L'Echo de la Fabrique : 2 septembre 1832 - Numéro 45

AU RÉDACTEUR.

Monsieur,

Veuillez, par l?insertion de la présente, faire connaître l?étrange rigorisme du conseil des prud?hommes?. à mon égard.

Samedi 18 août, étant absent, j?ai été invité par un billet à me rendre au conseil des prud?hommes le même jour à 5 heures 1/2, c?est-à-dire 3 heures 1/2 après cet avis. Il s?agissait de me concilier avec un M. Monier qui jusqu?alors m?était totalement inconnu.

Le commis qui gère habituellement ma maison en mon absence, étant parfaitement sûr que je n?avais opéré aucune transaction avec le demandeur, ne tint aucun compte de cette première et très-pressante invitation.

Je fus ensuite cité par le même pour le jeudi suivant : j?étais encore absent. Mon commis crut avec raison pouvoir me remplacer, attendu qu?il n?avait qu?une seule observation à faire au conseil : c?est que n?ayant aucun compte-courant avec le demandeur, il m?était impossible d?avoir aucune contestation avec lui. Pour preuve de cette assertion, le conseil aurait été prié de prendre connaissance d?une facture au débit du sieur Bajard et non au mien, sur laquelle figure un compte d?ouvrage fait pour le vrai débiteur que le sieur Monier devait faire assigner au besoin.

Assurément M. le président aurait été le premier à renvoyer la cause à huitaine, dès qu?il aurait appris que le marché d?ouvrage n?avait point été conclu entre Piquet et Monier, mais bien entre Bajard et Monier, tel que ce dernier l?a stipulé dans sa facture que nous avons en main comme pièce justificative.

Le lendemain je rencontrai le sieur Monier au greffe du conseil des prud?hommes? Là, en présence de MM. Pochin et Seppe, je l?ai contraint à déclarer qu?il reconnaissait la fausse position où il s?était placé en me faisant assigner comme son débiteur.

Si M. le président eût agi prudemment, il aurait accordé à mon commis la même faveur qu?à celui de MM. Chaume et Colin (il y a environ 6 semaines).

Je me trouvais comme auditeur dans la salle d?audience du conseil, quand MM. Chaume et Colin furent appelés ; l?un des commis de la maison s?était présenté [6.1]comme suppléant de ses chefs : le président, après avoir déclaré qu?il ne pouvait pas l?entendre, céda à l?observation d?un prud?homme qui dit qu?on pourrait entendre le suppléant, si la partie adverse y consentait ; elle y consentit. Le président entendit les moyens de défense exposés par le commis suppléant, et il n?aurait pas aujourd?hui le regret d?avoir prononcé un jugement nul.

Plusieurs personnes auxquelles j?ai fait part de cette absence du président, m?ont assuré qu?il mettait une opiniâtreté aussi aveugle que ridicule à n?entendre que les parties. J?espère que cette leçon sera pour lui un avertissement salutaire.

J?ai l?honneur de vous saluer.

piquet,
fabricant de schalls et bordures,
rue des Capucins, n° 7.

Note du Rédacteur. ? Notre journal est ouvert aux réclamations de tout le monde, pour les marchands-fabricans comme pour les ouvriers : nous ne voulons que la justice, et nous le prouvons par l?insertion de la lettre qui précède. M. Piquet, étant absent, avait le droit de se faire représenter ; mais son représentant devait être muni d?un pouvoir écrit. Le mandat verbal n?est admis qu?autant que la partie est présente et assiste le mandataire. Nous ne pouvons entrer dans le fond de la discussion : nous ne savons qui avait droit ; mais dans tous les cas et à raison même de la spécialité du conseil des prud?hommes, le président devait écouter le commis de la maison Piquet, sauf ensuite à décider en connaissance de cause ; malheureusement il aime mieux juger auparavant, la lettre ci-dessus en fait foi.

 

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