L'Echo de la Fabrique : 20 novembre 1831 - Numéro 4

Notre dernier numéro était sous presse, lorsque nous avons appris la mort du sieur Clair, garçon de peine de la maison Micol et Ce, et les circonstances qui ont donné lieu à sa fin prématurée. Ce n'est point comme on l'a dit, par la perte de sa place et la crainte de la misère, que le sieur Clair a succombé ; sa mort est la suite d'une terreur panique, que lui causa une scène dont il fut le témoin, et qui, à ce qu'il a dit à son lit de mort, lui fut causée par des préparatifs de défense qui eurent lieu dans la maison Micol, le jour où ayant éludé le tarif par une infraction frauduleuse, quelques ouvriers se portèrent vers ce domicile, pour obtenir le redressement d'un grief fait à un de leurs camarades ; ce qu'il y a de plus douloureux, c'est la double perte que vient de faire cette famille : la sœur du sieur Clair, frappée de la maladie de son frère et de l'arrestation arbitraire de son neveu, n'eut point assez de force pour supporter cette double épreuve, et deuxième victime ; le même jour, elle rejoignit son frère dans cette demeure céleste, où l'on est à l'abri de la haine et de l'égoïsme des grands. Les ouvriers en soie, voulant rendre les derniers devoirs à cette famille inconsolable, se réunirent au nombre de 7 à 800, pour accompagner à leur dernière demeure, deux êtres dont le malheur avait été d'être trop sensibles. Le double convoi traversa une partie de la ville pour se rendre au cimetière de Loyasse, faisant partager sur son passage, le saint recueillement dont il était pénétré ; arrivé à ce lieu de repos, où règne la vraie égalité, où la cendre du pauvre est confondue à celle du riche, des larmes arrosèrent cette terre qui allait couvrir les restes de ces malheureuses victimes, et les ouvriers se séparèrent pour regagner paisiblement le toît domestique, déplorant les causes qui avaient porté la désolation dans une famille digne d'un meilleur sort.

Pour nous qui sommes pénétrés de ces malheurs, nous demanderons à ceux qui en sont la cause, s'il sont bien en paix avec leur conscience ? et si leur ame n'est point déchirée par les remords ? s'il en est autrement, il ne nous restera plus qu'à regretter d'être nés dans un siècle témoin de tant de perversité.

 

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