L'Echo de la Fabrique : 29 juillet 1832 - Numéro 40

AU RÉDACTEUR.

Lyon le 27 juillet 1832.

Les faits dont je vais vous donner connaissance, intéressent trop vivement la masse des citoyens, pour que je ne m?empresse pas de les leur faire connaître par tous les moyens possibles, les voici :

Le jeudi 26 jeudi de ce mois, je me présentais devant le conseil des prud?hommes de cette ville, pour y défendre deux ouvriers ; quelle fut ma surprise, lorsqu?à l?appel de la cause, ayant demandé à être entendu, le président, M. Goujon, me dit de me taire. Je fis observer que j?étais assisté, il m?ordonna de me retirer : j?insistai, je désirais que le conseil fût consulté, on ne m?écouta pas? Je dis que mes cliens ne pouvaient [6.1]expliquer leurs moyens de défense ; un prud?homme, M. ?, répondit : S?ils ne le peuvent, ils seront condamnés? Un autre, M. Chenard, répétait sans cesse : C?est la loi ; il croyait que cette expression seule devait tenir lieu de toute explication.

M. le président, oubliant alors la dignité des fonctions dont il est revêtu, m?ordonne de sortir à l?instant. Je demande qu?une décision règle la législation du conseil, relativement à la défense. La voix de M. Goujon couvre la mienne, elle impose même silence aux prud?hommes chefs-d?ateliers qui lui adressent de judicieuses observations.

Craignant de nuire, par mon insistance, à la cause de mes cliens, je me retirai en lui disant : La force triomphe au lieu du droit. Il donne aussitôt l?ordre à l?huissier de me retenir, et après avoir feuilleté le recueil de nos lois pénales, il prononce, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, que je suis condamné au maximum de la peine portée à l?art. 10 du code de procédure civile, c?est-à-dire à 10 fr. d?amende avec affiches du jugement.

M. Goujon m?a traduit à sa barre ; eh bien ! moi, je le traduis à celle de l?opinion publique ; elle décidera de quel côté est la justice.

Il faut que les citoyens connaissent leurs droits, et sachent résister à l?arbitraire. Pour moi, fort du droit que la loi accorde à tout citoyen de se présenter, muni de pouvoirs, ou assisté des parties, devant tout tribunal pour y défendre les intérêts des tiers, je me consacre dès ce jour à la défense gratuite des ouvriers ; je ne peux leur offrir, il est vrai, des lumières, mais mon zèle et mon dévoûment y suppléeront.

Agréez, etc.

Tiphaine, rue Donnée, n° 5.

 

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