L'Echo de la Fabrique : 15 juillet 1832 - Numéro 38

AU RÉDACTEUR.

Monsieur,

Je vous remercie de l’obligeance avec laquelle vous avez inséré mes deux dernières lettres. Je viens la mettre à contribution de nouveau pour la présente qu’a provoqué celle de M. Desmaison, insérée dans votre dernier N°.

Il est très-vrai que j’ai dit, dans les termes qu’il m’attribue, que dans une conciliation ou accommodement à l’amiable, dont peut me charger le conseil des prud’hommes, je m’inquiète moins de la loi, ou question de droit, que de celle de bonne foi et de probité ; et dans cette affaire on a accusé également l’une et l’autre dans M. Desmaison, avec des preuves convaincantes pour moi et un de mes confrères : j’ignore l’opinion des deux autres qui y assistaient aussi. Si par suite de ma manière de voir à cet égard, il a pu s’apercevoir qu’il y ait eu de ma part, dans la conciliation qui a eu lieu, injustice ou partialité, il sait qu’il peut en appeler devant le conseil. De plus, si je me suis rendu coupable de pareille prévarication, les deux prud’hommes chefs d’atelier qui assistaient à la discussion, seraient bien coupables d’avoir accédé à la conciliation qui a eu lieu. Présumant qu’ils ignorent, ainsi que M. Desmaison, l’article suivant de la loi, je me fais un plaisir de le leur apprendre.

« Décret du 18 mars 1806, titre 4, art. 33, en cas de plainte en prévarication contre les membres du conseil des prud’hommes, il sera procédé contr’eux, suivant la forme établie à l’égard des juges. »

Il faut sans doute suivre la loi à la lettre quand il s’agit de juger ; mais dans une conciliation ou arbitrage dont il est si facile d’appeler, sans embarras, sans frais, d’un seul mot, il me semble que ce n’est qu’à son corps défendant qu’il faut accorder le bénéfice de la loi à un homme dont on accuse avec justice la bonne foi et la probité.

Je ne me joue pas de la loi, Monsieur le rédacteur, mais quand vous croirez, ou tout autre, que je le fais, veuillez me faire appliquer l’article que je cite ci-dessus. Je ne souffrirai non plus jamais que les ouvriers courbent leur front sous l’égoïsme et la cupidité ; et si ces odieuses qualifications s’appliquent à moi, je vous prie de l’expliquer clairement. Je connais la dignité de l’homme et je l’empêcherai toujours de s’avillir. Je connais trop bien aussi le caractère dont je suis revêtu pour jamais y déroger. Je suis décidé à le dépouiller dès qu’un reproche mérité pourra m’être adressé, mais pour que je le juge tel, il faut qu’il vienne d’un autre homme que M. Desmaison, d’un homme dont je ne puisse recuser la moralité.

J’accompagnerai de preuves, toutes les assertions de [6.1]cette lettre, que M. Desmaison pourra trouver offensantes ; mais, par un dernier égard, je ne le ferai que sur nouvelle provocation de sa part. Désirant lui éviter ces explications, je lui avais demandé une rétractation : non-seulement il me l’a refusée, mais il a dit hier au Conseil que ma lettre contenait des menaces, je l’accuse encore en cela de mauvaise foi, et comme il peut lui donner de la publicité, j’en appelerai à vos lecteurs pour décider qui de nous deux aura tort sur ce dernier point.

J’ai l’honneur d’être, etc.

Gamot,

Membre du Conseil des Prud’hommes.   

Note du Rédacteur. Nous aurions cru manquer aux devoirs de la presse et au caractère public dont est revêtu M. Gamot, si nous nous étions refusé à l’insertion de la présente ; mais ces débats entre un chef d’atelier et l’un de ceux appelés à le juger, nous affligent profondément. Nous pensons que M. Gamot se récusera dans cette affaire ; dans tous les cas, ce sera un avertissement pour lui de ne parler de la loi qu’avec respect, et de s’y conformer même lorsqu’il sera appelé par ses fonctions à concilier les parties qui seront renvoyées devant lui.

 

Contrat Creative Commons

LODEL : Logiciel d'édition électronique