L'Echo de la Fabrique : 26 août 1832 - Numéro 44

Sans adopter en entier les doctrines de St-Simon, nous croyons ne pas devoir refuser l’insertion de la lettre suivante : la position d’ailleurs des St-Simoniens devant la justice nous en ferait un devoir, lors même que la reconnaissance que nous leur devons pour avoir tourné les idées du siècle vers les besoins et l’amélioration de la classe prolétaire, ne nous y obligerait.

Lyon, le 16 août 1832.

Monsieur,

Je viens vous prier d’accueillir dans votre journal la lettre suivante, adressée au Courrier de Lyon, en réponse à un nouvel article calomnieux contre les St-Simoniens. Le Courrier de Lyon ne l’ayant pas insérée, j’ai recours à votre obligeance, afin de mettre le public à même d’apprécier la franchise de ses procédés. A chacun selon ses œuvres.

Votre dévoué, Michel Derrion.

Lyon, le 15 août 1832

Monsieur le Rédacteur du Courrier de Lyon.

J’aurais cru que, lorsque quelqu’un oserait faire peser sur des hommes qui se montrent au grand jour, une accusation d’immoralité, comme cela est arrivé dans votre feuille du 13 ; j’aurais cru qu’il ne se cacherait pas sous le voile de l’anonyme ou d’une initiale.

Je ne connais point là de juste milieu ; lorsqu’en face du public on se pose accusateur et juge tout-à-la fois, sur une question de morale surtout, il me semble que c’est un devoir de se montrer à découvert.

Je vous ferai observer aussi, monsieur le rédacteur, qu’il est peu loyal, après avoir refusé d’insérer dans son entier une réponse à des calomnies, après avoir retranché la signature de celui qui ne craint pas de se nommer ; il est peu loyal, dis-je, de provoquer une nouvelle réponse si on a l’intention de la rendre incomplète en la mutilant.

J’ai dit qu’on nous appelle, et nous irons… je le répète. Alors nous ferons comprendre ce que c’est que cette politique nouvelle toute d’organisation et qu’on traite d’anarchie, ce que c’est que cette théorie véritablement morale, et qu’on interprète de manière à en faire une immorale absurdité.

Cependant je n’en repondrai pas moins par l’intermédiaire de votre journal, (si toutes fois vous voulez bien le permettre) à la question qu’on nous adresse en nous demandant si nous suivons les doctrines d’Enfantin.

Oui, répondrai-je, nous reconnaissons dans Enfantin l’homme supérieur en qui sont les destinées de l’humanité ; de cet homme, sur lequel ceux qui ne le connaissent pas, versent à pleine bouche la calomnie et l’injure. Nous l’appelons Père, car c’est lui qui nous a donné une nouvelle vie. Soupçonneux et défians, tous nous marchions incertains et comme égarés au milieu d’un monde qui ne sait pas encore ou il va… Sa voix nous a montré la route que nous devions nous proposer, et maintenant comme lui, nous ne voulons dans l’avenir, ni mendicité, ni prostitution, et au milieu d’hommes qui parlent de morale et qui pratiquent la débauche ; comme lui, nous venons déclarer impie, toute exploitation, soit d’une classe par une autre classe, soit d’un sexe par un autre sexe.

Bientôt le Père va paraître devant les tribunaux ; qu’on s’apprête à entendre sortir de sa bouche des paroles qui commanderont le respect. Car comme nous l’écrivait dernièrement un de ses fils : « Le Père saura dissiper d’un souffle cette poussière hypocrite qui s’élève de toute part, comme pour obscurcir sa gloire. Il confondra la vanité des hommes qui prétendent juger sans le concours de la femme, le livre des relations de la femme et de l’homme. »

Pour nous, je le répète, nous serons toujours prêts à mettre notre vie en regard de celle de quiconque nous accusera, et nous demanderons ensuite comment on peut concevoir que des théories soient immorales, quand elles ont pour résultat une conduite morale ? Comment des doctrines peuvent-elles être anarchiques quand leur réalisation a pour conséquence la paix du monde et le développement graduel de l’homme dans ses facultés ?…

Les paroles peuvent se dénaturer, en les interprétant ; les actes sont plus positifs. Eh bien ! c’est non-seulement par nos paroles, c’est aussi par nos actes que nous voulons être connus et aimés.

Je vous prie d’insérer cette lettre dans votre prochain N°.

 

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