L'Echo de la Fabrique : 16 septembre 1832 - Numéro 47

AU REDACTEUR.

des machines dans l’industrie.

Lyon, 9 septembre 1832.

Monsieur,
Je lis dans le N° de l’Echo de la Fabrique qui a paru ce matin un article remarquable de M. Bouvery, sur l’emploi des machines dans l’industrie, et, en attendant les explications qu’il annonce sur cet important sujet, je vous prie de me permettre de présenter quelques observations qui s’y rapportent et qui répondent à une objection souvent reproduite1. – J’espère, comme M. Bouvery, que personne ne faussera le sens de mes paroles, et qu’on n’y verra que l’opinion consciencieuse d’un homme qui donne un but unique à l’étude de la politique et de l’économie sociale : l’amélioration du sort moral et matériel des travailleurs.

La question de l’intervention des machines dans l’industrie a été agitée depuis long-temps sans amener une conviction générale de la vérité sur ce point capital de l’ordre économique. Une école philosophique qui a eu, selon moi, le tort immense de se faire secte religieuse, a, je crois, apporté une solution, sinon directe et précise, au moins générale de la difficulté.

Il y a plus de vingt ans qu’un homme qui s’est fait un grand nom dans les sciences économiques, par sa persistance à professer l’idée voltairienne appliquée à l’industrie, M. J.-B. Say, l’avocat de la liberté illimitée du commerce, entama et soutint contre un écrivain d’un esprit singulièrement actif et original dans sa profondeur, M. de Sismondi2, une polémique où toutes les bonnes raisons furent de part et d’autre produites à l’appui de [2.2]deux thèses, et cependant le débat ne fut point alors terminé.

M. de Sismondi partageait l’opinion de M. Bouvery, et il l’a développa avec une rare vivacité d’esprit et une grande netteté de vues. Il était impossible de se refuser à l’évidence de sa démonstration. – M. Say apportait de son côté le principe inflexible de la liberté commerciale qui devait obtenir une grande faveur dans un moment où toute autre liberté y était étouffée, et où celle-là même allait être cruellement comprimée par le blocus continental. Dans l’esprit du public de ce tems, M. Say eut donc tout l’avantage de la discussion ; car c’était un moyen assuré de succès que d’offrir à des gens peu familiarisés avec les difficultés de l’économie politique une théorie invariable, qui se rattachait au grand principe philosophique du xviiie siècle ; qui créait une sorte de providence du hasard au-delà de quoi personne, ni le gouvernement, ni les particuliers, ni les industriels, n’avait rien à chercher ; – qui ne demandait pour toute habileté qu’une tolérance sans limites, pour toute combinaison qu’une liberté sans règles ; – qui se résumait en un axiôme devenu proverbial, et qui a donné son nom à cette école d’économistes : Laissez faire, laissez passer. Cela était infiniment commode et mettait un terme à toutes les inquiétudes.

Ainsi, quand M. de Sismondi disait et prouvait que l’intervention d’une nouvelle machine dans l’industrie, était un arrêt de mort pour un certain nombre de travailleurs, et ajoutait, avec plus d’esprit que de raison, que l’Etat devait arrêter la désastreuse application de cette invention meurtrière, attendu que la société doit plus de protection aux hommes qu’aux machines, M. Say s’avançait avec son dogme absolu, et opposait à ce fait palpable l’incontestable droit que chaque homme a rigoureusement de déployer comme il lui plaît, et d’appliquer aux choses qui lui conviennent cet instinct progressif, cette passion de perfectionnement, qui est la plus noble essence de notre nature ; – M. Say répondait à tout par un seul mot : Le droit, la liberté. Vainement lui aurait-on montré des populations entières mourant de faim par suite de l’invention d’une machine, vainement lui aurait-on prouvé que la nécessité de vivre est la première condition de tout être, et qu’à aucun prix, même au prix de la révolte et de la dévastation brutale, un peuple laborieux ne pouvait consentir à se laisser tuer par une abstraction libérale et philosophique : tout cela l’aurait touché, mais n’aurait pas ébranlé sa conviction. – Et tel est à cet égard l’absolutisme de cet école, que l’année dernière nous avons entendu un homme qui tient à M. Say par d’autres liens encore que celui des croyances économiques, et dont, certes, nul ne contestera les sentimens populaires, M. Charles Comte, déclarer à la tribune de la chambre, que pour lui, toute hypothèse, si horrible quelle fût, cédait devant l’obligation de respecter impitoyablement la liberté illimitée de l’industrie.

Aurais-je l’air de faire un paradoxe en affirmant que les deux écoles ont raison ? Que M. de Sismondi disait vrai en avançant que les machines sont, dans l’état actuel des choses, un très-grand malheur, et que M. Say n’avait pas tort en soutenant avec fermeté le droit d’invention dans l’industrie, comme une liberté sainte et inhérente à la nature de l’homme ?

Telle est cependant la vérité. Seulement je crois que ces deux hommes éminens n’avaient poussé ni l’un ni l’autre leur argumentation assez loin ; je crois que s’ils avaient pu, au point où en était alors la science politique, suivre jusqu’au bout les déductions qui sortaient [3.1]de leurs thèses, ils se seraient rencontrés sur un terrain où la vérité eût donné satisfaction à tous deux.

« Quant à l’argument tiré de l’emploi des machines pour produire à bon marché, dit M. Bouvery, je croirais que c’est une mauvaise plaisanterie, si je ne voyais cette assertion reproduite partout et sous toutes les formes. Je dois donc penser que c’est ma perspicacité qui est en défaut ; et dès-lors je prierai les partisans de ce système de m’expliquer comment ils soutiendront une population immense dont tous les moyens d’existence consistent dans le travail, lorsqu’elle sera repoussée des ateliers qui n’emploieront que des machines, de sorte que dans telle manufacture qui autrefois donnait de l’occupation à mille ouvriers, et qui, en favorisant la consommation, faisait vivre dix mille individus ; maintenant qu’elle n’emploiera que des machines, elle n’aura plus de salaires à donner qu’à cinq ou six intelligences suffisantes pour mener toute l’affaire, et qu’elle payera cher, je le veux bien, mais moins cependant qu’elles ne valent, grâce à l’égoïsme. Qu’on me dise ce que l’on fera de ces mille ouvriers jetés incontinent sur le pavé et sans ressources : on leur dira de prendre patience ; et si la fin qui, de sa nature, n’est pas patiente, et qui de plus n’a pas d’oreilles, les pousse à crier un peu plus haut et à se mutiner, oh ! alors il y a cet argument irrésistible qu’on appelle ultima ratio regum. Soit… cependant étaient-ils bien coupables, et était-ce là tout ce qu’on pouvait faire pour eux ? »

Il est clair que M. Bouvery a raison contre le gouvernement tel qu’on l’a entendu jusqu’ici. Il est clair que tant que le gouvernement se considèrera comme un être à part de la nation, vivant d’une autre vie, se faisant d’autres intérêts, ne se donnant pour tâche que d’exister et de se défendre contre les factions qui en veulent au pouvoir et aux avantages qu’il procure ; ne concevant pas d’autre devoir que celui de se maintenir en paix au milieu d’un peuple plus ou moins heureux, et d’intérêts plus ou moins froissés ; – il est clair que tant qu’on ne verra le beau idéal de l’administration que dans je ne sais quel mysticisme représentatif, appuyé sur un équilibre fictif, le peuple, dénué d’une providence supérieure qui combine les élémens de progrès, devra craindre les inventions de machines, dont le premier résultat est un malaise auquel le pouvoir ne connaît d’autre remède que celui du canon.

Mais en serait-il de même, monsieur, si de véritables institutions électives permettaient à la capacité pauvre de prendre sa place dans les affaires publiques ? La question ne changerait-elle pas complètement, si nous avions la certitude que tout ce qui possède à la fois, capacité, moralité, activité, se trouve naturellement porté au pouvoir et dirige toutes les affaires du pays ? – Le laisser faire ne se transformerait-il pas alors en une providence universelle de tous les intérêts ? Ne pourrions-nous pas compter que le gouvernement prendrait quelque soin de ces mille ouvriers devenus oisifs ?

Certes, c’est un grand malheur que cette population ainsi privée subitement de travail et du pain ; c’est un malheur immense, et qui, outre les souffrances imméritées de tant d’hommes laborieux, jette dans l’Etat une perturbation générale. Mais pourtant ce malheur même à présent n’est pas sans compensation, et je m’étonne que M. Bouvery n’ait pas vu qu’il poussait trop loin l’hyperbole en traitant de mauvaise plaisanterie l’opinion des gens qui se préoccupent exclusivement des heureux résultats de l’emploi des machines. Ces résultats sont palpables, pourtant, car si une machine nouvelle vient simplifier le travail au point de faire descendre à 5 sous le prix d’une paire de bas ou d’un habit, on ne peut nier que l’hiver prochain un plus grand nombre d’hommes seront à l’abri des atteintes du froid. On ne peut nier non plus que ceux qui achèteront des bas et des habits à ce prix, seront obligés à un travail bien moins grand pour s’en procurer la valeur, et qu’ils pourront employer à d’autres nécessités, ou à des occupations intellectuelles, ou enfin au repos et au plaisir qui est [3.2]aussi pour l’homme un besoin, le tems qu’ils auraient mis à se procurer les grosses sommes qu’il leur fallait autrefois pour se vêtir.

Ainsi, quand une machine nouvelle entre dans l’industrie, elle apporte une réelle amélioration à la société prise en masse ; mais il tombe sous les sens que les parties de la société qui profitent de cette amélioration, doivent assurer l’existence des travailleurs qu’elle prive de ressources. C’est là une des applications du système des primes. Il est injuste, sans doute, que l’intérêt des fabricans de sucre de betteraves et des cotons, oblige la nation entière à payer le sucre étranger deux fois ce qu’il vaut ; mais si nous permettons la libre entrée des sucres anglais, il sera rigoureusement équitable d’accorder une prime aux sucres indigènes, soit pour aider cette industrie à subsister et à s’améliorer, soit pour adoucir sa chute si elle doit tomber, si elle a été maladroitement implantée sur notre sol, pour éviter qu’une population industrielle se trouve tout-à-coup sans pain, et pour lui donner le tems de chercher ailleurs un autre emploi de ses bras.

Si le gouvernement était vraiment la personnification résumée de la nation, il n’est pas douteux que les choses ne se passassent ainsi ; car dans ce centre des forces et des intérêts populaires, il y aurait des représentans de l’industrie déclinante, de la population souffrante qui réclameraient des autres membres de l’Etat des compensations pour les maux particuliers causés par l’avantage général.

Dans ce cas, encore, l’intérêt du plus grand nombre veillerait à ce que les avantages produits par les machines nouvelles, ne se concentrassent pas dans les mains d’un petit nombre de capitalistes privilégiés, tout en laissant cependant à l’inventeur les bénéfices légitimes de son industrie.

Ce point est d’une extrême importance, et jusqu’ici nul gouvernement ne s’en est préoccupé. Le gouvernement anglais lui-même si vanté pour sa politique industrielle, n’a eu jusqu’ici en vue que de produire beaucoup sans s’inquiéter nullement de la répartition des produits ; et comme un principe régnant tend toujours à s’étendre et à se développer, le principe aristocratique qui gouverne l’Angleterre a envahi jusqu’à l’industrie, et réuni en un petit nombre de mains tous les priviléges commerciaux. La situation des grandes villes industrielles en donne une déplorable preuve.

En tout et partout il faut que le pouvoir se souvienne de cette devise si profonde et si énergique, que proclamaient nos ouvriers en des jours de funèbre mémoire : Vivre en travaillant ou mourir en combattant !

Les avantages du perfectionnement des machines sont donc incontestables, aussi bien que leurs inconvéniens ; et si l’on ajoute qu’il serait absurde et tyrannique d’arrêter sur ce point, comme sur tout autre, le développement du génie inventif de l’homme, on conclura qu’il ne reste aujourd’hui rien à faire qu’à pallier autant que possible les inconvéniens, qui se résolvent en un seul, l’occupation des bras. – La question est donc d’occuper les bras que les nouvelles machines laissent oisifs. Ce serait là la véritable mission d’un gouvernement intelligent et moral ; ce sera, je l’espère, la tâche que se donneront les gouvernemens de l’avenir, quand l’administration ne sera plus livrée aux hommes de loisir, comme dit le Journal des Débats, c’est-à-dire aux fainéans et aux incapables ; mais aux travailleurs reconnus capables par leurs concitoyens.

Maintenant, j’en conviens, l’invention d’une machine n’est qu’un malheur dont les compensations éloignées [4.1]ne peuvent nous faire accepter les horribles résultats. Maintenant M. Bouvery a raison cent fois, non pas contre nous, partisans du perfectionnement industriel, mais contre le gouvernement qui, non-seulement ne fait rien pour apporter une sorte d’harmonie entre les forces productives et les facultés de la consommation, mais qui souvent même vient aggraver par ses passions politiques, ses passions de parti, les maux qu’il ne sait pas guérir.

Permettez-moi, Monsieur, de vous en rappeler un exemple pris dans une industrie que j’ai dû connaître dans tous ses détails, l’imprimerie.

Depuis quelque temps les machines anglaises de tirage, substituées aux presses à bras, excitaient les plaintes amères de cette partie nombreuse de la population ouvrière de Paris, qui vit de l’imprimerie. L’emploi de ces machines, en effet, était désastreux pour les pressiers, car avec un homme et un enfant, elles faisaient le travail journalier de vingt ou trente bras. – La révolution de juillet éclata, et l’on se rappelle la part glorieuse qu’y prirent les ouvriers imprimeurs ; mais soit que le malaise jeté parmi eux par les mécaniques anglaises, fût porté à l’excès, soit qu’une partie de cette population eût mal compris le sens de la révolution à laquelle elle avait elle-même si honorablement coopéré, le calme ne fut pas plutôt rétabli dans Paris après la victoire, que l’on vit éclater ces émeutes contre les machines qui donnèrent au gouvernement et à tous les bons citoyens de si vives inquiétudes. Des violences furent exercées contre des chefs d’imprimerie, des coalitions se formèrent, soit pour refuser le travail, soit pour briser violemment les machinesi. – Eh bien ! monsieur, que fit le gouvernement ? Vous croyez peut-être qu’il chercha des moyens de travail pour cette foule inoccupée ? Il fit tout le contraire. – Aussitôt après la révolution, comme le peuple s’était figuré que c’était bien une révolution qui venait d’avoir lieu, et non pas seulement un changement de dynastie ; les lois politiques de la restauration furent regardées comme abrogées ; on crut naturellement que la liberté de la presse était devenue une vérité, que toutes les entraves de brevets pour les imprimeurs, de cautionnemens pour les journaux, etc., etc., avaient été brisées avec le trône dont les passions nous les avaient imposées. Une foule de journaux nouveaux se fondèrent, un grand nombre de jeunes ouvriers imprimeurs, pleins d’intelligence et d’activité, qui n’avaient pas eu assez d’argent pour acheter un brevet, s’établirent, et en quelques jours les travaux d’imprimerie doublèrent presque de produits. C’est qu’en effet un nouvel esprit public venait de naître en France, et qu’un besoin universel de mouvement intellectuel se faisait partout sentir jusqu’au fond des provinces les plus reculées. Mais cela ne plaisait guère aux doctrinaires qui alors déjà concevaient ce plan d’amortissement pour l’esprit public qu’ils ont depuis si bien exécuté. L’essor que prenait la presse les effrayait, et ils se hâtèrent de détruire les nouveaux journaux, en exigeant sans pitié, dans un délai de quelques jours, l’énorme cautionnement que voulait la loi de la restauration (120,000 fr.), en faisant, d’un autre côté, fermer les ateliers ouverts sans brevets. – C’est alors qu’éclatèrent les émeutes d’ouvriers dont j’ai parlé tout-à-l’heure.

Si le pouvoir eût laissé l’industrie de la presse prendre son développement naturel, tout se serait arrangé sans conflit et sans souffrances. Les jeunes imprimeurs qui [4.2]n’avaient pas assez de capitaux pour faire fonctionner les presses anglaises, auraient employé les pressiers restés sans ouvrages, et leur travail personnel, leur intelligence, leur activité eût compensé et au-delà l’économie que les grandes maisons trouvaient dans l’emploi de ces presses.

Pour obvier au malaise de l’industrie, il faut donc, premièrement, que le pouvoir se corrige de ses passions de parti, c’est-à-dire qu’il représente autre chose que des privilégiés qui, n’ayant pour eux ni le droit, ni la force, en sont réduits à gouverner par la ruse, et en faussant, autant que possible, et l’esprit national, et la marche naturelle des choses. – Il faut, en second lieu, qu’il devienne le résumé de tous les intérêts et de toutes les capacités du pays. – Alors, son rôle ne sera plus de défendre son personnel et de se mêler le moins possible aux véritables affaires du peuple : mais de se placer hardiment à la tête de tout ce qui se fait ; de protéger les intérêts qu’une concurrence exagérée écrase tout-à-coup ; de pousser et d’activer les industries qui sont en retard, et qui ne fournissent pas à ceux qui en vivent les moyens de lutter contre la perfection des autres branches du travail ; de tenir, en un mot, constamment fixé sur tous les points du pays, un œil intelligent et plein de sollicitude pour toutes les existences, alors les machines ne seront plus un malheur, car on prendra soin de la génération d’ouvriers qu’elles laisseront sans travail ; alors les travailleurs n’afflueront pas tout-à-coup sans prévoyance sur une branche d’industrie, insuffisante pour tant de bras et tant de bouches ; alors Mulhouse, Rouen, Paris et Lyon ne seront pas dévorées par la concurrence illimitée et la surabondance de civilisation, tandis que les Landes et la Bretagne sont encore de véritables pays sauvages ; alors un système général de communications, de chemins de fer, de routes et de canaux, fertilisera le pays et fera circuler le sang et la vie d’un bout de la France à l’autre, du cœur aux extrémités, et des extrémités au cœur.

Tout cela, monsieur, se fera quand le gouvernement sera peuple et non pas aristocrate ; tout cela se fera quand le pouvoir n’aura d’autres intérêts que les intérêts des masses, d’autres passions que les sympathies nationales ; – quand M. Bouvery, par exemple, représentera la population ouvrière de Lyon, au lieu de M. Fulchiron.

Jusque-là, les perfectionnemens industriels seront de véritables malheurs ; comme c’est un malheur pour un vieillard que de se trouver pour quelques jours la vigueur d’un jeune homme.

Vous voyez, monsieur, que je ne me suis pas occupé des palliatifs dont parlait le Nouvelliste, et qu’à juste titre M. Bouvery regarde comme insuffisans. – Le défrichement des Landes, la distribution des communaux, tout cela sont d’excellentes choses, mais ce n’est qu’un point de la question, et pour en tirer parti, il faut partir d’un autre principe de gouvernement que celui qui a seul dominé les régimes qui jusqu’ici ont exploité la France ; il faut accepter en tout et partout le principe de la suprématie absolue de l’intelligence et du travail, sur tout autre élément social. C’est à ce progrès que marche le monde : notre tâche, à nous, monsieur, qui avons une plume entre les mains, est de l’y pousser de tous nos efforts. Vous pouvez beaucoup à Lyon pour cela, et je serais bien fier d’y servir à quelque chose.

Agréez, etc.

Anselme Petetin,

Rédacteur en chef du Précurseur.

Notes de base de page numériques:

1 La controverse entre Pétetin et Bouvery - qui se développe alors même que la question de l’exportation des machines lyonnaises est soumise par les prud’hommes de Lyon au Ministre du commerce - va se poursuivre pendant quelques semaines à l’automne 1832 dans les pages de L’Echo de la fabrique (numéros 50, 52, 54, 56 notamment). Pétetin estimait que l’instauration d’un régime républicain, représentatif de tous les intérêts, constituerait la garantie indiscutable et automatique d’une efficace régulation politique de l’évolution économique. Bouvery, chef d’atelier, plus circonspect et sans doute plus conscient de la complexité des questions économiques et sociales, estimait également indispensable une régulation politique de l’économie. Toutefois il ne considérait pas que l’installation d’un régime républicain pouvait constituer en soi une garantie suffisante et il craignait que le progrès et les diverses transitions économiques soient payés socialement au prix fort par les plus vulnérables.
2 Historien et économiste, Jean-Charles-Léonard Simonde de Sismondi (1773-1842) avait d’abord retenu les principes de l’économie smithienne (De la richesse commerciale, 1803). Mais heurté par la misère des ouvriers anglais il publie en 1819 ses Nouveaux principes de l’économie politique, ou de la richesse dans ses rapports avec la population, dans lequel il s’oppose aux arguments de J.-B. Say, analyse la possibilité de crises économiques générales dues à la sous-consommation chronique des travailleurs et propose un certain nombre de réformes. Il s’opposait à Say sur la question du machinisme, même s’il n’était pas entièrement hostile à leur usage. L’emploi des machines est critiquable lorsqu’il n’y a pas croissance de la demande et que leur introduction se fait au détriment du travail et donc de la masse salariale. Sismondi insistait lourdement sur les risques de chômage à court terme et sur la chute des salaires et de la consommation populaire. À long terme il y aura bien hausse simultanée de la production, de la consommation et de l’emploi mais au prix d’une transition douloureuse pour les gens du peuple. De plus l’emploi des machines suscite une surproduction d’une part et hausse des revenus des entrepreneurs d’autre part aggravant l’inégale répartition des richesses. Référence : Alain Barrère, Histoire de la pensée et de l’analyse économiques, Paris, Cujas, 1994, tome 1, p. 560-562.

Notes de fin littérales:

i Les journaux nous apprennent que ces coalitions se sont renouvelées cette semaine à Paris pour une autre branche de la même industrie.

 

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