L'Echo de la Fabrique : 16 septembre 1832 - Numéro 47

CONSEIL DES PRUD’HOMMES.

Séance du 13 septembre,

(présidée par m. putinier.)

La séance de ce jour a présenté beaucoup de contestations entre les maîtres et leurs élèves. Plusieurs ont été conciliées ; mais quelques-unes ont présenté des cas d’une telle gravité, que le conseil a dû renvoyer l’une de ces causes à quinzaine, afin de prendre des informations sur la moralité du maître et la conduite de l’apprentie. Dans une autre cause, dont les détails étaient de nature à porter atteinte aux mœurs, le huis-clos a été ordonné. Suivant l’usage de nos confrères, nous n’en rendrons aucun compte.

De tous ces débats, qui présentent à nu les misères humaines, et qui sont bien propres à la méditation des hommes consciencieux, une seule cause à laquelle le public attachait avec raison un grand intérêt, a un peu déridé le front des auditeurs, c’est celle entre le sieur Coq et le sieur Frasseleri. Le sieur Coq, prenant derechef le style ampoulé de l’avocat le plus amphathique, s’est livré à des recherches minutieuses, et tout-à-fait étrangères à l’affaire, sur ce qui a pu produire la haine du sieur Frassler contre lui, et lui faire refuser l’ouvrage qu’il lui offrait. Le sieur Frassler demande à se justifier des inculpations du sieur Coq. Ce n’est qu’avec peine que quelques membres du conseil paraissent vouloir l’entendre, tant il est vrai que celui qui s’exprime avec aisance a la facilité d’être très-long, quoiqu’il finisse par ne rien prouver. Le sieur Frassler s’est en peu de mots pleinement justifié des inculpations grossières dont le sieur Coq l’accusait gratuitement, et dans le seul but de jeter du doute sur la confiance qu’on devait lui accorder.

Après bien des délibérations, M. le président met aux voix la question de savoir s’il y a lieu à accorder une indemnité au sieur Coq, ou à le débouter de ses prétentions. Le vote a donné le résultat suivant :

Sur 25 membres, dont le conseil était composé, il y a eu 12 voix pour accorder une indemnité au sieur Coq, et 12 pour le débouter de ses prétentions, un des membres ayant refusé de voter. D’après ce résultat, M. le Président a cru devoir débouter le sieur Coq de toutes ses demandes. A ce moment, les visages des auditeurs, qui étaient dans l’attente de la décision, se sont déridés, plusieurs ont semblé sourire, et le sieur Coq lui-même a semblé prendre un air content ; satisfait sans doute [6.2]d’avoir, dans l’intérêt des fabricans, occupé assez long-temps le conseil de ses prétentions aussi nouvelles que peu fondées, espérant peut-être que ce serait un jalon posé dans la route.

Une autre cause a encore fixé l’attention du public, celle entre le sieur Monet et M. Gamot, membre du conseil. Cette affaire avait déjà parue en petite audience, et elle avait été renvoyée par-devant MM. Vuldy et Falconet, pour le règlement de l’indemnité à accorder au chef d’atelier, qui se plaint de n’avoir pas fait des façons suffisantes pour compenser ses frais ; mais elle n’a pu être conciliée. Le sieur Gamot dit ne vouloir pas se rapporter à la conciliation, parce que dans le compte arbitré on a porté la somme de trois francs pour défraiement de l’ouvrier, sur l’usure de ses arcades, et 5 francs pour indemnité de temps perdu pour la correction d’un dessin. Le sieur Monet réclame les tirelles sur ses deux pièces crêpes-zéphirs 4/4, et demande que le sieur Gamot reprenne le peigne qu’il a été obligé d’acheter au prix 20 francs, ou au moins qu’il lui soit, à cet effet, ajouté un petit défraiement. Le sieur Gamot répond que le conseil n’a pas de règlementii pour les tirelles, que pour lui il n’est pas dans l’usage d’en accorder sur les pièces crêpes-zéphirs ou marabou ; il refuse de prendre le peigne et demande que son affaire soit renvoyée jusqu’à ce que le conseil ait fait un réglement sur la manière de fixer les défraiements de montage et décidé si les fabricans doivent les tirelles sur les pièces de mouchoirs crépes-zéphirs.

L’affaire a été renvoyée et la séance s’est ainsi terminée.

Notes de fin littérales:

i Voir le numéro précédent.
ii Le conseil n’a en effet rien statué sur les tirelles à accorder ou à refuser aux articles marabous, etc., mais il a été plusieurs fois décidé que la jurisprudence du conseil se baserait sur les jugemens. Il a pu paraître au public assez inconvenant, que le sieur Gamot se crût encore juge quand il était à la barre des justiciables, et qu’il ait osé réclamer, dans son intérêt personnel, de faire partie des délibérations du conseil, avant que son affaire ne fût jugée. Nous savons aussi que les prud’hommes chefs d’atelier ont, de leur côté, refusé de délibérer sur ce point avant que l’affaire du sieur Gamot ne fût terminée.

 

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