L'Echo de la Fabrique : 16 septembre 1832 - Numéro 47

LITTÉRATURE.

Nous avons rendu justice au beau talent de Barthelemy toutes les fois que l’occasion s’en est présentée. Notre journal s’est même enrichi de plusieurs morceaux émanés de la verve brûlante de ce poète : c’est avec douleur que nous avons entendu des voix accusatrices contre lui. Barthelemy, dit-on, est vendu au pouvoir. Nous donnerions un verre de notre sang pour que cet affront ne soit pas fait à la liberté, pour qu’un auteur que nous aimons ne tombe pas du haut rang où son talent et son patriotisme l’ont fait monter. Celui qui renversa le ministère Villèle sous les coups de la satire populaire, le chantre de Napoléon en Egypte, du Fils de l’homme, des Douze journées de la révolution, du Poème de l’insurrection et de Némésis, ce prodige de nos jours ; cet homme ne doit pas être accusé légèrement. C’est le cœur navré de douleur que nous dirons qu’on lui attribue la Justification de l’état de siège, et qu’au lieu de désavouer complètement ce libelle, Barthelemy (nous l’avons lu) a promis sa justification qui n’exigera pas moins, dit-il, de 700 vers. Nous attendons avec impatience cette apologie, mais Barthelemy devrait-il en avoir besoin ? La femme de César ne doit par être soupçonnée.

Un jeune poète plein d’avenir, auquel nous ne saurions donner trop d’encouragemens, s’est adressé avec une Juvénalique indignation à Némésis, la plus brillante [7.1]peut-être des productions de Barthelemy, de la manière suivante :

a némésis.

Némésis ! Némésis ! tes fureurs étaient belles !
Quel dieu subjugua ta vertu ?
Quels ciseaux ont coupé les vigoureuses ailes
De ton hippogriffe abattu ?

C’est le dieu qui prêtait sa puissance invincible
Aux amours du grand Jupiter,
Lorsque de Danaë poursuivant invisible,
Il perçait sa prison de fer.

Ce sont les ciseaux d’or, dont les magiques lames
Tranchent le métal le plus dur,
Font fléchir les dédains de bien sublimes ames,
Et le dévoûment le plus pur.

C’est Plutus, mais Plutus dont les regards lucides
D’un voile ne sont point couverts,
C’est Plutus qui poursuit de ses présens perfides
Ses adversaires les plus fiers.

Mais toi, toi, Némésis, aux torches vengeresses,
Altière et chaste déité,
Tu devais résister à d’infâmes caresses,
Conserver ta virginité.

Du Lovelace adroit qui souillait ta tunique
Il fallait déchirer le flanc ;
Et quand il souriait, à son œil impudique
Arracher des larmes de sang.

Et ton lâche ennemi vaincu dans cette lutte,
Eût gardé son or méprisé,
Et ton bandeau royal, par une indigne chute,
N’eût pas été pulvérisé.

Mais non ! toi qui brûlais de ta rime infernale
Les hommes au pouvoir vendus ;
Tu n’es plus maintenant qu’une fille vénale
Qui trafiquas de tes vertus.

Et ton nom est maudit, ta hideuse figure
Appelle les sanglans mépris,
Et tu seras clouée à la Caricature (1)
Auprès de tes nouveaux amis.

Tes amis ! ont-ils donc séché l’impure bave
Dont les salirent tes serpens !
Ou, de ce qu’à leurs pieds tu te roules, esclave,
A tes yeux seraient-ils plus grands ?

Sans doute ils sont plus grands, mais en ignominie,
Mais en impopularité !
Et croissent chaque jour leur plate tyrannie
Et leur vaste inutilité.

Il ne te reste plus qu’à rentrer dans l’arène,
Qu’à bénir ce que tu maudis !
Va ! fais des madrigaux aux princes, à la reine,
Tu célébras bien Charles-Dix !

Oui, sois dame de cour ; échange ta sandale
Contre des souliers de satin ;
Pour nos banquiers-seigneurs, doux sujet de scandale,
Partage leur riche festin.

Mais ne viens pas à nous, jeunes gens aux fronts graves,
Aux pensers tout républicains,
Qui des chemins dorés méprisons les entraves,
Et maudissons les publicains.

A nous il ne faut point une muse timide,
Au mielleux et tendre souris ;
Nous aimons les fureurs de l’iambe rapide,
Ou tes anciens chants, Némésis !

Hélas ! au bruit fatal de ton apostasie,
De ta honteuse trahison,
Nous avons répété, l’ame d’horreur saisie,
O vertu, tu n’es plus qu’un nom !

amédée roussillac.

 

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