L'Echo de la Fabrique : 22 juillet 1832 - Numéro 39

M. Charnier, membre du conseil des prud?hommes, s?est déclaré en faveur de la libre défense devant le conseil, dans un article inséré dans le Précurseur, dimanche dernier (15 juillet, n° 1723 ;) ainsi conçu :

Comme membre du conseil des prud?hommes, je me fais un devoir de répondre à la lettre de M. Gamot, insérée dans le dernier N° de l?Echo de la Fabrique, en réponse à un article signé Marius Ch......g, qui exprime une opinion que je partage entièrement. Non-seulement les juges de paix entendent les fondés de pouvoir comme l?a dit l?auteur de cet article, mais aussi les conseils de discipline de la garde nationale. Il n?y aurait donc que les conseils de prud?hommes qui refuseraient d?entendre des fondés de pouvoir comme assistans des parties présentes. Pourquoi les enceintes où siégent ces mêmes conseils seraient-elles les seuls lieux où la plus précieuse des libertés serait proscrite, la liberté de la défense, celle qui n?est jamais refusée aux plus grands criminels ?

Si un pareil système d?oppression venait à prévaloir dans le conseil, l?on n?en pourrait accuser que quelques-uns de ceux qui en font partie, et M. Gamot s?exprime comme si tous les membres qui le composent partageaient son opinion.

Elus d?après le libre choix de leurs commettans, ceux qui pourraient partager l?avis de M. Gamot, auraient reçu de ceux qui, après avoir joui de la liberté du vote, l?étrange mission de supprimer la liberté de la dèfense ? ce serait vraiment de l?égoïsme libéral. Je dis supprimer, parce que l?ancien conseil, comme l?a fort bien dit M. Gamot, admettait des assistans.

Le conseil, dit-il, en refusant d?admettre des agréés, n?a en vue que l?avantage de l?ouvrier. Quels sont ceux qui sont le plus compétens pour décider là-dessus ? Assurément ce sont les prud?hommes chefs d?atelier. Cependant mes collégues ne partagent pas cet avis. M. Gamot croit que nous ne voulons, ou plutôt que nous ne connaissons pas ce qui est avantageux à nos commettans ; qu?il se détrompe : nous ne voulons que ce qui est conforme à l?équité, sans causer aucun préjudice à la classe dont nous faisons partie, et que nous représentons ; pour agir autrement, il faudrait que nous fussions tout-à-fait ineptes ou traîtres à nos compatriotes. « Les considérations qui ont déterminé le conseil beaucoup plus que la loi. » Oh ! c?est par trop fort, des considérations au-dessus de la loi !!!

La loi avant tout : elle est notre seul guide ; nous ne sommes institués juges que pour aplanir les difficultés en rapprochant d?elle les cas qu?elle n?a pu prévoir. « Un agréé ou défenseur n?ira pas passer un après-dîner sans un salaire en espèces ou en rafraîchissemens. » Dans cet office d?ami, je ne vois qu?un service de réciprocité. Quand [4.1]même on croit généralement la classe ouvrière corrompue par des besoins factices, il y a plus d?austérité et de grandeur d?ame qu?on ne pense. D?ailleurs ne sommes-nous pas libres d?agir à cet égard comme bon nous semble ? L?on n?a pas cru devoir nous accorder un tarif parce qu?il était contraire à la liberté, et M. Gamot voudrait-il nous imposer un tarif de dépenses en matières de poursuites judiciaires ? celui-ci serait sans contredit, encore plus opposé à la vraie liberté. Bref, il vaut mieux payer son défenseur que de se laisser dépouiller de ses droits. Je crois qu?un ouvrier timide et inexpérimenté doit préférer être tributaire d?un défenseur que de son inexpérience.

Il n?y a pas d?économie plus déplacée que de vouloir édifier sans architecte, si l?on ignore l?art de bâtir. Il en est de même à l?égard des imprudens qui osent se charger de leur propre défense, quoiqu?ils se connaissent peu aptes à soutenir une discussion ; il est vrai qu?ils avouent presque tous n?avoir pas prévu l?influence qu?aurait pu exercer sur eux la présence des juges. Eh bien ! ces mêmes hommes seraient moins embarrassés à défendre la cause d?autrui : c?est pour cela que les avocats sont dans l?usage de charger leurs confrères de leur défense, parce qu?ils ont reconnu qu?ils ne possédaient pas le sang-froid nécessaire pour discuter leurs propres intérêts. Pourquoi l?artisan, privé d?instruction et d?expérience, ne jouirait-il pas de la même prérogative que ces hommes instruits qui font métier de défendre les autres ? Croirait-on l?artisan moins digne de jouir de la liberté de la défense ? Si l?un d?eux devait être privé de ce droit immense, ce serait à l?ouvrier que serait due la préférence : sa faiblesse morale causée par sa position subalterne lui vaut plus d?un égard ; heureusement il n?a pas besoin de ce privilége, parce qu?il est écrit dans la Charte : Tous les Français sont égaux devant la loi. Conséquemment le droit de nous faire assister nous est dû, par la seule raison que les avocats sont admis à se faire représenter.

Charnier, prud?homme, chef d?atelier.

 

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