L'Echo de la Fabrique : 9 septembre 1832 - Numéro 46

LECTURES PROLÉTAIRES. 1

Respect aux loups, caresse aux singes, mépris aux agneaux, c’est la devise des gens du monde ; une autre classe de ces mêmes hommes a pour devise : indifférence à tous. Soyez la vérité, soyez le mensonge, soyez le vice ou la vertu, au fond peu leur importe pourvu qu’arrivé d’hier vous ne paraissiez qu’aujourd’hui, et repartiez demain.
Servan.

Il est des hommes dont l’existence, semblable à l’Océan pacifique, n’a jamais été agitée par aucune tempête. Les passions sont pour eux ces plages lointaines dont on n’entend parler que par les relations des voyageurs dont plusieurs y ont péri.
Gottliab Werner.

La vie est une fable contée par un imbécile avec un grand fracas de mots et de gestes emphatiques.
Shakespeare.

Relève la bête de somme de ton ennemi si elle est tombée en chemin.
Phocylide2.

Lorsque le peuple souffre de la faim, il ne s’en prend ni à la rigoureuse saison, ni aux élémens, ni à aucune cause naturelle, il tourne ses regards vers ceux qui gouvernent, et conclut, non sans quelque raison, que, puisqu’ils ne savent pas le nourrir, ils ne sont pas non plus dignes de le gouverner.
Montjoie3.

Pour avoir la conscience de sa propre inhabilité, il faut encore une certaine portion de lumières.
Idem.

Nés pour souffrir, nous sommes puissamment armés contre les peines déchirantes du cœur.
Mme Genlis4.

La vertu se suffit à elle-même ; les talens ont besoin d’éclat et de louanges.
Idem.

L’infortune est saine à déjeûner, indifférente à diner, mortelle à souper.
Pror-Ecossais

Tout homme sans propriété et sans emploi dans une société (la société actuelle), n’a que trois partis à prendre : de s’expatrier et d’aller chercher fortune ailleurs, ou de voler pour subvenir à sa subsistance, ou d’inventer quelque commodité ou parure nouvelle en échange de laquelle ses concitoyens fournissent à ses besoins.
Helvétius5.

Il y a oppression contre le corps social, lorsqu’un seul de ses membres est opprimé : il y a oppression contre chaque membre, lorsque le corps social est opprimé.
Consti. de 1793.

L’homme est usé dans la société comme les pièces d’argent qui, à force de circuler, perdent leur empreinte.
Diderot6.

Vis bien et meurs de bout en face du soleil.
Le sage boit, s’enivre avec un bon ami.
Aime à vivre surtout, seulement pour bien vivre.
En mai couvre de fleurs la borne de ton champ.
Trois jours, suspends ta hache avant d’abattre un arbre.
Donne un nom de famille à l’arbre que tu plantes.
Plante un arbre en famille au milieu d’une fête,
Abrite-toi, jeune homme à l’ombre d’un homme sage.
Que ton petit manoir ait un large foyer ;
Au souvenir des morts consacre quelques nuits.
Qu’un gazon offre un siége à côté de ta porte ;
Observe les bonnes lois d’un heureux voisinage.
[7.2]Ne retiens pas captifs les oiseaux voyageurs.
Ne fais point égorger tes poulets par ta fille ;
N’égorge point l’agneau sous l’œil de tes enfans ;
Ne vend point au boucher ta vache nourricière.
Sylvain Maréchal7.
(Vers blancs faits le jour de sa mort.)

Née de l’engoûment ou de la haine, repoussant tout ce qui peut l’éclairer, saisissant avec avidité tout ce qui la flatte, la prévention absout ou condamne sans examen et sans pudeur.
Anonyme.

Où les monarques sont des dieux, le sage craint de cesser d’être homme.
J.-J. Leutiette8

Avoir beaucoup d’esprit et peu de jugement, c’est, avec le superflu, manquer du nécessaire.
Trublet9.

Partout où les hommes peuvent se dire : Nous sommes bien, toutes les autorités sont consenties.
L. D. H10. (Lettres sur la Législation. – Berne, 1775.

Quand on doute quel est le meilleur et le plus court chemin, il faut tenir le plus droit.
Charron.

Notes de base de page numériques:

1 L’auteur de ce texte est Marius Chastaing d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832). Voir la note du n° 44 à propos des Lectures Prolétaires.
2 Phocylide de Milet dont les Préceptes avaient été traduits en français par J.-F. Duché de Vancy en 1698.
3 Galart de Montjoie (1756-1816), auteur notamment de Histoire de la conjuration de Louis-Philippe-Joseph d'Orléans (1796) et de Histoire de la Révolution de France et de l'Assemblée nationale (1797).
4 Stéphanie de Genlis (1746-1830), ses Mémoires inédits de madame la comtesse de Genlis sur le dix-huitième siècle et la Révolution Française étaient parus à Paris en 1825.
5 Claude-Adrien Helvétius (1715-1771), philosophe français, collaborateur de L’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert, auteur de De l’esprit (1758). La citation est ici tirée de De l’Homme, de ses facultés intellectuelles et de son éducation (1771).
6 Denis Diderot (1713-1784). La citation est tirée de Jacques le Fataliste et son maître.
7 Sylvain Maréchal (1750-1803), écrivain, poète et pamphlétaire français auteur en 1796 du Manifeste des égaux.
8 Jean-Jacques Leuliette (1767-1808), éditeur, traducteur et homme de lettre, auteur en 1805 de Discours sur cette question : ″Comment l'abolition progressive de la servitude en Europe a-t-elle influé sur le développement des lumières et des richesses des nations ? » et d’un Tableau de la littérature en Europe, depuis le seizième siècle jusqu'à la fin du dix-huitième (1809).
9 Nicolas Trublet (1697-1770), l’Abbé Trublet, auteur en 1735 de Essais sur divers sujets de littérature et de morale  et d’un Eloge de M. de Fontenelle (1758).
10 Marquis de Mirabeau,(1715-1789), Lettres sur la législation, ou l'Ordre légal, dépravé, rétabli et perpétué. Par L. D. H. [l'Ami des hommes]...  publié à Berne en 1775.

 

Contrat Creative Commons

LODEL : Logiciel d'édition électronique