L'Echo de la Fabrique : 20 novembre 1831 - Numéro 4On parle sans cesse de la philantropie de nos hommes civilisés1 : sans doute, des noms honorables se sont associés à des œuvres d'humanité, et dans les comités philantropiques, les Lafayette2, les Choiseul3, les Odilon-Barrot4, les Cadet de Gassicourt5et les Laffitte6, n'ont pas peu contribué à secourir de grandes infortunes ; dans notre ville même, nous pourrions en citer un grand nombre si nous ne craignions pas de blesser leur modestie. Mais qu'elle est loin d'être réelle l'humanité de nos commerçans ! ils souscrivent, il est vrai, quelquefois pour des œuvres de bienfaisance, mais il faut qu'ils soient assurés de la publicité. Qu'un malheureux, un pauvre enfin, se garde bien de les importuner dans leur intérieur : il est reçu froidement, on le questionne sur son état, sur sa famille, sur la cause de sa misère, et après l’avoir forcé de s'humilier par un récit déchirant, on sort la bourse, on cherche pendant dix minutes la pièce destinée à l'aumône et on lui dit froidement : Prenez, voilà vingt sous… Le pauvre sort ; il court acheter quelques livres de pain, qui sont aussitôt dévorées par sa famille ; un moment après il se voit aussi malheureux, de plus il a été humilié. Hors de leur intérieur, qu'un malheureux, forcé par la misère à mendier, se présente à eux dans ces lieux où ils vont satisfaire ces besoins factices que l'homme se crée ; on le laisse debout, le chapeau bas et la main tendue, sans daigner le regarder ; persiste-t-il, ces messieurs, interrompus dans une partie de boston, lui disent avec humeur : On ne peut pas… laissez-nous tranquilles… Voilà l'humanité de nos hommes civilisés… Tandis qu'au sein de la nation la plus douce, la plus humaine, on traite ainsi le pauvre, un barbare, un homme qu'on a montré comme un buveur de sang, aussi sauvage que le lion habitant des déserts sur lesquels il régnait, vient de détromper ceux qui ne font de l'humanité qu'une vaine parade. Hussein Pacha7 a adressé la lettre suivante à Mme la baronne de Malus : elle n'a pas besoin de commentaire ; nous prions seulement nos philantropes civilisés de la méditer attentivement. « Le dey d'Alger a pris connaissance de la lettre aussi noble que touchante, que madame la baronne de Malus vient de lui faire parvenir, en sollicitant pour ses pauvres, trop nombreux, sans doute, ce que sa position présente, et non le vœu de son cœur bien plus étendu que ses facultés pécuniaires, lui permettrait de consacrer à une œuvre agréable à Dieu. — Sa propre religion, qui lui impose également le devoir de l'aumône, est entièrement d'accord, en ce point et en beaucoup d'autres, avec celle qui est professée dans cette France qui est hospitalière, qu'il regrette d'avoir connue si tard. Mme la baronne de Malus ne recevra, cette première fois, qu'une bien faible somme (40 fr.), mais s'il plaît à Dieu, que Hussein Pacha prolonge son séjour à Paris, et que la Providence divine, en lui assurant, ainsi qu'à sa nombreuse famille, d'honorables moyens d'existence, daigne lui accorder les consolations que lui ont, sans doute, mérité de grandes épreuves ; certes, Hussein Pacha n’oubliera point les véritables pauvres du premier [3.2]arrondissement, ni leur respectable protectrice : il la prie d'agréer l'expression de ses sentimens et de ses voeux. » Notes de base de page numériques:1 Joachim Falconnet est l’auteur de ce texte d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832). 2 3 Probablement 4 5 6 7 |