréés d’ouvriers et de fabricans, des personnes qui pourront chercher à prolonger les causes, à les faire remettre d’audience en audience, pour se faire payer plusieurs vacations, toujours onéreuses pour l’ouvrier. Ces remises, dira-t-on, le conseil pourra les empêcher, j’observerai que non, parce que l’agréé fera valoir que ça gênerait la défense. 3° Je ne crois pas qu’aucun ouvrier ait pu jusqu’ici se plaindre que sa défense n’ait pas été bien comprise, ou qu’elle ait été gênée le moins du monde. La marche qu’a adoptée le conseil d’envoyer toutes les affaires en conciliation avant de les passer en jugement, facilite singulièrement l’ouvrier, qui peut toujours aller à l’avance exposer sa cause et la détailler, en particulier et amicalement, à un prud’homme chef d’atelier, qui sera l’un des deux arbitres par devant lesquels on l’aura renvoyé. [5.1]Si d’ailleurs le conseil s’apercevait que la timidité ou l’embarras de s’exprimer gênassent une défense, il se ferait un devoir d’admettre un tiers ; mais il se réserve parce qu’il s’en croit très-capable, d’apprécier quand ce sera nécessaire, ainsi qu’il l’a fait jusqu’ici. M. Marius Ch… cite le tribunal de commerce, mais ce tribunal se décide à faire comparaître maintenant les parties, persuadé que l’affaire s’éclaircit plus vite par elles que par des avocats. Enfin et quatrièmement, quand les deux parties feront présenter leurs débats par des agréés, il est à craindre qu’elle ne leur disent pas toute la vérité. Elles ne feront pas connaître le côté faible de leur cause et indépendamment des plaidoieries des agréés il faudra questionner et entendre les parties pour leur arracher toute la vérité. Le conseil aura donc quatre personnes à écouter au lieu de deux, de là des longueurs et de l’embrouillement. A l’appui de cette dernière assertion, je citerai un fait récent. Un ouvrier faisait appeler un fabricant ; un défenseur officieux demanda à présenter les griefs de l’ouvrier, le président de l’ancien conseil y consentit. Le défenseur dit que l’ouvrier, attendant sa pièce depuis 15 jours, demandait une indemnité : le fabricant de répondre que l’ouvrier savait fort bien que sa pièce était prête depuis quinze jours. Comme il était présent à l’audience, il en convint au grand étonnement de son défenseur : il lui dit alors de faire valoir que la pièce n’ayant que 10 aunes il n’en voulait pas. Celui-ci présenta et débattit ce nouveau point. Le fabricant l’annula de suite en disant qu’eu égard au court aunage, il avait promis une indemnité à l’ouvrier s’il prenait sa pièce, et l’ouvrier d’en convenir encore. On renvoya, je crois, les parties en conciliation ; mais le défenseur fut très-mortifié de ce que son client, ne lui ayant pas tout dit, l’avait mis dans une position tout-à-fait désagréable. Ce défenseur était M. Charnier, membre du conseil actuel, ainsi qu’il me l’a dit. Il ne faut pas objecter que ce sera une chose qui arrivera une fois entre cent ; je soutiens, au contraire, qu’elle arrivera 99 fois, soit d’une part, soit de l’autre. Quant à la hauteur et à la fatuité du fabricant, dont parle M. Marius Ch. je m’étonne que ce soit un homme aussi instruit que lui qui les attribue en partie à l’instruction, et je l’assure que lorsque le conseil les rencontrera dans un de ses justiciables, il n’en sera que plus sévère envers lui. Si le négociant regarde ses juges comme ses égaux, l’ouvrier doit savoir qu’ils sont aussi les siens, et rien de plus ; il doit savoir aussi que les fabricans ne se croient pas plus au-dessus d’un ouvrier, qu’ils ne se croient eux-mêmes au-dessous du commissionnaire qui leur achète leur étoffe et leur fait ainsi gagner leur vie. Je vous prie d’agréer, etc. Gamot. |