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16 septembre 1832 - Numéro 47 |
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SOMMAIRE.1 [1.1]Sur la pétition adressée par le Conseil des Prud’hommes à M. le ministre du commerce. – Des machines dans l’industrie, par M. Anselme Petetin. – Lettre de M. S. Fav. sur l’illégalité du péage perçu à la porte de l’Hôtel-Dieu. – Idem de M. Renigu sur l’assistance devant le conseil des prud’hommes. – Idem de M. Donn…eu, sur le besoin d’eau dans la ville de Lyon. – Conseil des prud’hommes. – Variétés. Prix proposés par l’administration du Journal des Connaissances utiles. – … – Statistique du département de la Loire. – Littérature. – A Némésis, par M. Amédée Roussillac. – Coups de Navette – Avis divers. École gratuite saint-simonienne. – Avis de la poste.
Sur la pétition adressée par le Conseil des Prud’hommes à M. le Ministre du Commercei. Il y a quelque temps que nous avons annoncé qu’une pétition avait été adressée par les membres du conseil des prud’hommes, à M. le ministre du commerce, afin de réclamer des lois protectrices de notre industrie, ou, pour mieux dire, des réglemens de douanes, à l’effet d’empêcher l’exportation de nos mécaniques. M. le préfet vient de faire tenir au conseil la réponse de M. le ministre, de laquelle il résulte que le conseil était dans l’erreur de croire que le simple droit de 2 p. % existait encore sur l’exportation des machines. Ce droit a été réduit par une ordonnance du 16 juin dernier, à 2 p % applicable seulement sur un quart de la valeur. M. le ministre fait observer que cette réduction a été effectuée sur les réclamations unanimes qui se sont élevées contre le droit de 2 pour cent. Nous persistons à croire, qu’à ce [1.2]sujet, il est tombé dans une erreur grave, et qui peut porter un coup mortel à notre industrie, en confondant les vœux de quelques constructeurs de machines et d’ustensiles, avec les intérêts de l’industrie lyonnaise, qui est d’exporter les produits de son industrie ; en conservant ses inventions et ses procédés mécaniques, qui servent à sa production, et qui lui ont jusqu’à ce jour conservé sa supériorité sur toutes les autres villes manufacturières. Nous ne pouvons croire que la chambre de commerce, que nos députés, que les membres du comité des arts et manufactures, qui représentent l’industrie de notre ville, aient donné leur assentiment à une pareille mesure, qui tend évidemment à diminuer nos exportations, en suscitant, non-seulement à Lyon, mais à St-Etienne, à Nîmes, une nouvelle concurrence. Tout le monde sait que nos voisins, depuis long-temps envient notre industrie, qu’ils cherchent tous les moyens de nous la ravir ; et que si chez eux elle commence à y prospérer, c’est que les gouvernemens étrangers la favorisent et lui accordent toutes les protections dont elle est susceptible. L’Angleterre, qui déjà frappe nos soieries à leur arrivée dans ses ports, d’un droit de 30 pour cent, nous menace aujourd’hui d’en prohiber l’entrée. Lorsque l’Allemagne, le Piémont, l’Italie et l’Espagne, auront augmenté leurs moyens de fabrication, ces peuples nous tiendront le même langage, et finiront par prohiber nos produits. M. le ministre observe encore que, soit par la contrebande, soit en payant des droits de douanes plus élevés, nos voisins sont aujourd’hui venus à bout de nous enlever presque tous nos procédés mécaniques, et qu’il en sera de même de ceux que nous pourrions inventer. S’il en était ainsi précédemment, nous pouvions espérer qu’il n’en serait pas toujours de même, qu’une autre marche serait suivie, et qu’en améliorant encore nos procédés, nous serions toujours sans concurrence pour les façonnés et les articles de nouveautés ; que nous pourrions, à force de génie et de persévérance, en faisant prospérer notre commerce, améliorer le sort de nos industriels, et préserver notre ville d’une décadence qui nous paraît si imminente. Il est douloureux pour nous, de perdre jusqu’à cette espérance, et cela par la volonté même de notre gouvernement. C’est par une ordonnance, en date du 12 octobre 1830, que l’exportation des machines fut permise, moyennant un droit de 2 pour cent, et c’est le 16 juin dernier qu’il [2.1]a été réduit sur un quart pour cent de la valeur, comme nous l’avons dit plus haut. Il serait possible qu’avant la fin de l’année, en suivant cette marche, une nouvelle ordonnance accordât une prime à l’exportation des machines plutôt qu’à l’exportation des étoffes unies, réclamée depuis long-temps par nos fabricans, qui demandent que les sommes perçues sur l’entrée des soies étrangères, soient applicables à cette prime. M. le ministre du commerce n’a jamais voulu entendre raison à ce sujet. A quoi bon aujourd’hui chercher à perfectionner notre industrie ? à quoi bon les écoles spéciales de dessin ? pourquoi discuter sur l’organisation future de l’école la Martinière, si les fruits que peuvent procurer de pareilles études ne doivent être recueillies que par l’étranger ? Que nous sert d’avoir des industriels intelligens, si par la négligence et l’incurie de nos gouvernans, ils sont obligés, pour vivre, d’emporter leurs machines et leurs talens à l’étranger, où ils apprendront à oublier leur patrie ? Pourquoi notre imprévoyance force-t-elle nos malheureux concitoyens à aller mendier leur existence à l’étranger en l’enrichissant de leurs talens, et en créant ainsi une concurrence funeste à leur pays ?… Est-ce là le but de M. le ministre du commerce ? nous sommes loin de le penser ; mais nous voyons un effet dont nous ne pouvons nous expliquer la cause. La grande population de notre ville manufacturière l’épouvante-t-elle ? Nous n’avons jamais voulu attribuer qu’à la malveillance les propos qui ont pu circuler à ce sujet, il nous sera doux d’en recevoir le désaveu ; mais alors il faudra que le ministère agisse en conséquence. F......t.
AU REDACTEUR.
des machines dans l’industrie. Lyon, 9 septembre 1832. Monsieur, Je lis dans le N° de l’Echo de la Fabrique qui a paru ce matin un article remarquable de M. Bouvery, sur l’emploi des machines dans l’industrie, et, en attendant les explications qu’il annonce sur cet important sujet, je vous prie de me permettre de présenter quelques observations qui s’y rapportent et qui répondent à une objection souvent reproduite1. – J’espère, comme M. Bouvery, que personne ne faussera le sens de mes paroles, et qu’on n’y verra que l’opinion consciencieuse d’un homme qui donne un but unique à l’étude de la politique et de l’économie sociale : l’amélioration du sort moral et matériel des travailleurs. La question de l’intervention des machines dans l’industrie a été agitée depuis long-temps sans amener une conviction générale de la vérité sur ce point capital de l’ordre économique. Une école philosophique qui a eu, selon moi, le tort immense de se faire secte religieuse, a, je crois, apporté une solution, sinon directe et précise, au moins générale de la difficulté. Il y a plus de vingt ans qu’un homme qui s’est fait un grand nom dans les sciences économiques, par sa persistance à professer l’idée voltairienne appliquée à l’industrie, M. J.-B. Say, l’avocat de la liberté illimitée du commerce, entama et soutint contre un écrivain d’un esprit singulièrement actif et original dans sa profondeur, M. de Sismondi2, une polémique où toutes les bonnes raisons furent de part et d’autre produites à l’appui de [2.2]deux thèses, et cependant le débat ne fut point alors terminé. M. de Sismondi partageait l’opinion de M. Bouvery, et il l’a développa avec une rare vivacité d’esprit et une grande netteté de vues. Il était impossible de se refuser à l’évidence de sa démonstration. – M. Say apportait de son côté le principe inflexible de la liberté commerciale qui devait obtenir une grande faveur dans un moment où toute autre liberté y était étouffée, et où celle-là même allait être cruellement comprimée par le blocus continental. Dans l’esprit du public de ce tems, M. Say eut donc tout l’avantage de la discussion ; car c’était un moyen assuré de succès que d’offrir à des gens peu familiarisés avec les difficultés de l’économie politique une théorie invariable, qui se rattachait au grand principe philosophique du xviiie siècle ; qui créait une sorte de providence du hasard au-delà de quoi personne, ni le gouvernement, ni les particuliers, ni les industriels, n’avait rien à chercher ; – qui ne demandait pour toute habileté qu’une tolérance sans limites, pour toute combinaison qu’une liberté sans règles ; – qui se résumait en un axiôme devenu proverbial, et qui a donné son nom à cette école d’économistes : Laissez faire, laissez passer. Cela était infiniment commode et mettait un terme à toutes les inquiétudes. Ainsi, quand M. de Sismondi disait et prouvait que l’intervention d’une nouvelle machine dans l’industrie, était un arrêt de mort pour un certain nombre de travailleurs, et ajoutait, avec plus d’esprit que de raison, que l’Etat devait arrêter la désastreuse application de cette invention meurtrière, attendu que la société doit plus de protection aux hommes qu’aux machines, M. Say s’avançait avec son dogme absolu, et opposait à ce fait palpable l’incontestable droit que chaque homme a rigoureusement de déployer comme il lui plaît, et d’appliquer aux choses qui lui conviennent cet instinct progressif, cette passion de perfectionnement, qui est la plus noble essence de notre nature ; – M. Say répondait à tout par un seul mot : Le droit, la liberté. Vainement lui aurait-on montré des populations entières mourant de faim par suite de l’invention d’une machine, vainement lui aurait-on prouvé que la nécessité de vivre est la première condition de tout être, et qu’à aucun prix, même au prix de la révolte et de la dévastation brutale, un peuple laborieux ne pouvait consentir à se laisser tuer par une abstraction libérale et philosophique : tout cela l’aurait touché, mais n’aurait pas ébranlé sa conviction. – Et tel est à cet égard l’absolutisme de cet école, que l’année dernière nous avons entendu un homme qui tient à M. Say par d’autres liens encore que celui des croyances économiques, et dont, certes, nul ne contestera les sentimens populaires, M. Charles Comte, déclarer à la tribune de la chambre, que pour lui, toute hypothèse, si horrible quelle fût, cédait devant l’obligation de respecter impitoyablement la liberté illimitée de l’industrie. Aurais-je l’air de faire un paradoxe en affirmant que les deux écoles ont raison ? Que M. de Sismondi disait vrai en avançant que les machines sont, dans l’état actuel des choses, un très-grand malheur, et que M. Say n’avait pas tort en soutenant avec fermeté le droit d’invention dans l’industrie, comme une liberté sainte et inhérente à la nature de l’homme ? Telle est cependant la vérité. Seulement je crois que ces deux hommes éminens n’avaient poussé ni l’un ni l’autre leur argumentation assez loin ; je crois que s’ils avaient pu, au point où en était alors la science politique, suivre jusqu’au bout les déductions qui sortaient [3.1]de leurs thèses, ils se seraient rencontrés sur un terrain où la vérité eût donné satisfaction à tous deux. « Quant à l’argument tiré de l’emploi des machines pour produire à bon marché, dit M. Bouvery, je croirais que c’est une mauvaise plaisanterie, si je ne voyais cette assertion reproduite partout et sous toutes les formes. Je dois donc penser que c’est ma perspicacité qui est en défaut ; et dès-lors je prierai les partisans de ce système de m’expliquer comment ils soutiendront une population immense dont tous les moyens d’existence consistent dans le travail, lorsqu’elle sera repoussée des ateliers qui n’emploieront que des machines, de sorte que dans telle manufacture qui autrefois donnait de l’occupation à mille ouvriers, et qui, en favorisant la consommation, faisait vivre dix mille individus ; maintenant qu’elle n’emploiera que des machines, elle n’aura plus de salaires à donner qu’à cinq ou six intelligences suffisantes pour mener toute l’affaire, et qu’elle payera cher, je le veux bien, mais moins cependant qu’elles ne valent, grâce à l’égoïsme. Qu’on me dise ce que l’on fera de ces mille ouvriers jetés incontinent sur le pavé et sans ressources : on leur dira de prendre patience ; et si la fin qui, de sa nature, n’est pas patiente, et qui de plus n’a pas d’oreilles, les pousse à crier un peu plus haut et à se mutiner, oh ! alors il y a cet argument irrésistible qu’on appelle ultima ratio regum. Soit… cependant étaient-ils bien coupables, et était-ce là tout ce qu’on pouvait faire pour eux ? » Il est clair que M. Bouvery a raison contre le gouvernement tel qu’on l’a entendu jusqu’ici. Il est clair que tant que le gouvernement se considèrera comme un être à part de la nation, vivant d’une autre vie, se faisant d’autres intérêts, ne se donnant pour tâche que d’exister et de se défendre contre les factions qui en veulent au pouvoir et aux avantages qu’il procure ; ne concevant pas d’autre devoir que celui de se maintenir en paix au milieu d’un peuple plus ou moins heureux, et d’intérêts plus ou moins froissés ; – il est clair que tant qu’on ne verra le beau idéal de l’administration que dans je ne sais quel mysticisme représentatif, appuyé sur un équilibre fictif, le peuple, dénué d’une providence supérieure qui combine les élémens de progrès, devra craindre les inventions de machines, dont le premier résultat est un malaise auquel le pouvoir ne connaît d’autre remède que celui du canon. Mais en serait-il de même, monsieur, si de véritables institutions électives permettaient à la capacité pauvre de prendre sa place dans les affaires publiques ? La question ne changerait-elle pas complètement, si nous avions la certitude que tout ce qui possède à la fois, capacité, moralité, activité, se trouve naturellement porté au pouvoir et dirige toutes les affaires du pays ? – Le laisser faire ne se transformerait-il pas alors en une providence universelle de tous les intérêts ? Ne pourrions-nous pas compter que le gouvernement prendrait quelque soin de ces mille ouvriers devenus oisifs ? Certes, c’est un grand malheur que cette population ainsi privée subitement de travail et du pain ; c’est un malheur immense, et qui, outre les souffrances imméritées de tant d’hommes laborieux, jette dans l’Etat une perturbation générale. Mais pourtant ce malheur même à présent n’est pas sans compensation, et je m’étonne que M. Bouvery n’ait pas vu qu’il poussait trop loin l’hyperbole en traitant de mauvaise plaisanterie l’opinion des gens qui se préoccupent exclusivement des heureux résultats de l’emploi des machines. Ces résultats sont palpables, pourtant, car si une machine nouvelle vient simplifier le travail au point de faire descendre à 5 sous le prix d’une paire de bas ou d’un habit, on ne peut nier que l’hiver prochain un plus grand nombre d’hommes seront à l’abri des atteintes du froid. On ne peut nier non plus que ceux qui achèteront des bas et des habits à ce prix, seront obligés à un travail bien moins grand pour s’en procurer la valeur, et qu’ils pourront employer à d’autres nécessités, ou à des occupations intellectuelles, ou enfin au repos et au plaisir qui est [3.2]aussi pour l’homme un besoin, le tems qu’ils auraient mis à se procurer les grosses sommes qu’il leur fallait autrefois pour se vêtir. Ainsi, quand une machine nouvelle entre dans l’industrie, elle apporte une réelle amélioration à la société prise en masse ; mais il tombe sous les sens que les parties de la société qui profitent de cette amélioration, doivent assurer l’existence des travailleurs qu’elle prive de ressources. C’est là une des applications du système des primes. Il est injuste, sans doute, que l’intérêt des fabricans de sucre de betteraves et des cotons, oblige la nation entière à payer le sucre étranger deux fois ce qu’il vaut ; mais si nous permettons la libre entrée des sucres anglais, il sera rigoureusement équitable d’accorder une prime aux sucres indigènes, soit pour aider cette industrie à subsister et à s’améliorer, soit pour adoucir sa chute si elle doit tomber, si elle a été maladroitement implantée sur notre sol, pour éviter qu’une population industrielle se trouve tout-à-coup sans pain, et pour lui donner le tems de chercher ailleurs un autre emploi de ses bras. Si le gouvernement était vraiment la personnification résumée de la nation, il n’est pas douteux que les choses ne se passassent ainsi ; car dans ce centre des forces et des intérêts populaires, il y aurait des représentans de l’industrie déclinante, de la population souffrante qui réclameraient des autres membres de l’Etat des compensations pour les maux particuliers causés par l’avantage général. Dans ce cas, encore, l’intérêt du plus grand nombre veillerait à ce que les avantages produits par les machines nouvelles, ne se concentrassent pas dans les mains d’un petit nombre de capitalistes privilégiés, tout en laissant cependant à l’inventeur les bénéfices légitimes de son industrie. Ce point est d’une extrême importance, et jusqu’ici nul gouvernement ne s’en est préoccupé. Le gouvernement anglais lui-même si vanté pour sa politique industrielle, n’a eu jusqu’ici en vue que de produire beaucoup sans s’inquiéter nullement de la répartition des produits ; et comme un principe régnant tend toujours à s’étendre et à se développer, le principe aristocratique qui gouverne l’Angleterre a envahi jusqu’à l’industrie, et réuni en un petit nombre de mains tous les priviléges commerciaux. La situation des grandes villes industrielles en donne une déplorable preuve. En tout et partout il faut que le pouvoir se souvienne de cette devise si profonde et si énergique, que proclamaient nos ouvriers en des jours de funèbre mémoire : Vivre en travaillant ou mourir en combattant ! Les avantages du perfectionnement des machines sont donc incontestables, aussi bien que leurs inconvéniens ; et si l’on ajoute qu’il serait absurde et tyrannique d’arrêter sur ce point, comme sur tout autre, le développement du génie inventif de l’homme, on conclura qu’il ne reste aujourd’hui rien à faire qu’à pallier autant que possible les inconvéniens, qui se résolvent en un seul, l’occupation des bras. – La question est donc d’occuper les bras que les nouvelles machines laissent oisifs. Ce serait là la véritable mission d’un gouvernement intelligent et moral ; ce sera, je l’espère, la tâche que se donneront les gouvernemens de l’avenir, quand l’administration ne sera plus livrée aux hommes de loisir, comme dit le Journal des Débats, c’est-à-dire aux fainéans et aux incapables ; mais aux travailleurs reconnus capables par leurs concitoyens. Maintenant, j’en conviens, l’invention d’une machine n’est qu’un malheur dont les compensations éloignées [4.1]ne peuvent nous faire accepter les horribles résultats. Maintenant M. Bouvery a raison cent fois, non pas contre nous, partisans du perfectionnement industriel, mais contre le gouvernement qui, non-seulement ne fait rien pour apporter une sorte d’harmonie entre les forces productives et les facultés de la consommation, mais qui souvent même vient aggraver par ses passions politiques, ses passions de parti, les maux qu’il ne sait pas guérir. Permettez-moi, Monsieur, de vous en rappeler un exemple pris dans une industrie que j’ai dû connaître dans tous ses détails, l’imprimerie. Depuis quelque temps les machines anglaises de tirage, substituées aux presses à bras, excitaient les plaintes amères de cette partie nombreuse de la population ouvrière de Paris, qui vit de l’imprimerie. L’emploi de ces machines, en effet, était désastreux pour les pressiers, car avec un homme et un enfant, elles faisaient le travail journalier de vingt ou trente bras. – La révolution de juillet éclata, et l’on se rappelle la part glorieuse qu’y prirent les ouvriers imprimeurs ; mais soit que le malaise jeté parmi eux par les mécaniques anglaises, fût porté à l’excès, soit qu’une partie de cette population eût mal compris le sens de la révolution à laquelle elle avait elle-même si honorablement coopéré, le calme ne fut pas plutôt rétabli dans Paris après la victoire, que l’on vit éclater ces émeutes contre les machines qui donnèrent au gouvernement et à tous les bons citoyens de si vives inquiétudes. Des violences furent exercées contre des chefs d’imprimerie, des coalitions se formèrent, soit pour refuser le travail, soit pour briser violemment les machinesi. – Eh bien ! monsieur, que fit le gouvernement ? Vous croyez peut-être qu’il chercha des moyens de travail pour cette foule inoccupée ? Il fit tout le contraire. – Aussitôt après la révolution, comme le peuple s’était figuré que c’était bien une révolution qui venait d’avoir lieu, et non pas seulement un changement de dynastie ; les lois politiques de la restauration furent regardées comme abrogées ; on crut naturellement que la liberté de la presse était devenue une vérité, que toutes les entraves de brevets pour les imprimeurs, de cautionnemens pour les journaux, etc., etc., avaient été brisées avec le trône dont les passions nous les avaient imposées. Une foule de journaux nouveaux se fondèrent, un grand nombre de jeunes ouvriers imprimeurs, pleins d’intelligence et d’activité, qui n’avaient pas eu assez d’argent pour acheter un brevet, s’établirent, et en quelques jours les travaux d’imprimerie doublèrent presque de produits. C’est qu’en effet un nouvel esprit public venait de naître en France, et qu’un besoin universel de mouvement intellectuel se faisait partout sentir jusqu’au fond des provinces les plus reculées. Mais cela ne plaisait guère aux doctrinaires qui alors déjà concevaient ce plan d’amortissement pour l’esprit public qu’ils ont depuis si bien exécuté. L’essor que prenait la presse les effrayait, et ils se hâtèrent de détruire les nouveaux journaux, en exigeant sans pitié, dans un délai de quelques jours, l’énorme cautionnement que voulait la loi de la restauration (120,000 fr.), en faisant, d’un autre côté, fermer les ateliers ouverts sans brevets. – C’est alors qu’éclatèrent les émeutes d’ouvriers dont j’ai parlé tout-à-l’heure. Si le pouvoir eût laissé l’industrie de la presse prendre son développement naturel, tout se serait arrangé sans conflit et sans souffrances. Les jeunes imprimeurs qui [4.2]n’avaient pas assez de capitaux pour faire fonctionner les presses anglaises, auraient employé les pressiers restés sans ouvrages, et leur travail personnel, leur intelligence, leur activité eût compensé et au-delà l’économie que les grandes maisons trouvaient dans l’emploi de ces presses. Pour obvier au malaise de l’industrie, il faut donc, premièrement, que le pouvoir se corrige de ses passions de parti, c’est-à-dire qu’il représente autre chose que des privilégiés qui, n’ayant pour eux ni le droit, ni la force, en sont réduits à gouverner par la ruse, et en faussant, autant que possible, et l’esprit national, et la marche naturelle des choses. – Il faut, en second lieu, qu’il devienne le résumé de tous les intérêts et de toutes les capacités du pays. – Alors, son rôle ne sera plus de défendre son personnel et de se mêler le moins possible aux véritables affaires du peuple : mais de se placer hardiment à la tête de tout ce qui se fait ; de protéger les intérêts qu’une concurrence exagérée écrase tout-à-coup ; de pousser et d’activer les industries qui sont en retard, et qui ne fournissent pas à ceux qui en vivent les moyens de lutter contre la perfection des autres branches du travail ; de tenir, en un mot, constamment fixé sur tous les points du pays, un œil intelligent et plein de sollicitude pour toutes les existences, alors les machines ne seront plus un malheur, car on prendra soin de la génération d’ouvriers qu’elles laisseront sans travail ; alors les travailleurs n’afflueront pas tout-à-coup sans prévoyance sur une branche d’industrie, insuffisante pour tant de bras et tant de bouches ; alors Mulhouse, Rouen, Paris et Lyon ne seront pas dévorées par la concurrence illimitée et la surabondance de civilisation, tandis que les Landes et la Bretagne sont encore de véritables pays sauvages ; alors un système général de communications, de chemins de fer, de routes et de canaux, fertilisera le pays et fera circuler le sang et la vie d’un bout de la France à l’autre, du cœur aux extrémités, et des extrémités au cœur. Tout cela, monsieur, se fera quand le gouvernement sera peuple et non pas aristocrate ; tout cela se fera quand le pouvoir n’aura d’autres intérêts que les intérêts des masses, d’autres passions que les sympathies nationales ; – quand M. Bouvery, par exemple, représentera la population ouvrière de Lyon, au lieu de M. Fulchiron. Jusque-là, les perfectionnemens industriels seront de véritables malheurs ; comme c’est un malheur pour un vieillard que de se trouver pour quelques jours la vigueur d’un jeune homme. Vous voyez, monsieur, que je ne me suis pas occupé des palliatifs dont parlait le Nouvelliste, et qu’à juste titre M. Bouvery regarde comme insuffisans. – Le défrichement des Landes, la distribution des communaux, tout cela sont d’excellentes choses, mais ce n’est qu’un point de la question, et pour en tirer parti, il faut partir d’un autre principe de gouvernement que celui qui a seul dominé les régimes qui jusqu’ici ont exploité la France ; il faut accepter en tout et partout le principe de la suprématie absolue de l’intelligence et du travail, sur tout autre élément social. C’est à ce progrès que marche le monde : notre tâche, à nous, monsieur, qui avons une plume entre les mains, est de l’y pousser de tous nos efforts. Vous pouvez beaucoup à Lyon pour cela, et je serais bien fier d’y servir à quelque chose. Agréez, etc. Anselme Petetin, Rédacteur en chef du Précurseur.
i Les journaux nous apprennent que ces coalitions se sont renouvelées cette semaine à Paris pour une autre branche de la même industrie.
AU MÊME.
[4.1]Sur le droit de péage illégalement perçu à la porte de l’Hôtel-Dieu. Monsieur, J’ai lu avec plaisir, dans l’avant-dernier numéro de votre journal, une histoire chronologique de l’Hôtel-Dieu. Je pense que vous l’avez lue puisque vous en rendez compte ; voudriez-vous bien me dire si vous avez trouvé la date de l’ordonnance qui autorise la perception d’un péage à la porte de cet hospice. Il y a déjà long-temps que vous aviez élevé une réclamation à ce sujet, vous ne vous en êtes plus occupé, je ne sais pourquoi ; cependant il me semble que lorsqu’un journal attaque un abus, il ne devrait pas cesser qu’il n’ait obtenu gain de cause. Pour moi, convaincu que ce péage est arbitraire, je suis déterminé à le refuser la première fois que j’irai voir quelque malade, à moins qu’on ne me justifie du droit en vertu duquel on l’exige. Si l’on m’arrête, il faudra bien ensuite qu’on me dise pourquoi. On parle tous les jours de légalité, n’est-ce pas aux administrations publiques les premières à s’y conformer. Agréez, etc. S. Fav… Note du Rédacteur. – Il est bien vrai que nous n’avons pas trouvé la date de la loi qui permet ce droit de péage, et nous sommes convaincus qu’il n’est pas dû. En langage ordinaire, on appelle cela extorsion ou vol. Nous n’avons rien à dire à notre correspondant, s’il veut jouer le rôle d’un nouvel Hampden, ce sera à ses périls et risques ; mais si, ensuite, il avait besoin de notre aide, nous ne faillirons pas à notre devoir. Nous ne pouvons accepter le reproche qu’il nous fait d’avoir cessé de nous occuper de ce sujet. Un journal ne peut que signaler un abus, insister plus ou moins long-temps sur sa répression ; mais il ne peut s’en occuper toujours ; d’autres soins, même d’autres abus à combattre, le réclament d’une manière aussi impérieuse ; il suffit, et la lettre ci-dessus le prouve, qu’une idée soit donnée au public, elle ne manque pas de germer. La presse jette un cri, il est entendu, et c’est alors aux citoyens à faire leur devoir. Nous profiterons cependant de cette occasion pour inviter une dernière fois l’administration des hospices à éviter un conflit dont le scandale pourra rejaillir sur elle. Qu’elle annonce que ce droit est volontaire, le pauvre visitant le pauvre, en sera affranchi, et l’homme aisé indemnisera et comblera le déficit.
AU MÊME.
sur le droit de défense devant le conseil des prud’hommes. Monsieur, Le désir d’être utile à mes concitoyens me ferait accepter l’honneur de leur offrir la ressource de mes faibles lumières, suivant la demande que vous faites d’hommes de bonne volonté ; mais, je vous le demande, croyez-vous que l’on puisse se présenter devant le conseil pour défendre un camarade, un ami, sans avoir la loi ou le réglement à la main. Cependant nous n’en avons point. Rien n’est fixé d’une manière stable, la mercuriale elle-même a vécu et meurt incognito. Je serais charmé d’apprendre où l’on pourrait en trouver un exemplaire ; si au moins vous l’eussiez donnée dans votre journal comme [5.2]vous aviez fait du tarif. Tant que le conseil n’aura pas adopté une jurisprudence fixe, sur tous les points qui sont en litige entre le fabricant et l’ouvrier, tant que chaque cause sera abandonnée à l’arbitraire, il est impossible qu’un chef d’atelier puisse défendre utilement ses confrères. J’aurais bien des observations à vous faire ; ce sera le sujet d’une autre lettre. Agréez, etc. Renigu, chef d’atelier. Note du Rédacteur. – C’est justement parce que le conseil n’a pas encore de jurisprudence fixe, qu’il convient qu’un chef d’atelier, peu expérimenté ou timide, soit assisté d’un défenseur ou ami plus capable. Quant à la mercuriale, nous la donnerons lorsqu’elle sera revisée.
AU MÊME.
Sur le besoin d’avoir de l’eau. Monsieur, J’ai lu votre article du 29 juillet dernier, sur le manque d’eau, par lequel vous demandiez que l’administration s’expliquât à ce sujet ; elle devait avoir le temps de la réflexion, mais plus d’un mois s’est écoulé sans qu’elle ait répondu à votre juste demande. Cependant à chaque moment de sécheresse le besoin d’eau se fait sentir d’une manière insupportable ; les habitans des quartiers élevés, qui sont en grande partie des ouvriers, souffrent et sont obligés d’aller chercher d’eau à cinq et même dix minutes de chemin, et là de faire la chaîne pendant une ou deux heures à une fontaine de laquelle il en sort gros comme un fil ; et bien souvent, quoique épuisés de fatigue par leur travail journalier, de se mettre deux au balancier d’une pompe qui ne peut, après de vains efforts, fournir que la moitié de l’eau nécessaire, et alors ils sont encore obligés d’aller recommencer ailleurs la même besogne. Un tel état de choses ne peut durer ; il est temps que l’on songe aux besoins de la classe pauvre. On se plaint tous les jours que ses quartiers ne sont pas propres, comment serait-il possible de faire autrement ? Comment voudrait-on que celui qui est obligé de travailler dix-huit heures par jour pour gagner sa vie, aille encore passer une ou deux heures pour tenir les égoûts, les ruisseaux des allées propres ; ce n’est pas la bonne volonté qui manque, ce sont les forces qui sont épuisées. Que l’administration songe donc aux besoins de première nécessité plutôt qu’à ceux d’agrément. Quoi ! l’on va, dit-on, réorganiser la troupe du Grand-Théâtre, et soixante-dix mille francs seront alloués au directeur pour l’indemniser pendant l’espace de huit mois. Ce même Grand-Théâtre, qui a déjà coûté cinq ou six millions pour le construire, pour qui la ville s’est endettée de deux ou trois, est donc un gouffre. Cela ne peut se concevoir ; on a bien plus de compassion pour l’homme riche et oisif qui peut se promener en été, que pour le pauvre artisan qui est obligé d’aller chercher de l’eau quel temps qu’il fasse, et n’en peut trouver. Cela n’est pas juste. Il faut pouvoir boire de l’eau au moins à sa fantaisie ; car, lors même que l’on serait obligé d’aller jusqu’à Reillieux ou jusqu’à Fontaines, pour trouver une source qui pût fournir abondamment de l’eau, il faut y aller. Ah ! si l’eau payait des droits comme le vin et les autres denrées ! la ville ne s’endetterait pas plus pour donner de l’eau à ses habitans qu’elle ne s’est endettée pour avoir une belle salle de spectacle, qui n’est que pour complaire à la centième partie peut-être. Ce n’est pas par mauvaise humeur contre le théâtre et les jouissances [6.1]des hommes opulens que je parle ainsi, mais par amour de la vérité. On m’objectera que le droit d’indigent que l’on perçoit à la porte, n’est que pour soulager les malheureux. Je répondrai à cette mauvaise plaisanterie qu’il est inutile de faire l’aumône avec l’argent des contribuables. Je n’ai pas besoin d’en dire d’avantage. En résumé, est-ce que les impôts que le peuple paye ne méritent pas qu’on fasse attention à lui ? est-ce que les entrées, qui empêchent aux trois quarts des ouvriers d’avoir une pièce de vin dans leur cave, les impositions que le gouvernement perçoit sous tant de titres, portes, fenêtres, mobilier, personnel, patentes ; est-ce que toutes ces contributions ne peuvent pas suffire pour avoir de l’eau ? S’il en était autrement, pourrions-nous dire que nous sommes citoyens, que nous sommes civilisés et que nous avons une patrie ? Non ! mille fois non ! Agréez, etc. Donn....eu, chef d’atelier.
CONSEIL DES PRUD’HOMMES.
Séance du 13 septembre, (présidée par m. putinier.) La séance de ce jour a présenté beaucoup de contestations entre les maîtres et leurs élèves. Plusieurs ont été conciliées ; mais quelques-unes ont présenté des cas d’une telle gravité, que le conseil a dû renvoyer l’une de ces causes à quinzaine, afin de prendre des informations sur la moralité du maître et la conduite de l’apprentie. Dans une autre cause, dont les détails étaient de nature à porter atteinte aux mœurs, le huis-clos a été ordonné. Suivant l’usage de nos confrères, nous n’en rendrons aucun compte. De tous ces débats, qui présentent à nu les misères humaines, et qui sont bien propres à la méditation des hommes consciencieux, une seule cause à laquelle le public attachait avec raison un grand intérêt, a un peu déridé le front des auditeurs, c’est celle entre le sieur Coq et le sieur Frasseleri. Le sieur Coq, prenant derechef le style ampoulé de l’avocat le plus amphathique, s’est livré à des recherches minutieuses, et tout-à-fait étrangères à l’affaire, sur ce qui a pu produire la haine du sieur Frassler contre lui, et lui faire refuser l’ouvrage qu’il lui offrait. Le sieur Frassler demande à se justifier des inculpations du sieur Coq. Ce n’est qu’avec peine que quelques membres du conseil paraissent vouloir l’entendre, tant il est vrai que celui qui s’exprime avec aisance a la facilité d’être très-long, quoiqu’il finisse par ne rien prouver. Le sieur Frassler s’est en peu de mots pleinement justifié des inculpations grossières dont le sieur Coq l’accusait gratuitement, et dans le seul but de jeter du doute sur la confiance qu’on devait lui accorder. Après bien des délibérations, M. le président met aux voix la question de savoir s’il y a lieu à accorder une indemnité au sieur Coq, ou à le débouter de ses prétentions. Le vote a donné le résultat suivant : Sur 25 membres, dont le conseil était composé, il y a eu 12 voix pour accorder une indemnité au sieur Coq, et 12 pour le débouter de ses prétentions, un des membres ayant refusé de voter. D’après ce résultat, M. le Président a cru devoir débouter le sieur Coq de toutes ses demandes. A ce moment, les visages des auditeurs, qui étaient dans l’attente de la décision, se sont déridés, plusieurs ont semblé sourire, et le sieur Coq lui-même a semblé prendre un air content ; satisfait sans doute [6.2]d’avoir, dans l’intérêt des fabricans, occupé assez long-temps le conseil de ses prétentions aussi nouvelles que peu fondées, espérant peut-être que ce serait un jalon posé dans la route. Une autre cause a encore fixé l’attention du public, celle entre le sieur Monet et M. Gamot, membre du conseil. Cette affaire avait déjà parue en petite audience, et elle avait été renvoyée par-devant MM. Vuldy et Falconet, pour le règlement de l’indemnité à accorder au chef d’atelier, qui se plaint de n’avoir pas fait des façons suffisantes pour compenser ses frais ; mais elle n’a pu être conciliée. Le sieur Gamot dit ne vouloir pas se rapporter à la conciliation, parce que dans le compte arbitré on a porté la somme de trois francs pour défraiement de l’ouvrier, sur l’usure de ses arcades, et 5 francs pour indemnité de temps perdu pour la correction d’un dessin. Le sieur Monet réclame les tirelles sur ses deux pièces crêpes-zéphirs 4/4, et demande que le sieur Gamot reprenne le peigne qu’il a été obligé d’acheter au prix 20 francs, ou au moins qu’il lui soit, à cet effet, ajouté un petit défraiement. Le sieur Gamot répond que le conseil n’a pas de règlementii pour les tirelles, que pour lui il n’est pas dans l’usage d’en accorder sur les pièces crêpes-zéphirs ou marabou ; il refuse de prendre le peigne et demande que son affaire soit renvoyée jusqu’à ce que le conseil ait fait un réglement sur la manière de fixer les défraiements de montage et décidé si les fabricans doivent les tirelles sur les pièces de mouchoirs crépes-zéphirs. L’affaire a été renvoyée et la séance s’est ainsi terminée.
i Voir le numéro précédent. ii Le conseil n’a en effet rien statué sur les tirelles à accorder ou à refuser aux articles marabous, etc., mais il a été plusieurs fois décidé que la jurisprudence du conseil se baserait sur les jugemens. Il a pu paraître au public assez inconvenant, que le sieur Gamot se crût encore juge quand il était à la barre des justiciables, et qu’il ait osé réclamer, dans son intérêt personnel, de faire partie des délibérations du conseil, avant que son affaire ne fût jugée. Nous savons aussi que les prud’hommes chefs d’atelier ont, de leur côté, refusé de délibérer sur ce point avant que l’affaire du sieur Gamot ne fût terminée.
LITTÉRATURE.
Nous avons rendu justice au beau talent de Barthelemy toutes les fois que l’occasion s’en est présentée. Notre journal s’est même enrichi de plusieurs morceaux émanés de la verve brûlante de ce poète : c’est avec douleur que nous avons entendu des voix accusatrices contre lui. Barthelemy, dit-on, est vendu au pouvoir. Nous donnerions un verre de notre sang pour que cet affront ne soit pas fait à la liberté, pour qu’un auteur que nous aimons ne tombe pas du haut rang où son talent et son patriotisme l’ont fait monter. Celui qui renversa le ministère Villèle sous les coups de la satire populaire, le chantre de Napoléon en Egypte, du Fils de l’homme, des Douze journées de la révolution, du Poème de l’insurrection et de Némésis, ce prodige de nos jours ; cet homme ne doit pas être accusé légèrement. C’est le cœur navré de douleur que nous dirons qu’on lui attribue la Justification de l’état de siège, et qu’au lieu de désavouer complètement ce libelle, Barthelemy (nous l’avons lu) a promis sa justification qui n’exigera pas moins, dit-il, de 700 vers. Nous attendons avec impatience cette apologie, mais Barthelemy devrait-il en avoir besoin ? La femme de César ne doit par être soupçonnée. Un jeune poète plein d’avenir, auquel nous ne saurions donner trop d’encouragemens, s’est adressé avec une Juvénalique indignation à Némésis, la plus brillante [7.1]peut-être des productions de Barthelemy, de la manière suivante : a némésis. Némésis ! Némésis ! tes fureurs étaient belles ! Quel dieu subjugua ta vertu ? Quels ciseaux ont coupé les vigoureuses ailes De ton hippogriffe abattu ? C’est le dieu qui prêtait sa puissance invincible Aux amours du grand Jupiter, Lorsque de Danaë poursuivant invisible, Il perçait sa prison de fer. Ce sont les ciseaux d’or, dont les magiques lames Tranchent le métal le plus dur, Font fléchir les dédains de bien sublimes ames, Et le dévoûment le plus pur. C’est Plutus, mais Plutus dont les regards lucides D’un voile ne sont point couverts, C’est Plutus qui poursuit de ses présens perfides Ses adversaires les plus fiers. Mais toi, toi, Némésis, aux torches vengeresses, Altière et chaste déité, Tu devais résister à d’infâmes caresses, Conserver ta virginité. Du Lovelace adroit qui souillait ta tunique Il fallait déchirer le flanc ; Et quand il souriait, à son œil impudique Arracher des larmes de sang. Et ton lâche ennemi vaincu dans cette lutte, Eût gardé son or méprisé, Et ton bandeau royal, par une indigne chute, N’eût pas été pulvérisé. Mais non ! toi qui brûlais de ta rime infernale Les hommes au pouvoir vendus ; Tu n’es plus maintenant qu’une fille vénale Qui trafiquas de tes vertus. Et ton nom est maudit, ta hideuse figure Appelle les sanglans mépris, Et tu seras clouée à la Caricature (1) Auprès de tes nouveaux amis. Tes amis ! ont-ils donc séché l’impure bave Dont les salirent tes serpens ! Ou, de ce qu’à leurs pieds tu te roules, esclave, A tes yeux seraient-ils plus grands ? Sans doute ils sont plus grands, mais en ignominie, Mais en impopularité ! Et croissent chaque jour leur plate tyrannie Et leur vaste inutilité. Il ne te reste plus qu’à rentrer dans l’arène, Qu’à bénir ce que tu maudis ! Va ! fais des madrigaux aux princes, à la reine, Tu célébras bien Charles-Dix ! Oui, sois dame de cour ; échange ta sandale Contre des souliers de satin ; Pour nos banquiers-seigneurs, doux sujet de scandale, Partage leur riche festin. Mais ne viens pas à nous, jeunes gens aux fronts graves, Aux pensers tout républicains, Qui des chemins dorés méprisons les entraves, Et maudissons les publicains. A nous il ne faut point une muse timide, Au mielleux et tendre souris ; Nous aimons les fureurs de l’iambe rapide, Ou tes anciens chants, Némésis ! Hélas ! au bruit fatal de ton apostasie, De ta honteuse trahison, Nous avons répété, l’ame d’horreur saisie, O vertu, tu n’es plus qu’un nom ! amédée roussillac.
Prix proposés par l’Administration du Journal des Connaissances utiles Un prix de 500 fr. sera décerné chaque mois à l’auteur qui, dans un précis de 16 pages du journal, saura résumer tout ce que contiennent d’utile et d’usuel les meilleurs traites sur les sujets mis au concours. Chaque article devra présenter un tableau concis et complet qui puisse être réimprimé en gros caractères et placardé dans les mairies, paroisses, justices de paix et marchés, ainsi que cela a déjà été fait en partie pour les Devoirs civils du curé, admirable article de M. de La Martine, qui pourrait être proposé comme modèle. 500 fr. à l’auteur qui saura présenter le tableau le plus complet, dans l’état présent du la morale publique et de la législation, des Devoirs du citoyen. 500 fr. à l’auteur du précis où seront le mieux définis ce que sont les charges de l’état, les diverses natures d’impôts ; quels sont les cas d’exemption et les moyens légaux de réclamation ; enfin, quelles sont, en résumé, les Obligations et les Garanties du contribuable. 500 fr. à l’auteur d’un guide électoral, à la portée des 180,000 électeurs de France, contenant, d’après les dernières lois, les conditions prescrites pour être électeur communal, électeur d’arrondissement, les formalités pour l’élection d’un maire ou d’un député, et les connaissances nécessaires à l’électeur pour mettre à l’abri des cabales l’indépendance de son esprit ; justifier enfin ce titre : Devoirs et droits de l’électeur. 500 fr. à l’auteur du meilleur traité sur la conduite, le caractère et l’esprit dont les membres des conseils-généraux et municipaux doivent être animés, particulièrement en ce qui concerne les écoles et les chemins. 500 fr. à l’auteur du meilleur précis sur la manière dont la justice s’administre en France, avec la définition exacte de la juridiction des tribunaux de paix, des tribunaux civils, des cours royales, de la cour de cassation, du conseil-d’état, avec une revue comparée des attributions distinctes dans ces divers degrés, des juges de paix, conseillers, procureurs du roi, avocats-généraux, etc. 500 fr. à l’auteur d’un précis sur l’organisation de l’administration en France, proprement dite, où seront démontrés le peu d’avantages et l’instabilité des fonctions publiques, si avidement recherchées. Le précis pourra former deux parties : l’une contiendrait la nomenclature et la concordance entr’elles des fonctions salariées ; l’autre, la nomenclature des fonctions non salariées ; les attributions de chaque emploi devront être déterminées pour en faire apprécier l’utilité. Le but de ce travail est de mettre sous les yeux des personnes les plus étrangères à l’administration du pays, les rouages de son mécanisme ; de leur en faire comprendre l’ensemble, et d’accroître la considération due aux fonctions utiles dignement remplies. 500 fr. à l’auteur d’un résumé des préceptes d’hygiène les plus faciles à suivre par la partie de la population livrée aux travaux de la campagne ; par la partie de la population exerçant dans les villes des professions peu salubres ; par le petit nombre des personnes possédant l’aisance et le temps nécessaire pour que la conservation de leur santé puisse être le premier objet de leur soin. 500 fr. à l’auteur d’un manuel-pratique propre à guider les habitans des campagnes et les ouvriers dans les constructions rustiques. Outre ces huit sujets, tous ceux présentant un caractère non douteux d’utilité et d’intérêt public qui seront [8.1]indiqués par les membres correspondans, seront mis au concours avec un prix de 500 fr. Les articles devront être copiés lisiblement et à mi-marge, et envoyés francs de port au secrétaire-général de la société, rue des Moulins, n° 18. Les auteurs doivent garder une copie de leurs mémoires, et pour faciliter ce concours aux personnes peu habituées d’écrire, le comité se charge de faire les changemens nécessaires pour rendre la rédaction plus correcte. Une médaille d’argent sera décernée à quiconque fera connaître un procédé-pratique pour faire mieux, avec moins de peine ou à meilleur marché, une chose quelconque, et dans quelle profession que ce soit ; et si l’auteur le préfère, il pourra traiter de gré à gré de la communication de son procédé pour une somme d’argent. Nota. L’administration de l’Echo offre son intervention gratis à ceux qui préféreraient s’adresser dans ses bureaux pour ces divers objets, de midi à deux heures.
Statistique du département de la Loire Superficie : – L’étendue du département de la Loire est de 486,500 hectares ; celles de ses arrondissemens est de 193,000 hectares pour Montbrison ; de 188,000 pour Roanne, et de 105,500 pour St-Etienne. Ce dernier, quoique d’une surface moindre que les deux autres, est l’un des plus populeux du royaume. Ses mines de houille, son industrie, et ses nombreuses fabriques y apportent chaque jour beaucoup d’étranger. Population : – La population de ce département, en 1826, était de 369,298 habitans, et en 1831, de 391,216. Cette augmentation doit être attribuée en grande partie à l’arrondissement de St-Etienne qui, en 1801, n’était que de 99,261 habitans, et qui, en 1831, en comptait 149,189.
COUPS DE NAVETTE.
Pour parler sans rien dire, à moi le Coq. Un ouvrier qui indemniserait son marchand, un prud’homme qui ferait la loi en vertu de laquelle son procès, actuellement en instance, serait jugé, n’est-ce pas le monde renversé ? Demandez à MM. Coq et Gamot. Que dites-vous de M. Gamot ? oh ! rien ; il y a de singuliers anagrammes, qui croirait que d’un magot on ferait autre chose qu’un ornement de cheminée. Eh bien ! qu’est-ce que cela veut dire ? je vous le donne à deviner en dix sept. Un dégraisseur va être attaché au secrétariat du conseil des prud’hommes ; demandez pourquoi à M. G......t. Allons mon ga, ne dites mot, voilà tout ce que nous avons entendu d’une conversation qui a eu lieu dernièrement au greffe du conseil des prud’hommes. M. Coq demande la survivance de la place de professeur d’emphase, que M. Troubat a obtenu il y a quelques temps sur la recommandation de ton intime ami M. Desmaisons. Quand le coq chante, la poule doit se taire, mais M. Frassler n’est pas une poule ; il l’a prouvé.
AVIS DIVERS.
[8.2]A dater du 1er septembre courant, il a été ouvert à la direction des postes un bureau spécial où l’on recevra sans aucune augmentation de prix, les abonnemens aux divers journaux. Les destinataires pourront recevoir leurs journaux à domicile, ou les faire prendre à la direction des postes immédiatement après l’arrivée des courriers.
M. Cognat de la religion saint-simonienne, nous prie d’annoncer qu’à dater du 20 septembre courant il ouvrira un cours gratuit en trente leçons, pour la lecture en faveur des adultes des deux sexes quel que soit leur âge. Ce cours aura lieu les mardi, jeudi et samedi de chaque semaine, rue Casati, n° 1, au 1er, où l’on est invité à se faire inscrire avant cette époque, tous les jours de midi à 4 heures. [63] Six métiers pour gilets, travaillant, à vendre, et appartemen-agencés, de trois pièces au centre de la ville, à louer à la Noël-prochaine. On donnera toutes sortes de facilités pour le payement. S’adresser au Bureau. 5 sous le volume. bibliothèque populaire, (88) Ou l’instruction mise à la portée de toutes les classes et de toutes les intelligences, rue St-André des Arts, n° 30, à Paris, 5me et 6me livraison en vente. Sous presse jusqu’à la 15me. Les 120 volumes seront imprimés avant un an. Les lettres et envois d’argent doivent être affranchis. (91) Un homme de 30 ans, ayant reçu de l’éducation, désirerait se placer pour homme de peine. S’adresser à M. Buffard, plieur, place de la Croix-Rousse, n° 23. [89] Mécanique en 600 de Skola, à vendre. S’adresser au bureau du Journal. [90] Un chef d’atelier de velours unis désirerait trouver un ouvrier pour contre-maître. S’adresser chez M. Spadat, plieur, quai Bourgneuf, n° 116. (93) Joli café sur un quai très-passager, à vendre, et pour le payement duquel on donnera des facilités. S’adresser M. Chastaing, rue du Bœuf, n° 5, au 2me. [94] Six métiers de courant, à vendre, ensemble ou séparément. S’adresser au bureau. [95] Appartement de trois pièces au centre de la ville, à louer de suite. S’adresser au bureau. [96] Une mécanique en 900 et deux en 400, à vendre. S’adresser au bureau. (53) Les Srs DELEIGNE et BAILLY, mécaniciens, rue St-George, n° 29, à Lyon, préviennent MM. les fabricans, chefs d’ateliers et dévideuses qu’ils viennent d’obtenir un brevet d’invention et de perfectionnement d’un nouveau genre de mécaniques rondes, dites à roue volante, propres à dévider, trancanner et faire des cannettes à plusieurs bouts, de toutes sortes de soie. Par un nouveau procédé, elles suppriment rouleaux, cordages et engrenages et sont supérieures à toutes celles qui ont paru jusqu’à ce jour. Les broches tournant par une seule roue qui tourne horizontalement, font qu’elles tournent toutes régulièrement. Ces mécaniques sont d’une grande simplicité, et offrent beaucoup d’avantage à l’acquéreur. On les livre à un prix très-modéré avec garantie. [82] A vendre ; plusieurs régulateurs, remisses et peignes de 3/4 et 7/8 de 72 à 84 dents au pouce, navettes en bois pour battant à bouton. S’adresser au Bureau. [84] Deux métiers de velours à prendre dans une maison de santé, à Brignais, près du moulin, maison Hybert. Les ouvriers ou ouvrières jouiront de l’agrément d’un vaste clos. (86) A vendre de gré à gré en totalité ou en partie, atelier pour l’apprêt du satin, consistant en calandre, presse, cartons, etc. S’adresser rue des Tables-Claudiennes, n° 15.
Notes (SOMMAIRE. [1.1] Sur la pétition adressée par...)
La publication d’un sommaire à l’ouverture de chaque numéro à partir de cette livraison du 16 septembre marque une nouvelle fois la volonté de M. Chastaing d’implanter plus solidement encore, et avec son identité propre, L’Echo de la fabrique dans le paysage journalistique lyonnais. Cette publication relève du même effort et de la même intention que l’ouverture de nouvelles rubriques étoffant le journal ou des efforts en vue de généraliser la signature des articles par les journalistes.
Notes (LYON.)
L’auteur de ce texte est Joachim Falconnet d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).
Notes (AU REDACTEUR.)
La controverse entre Pétetin et Bouvery - qui se développe alors même que la question de l’exportation des machines lyonnaises est soumise par les prud’hommes de Lyon au Ministre du commerce - va se poursuivre pendant quelques semaines à l’automne 1832 dans les pages de L’Echo de la fabrique (numéros 50, 52, 54, 56 notamment). Pétetin estimait que l’instauration d’un régime républicain, représentatif de tous les intérêts, constituerait la garantie indiscutable et automatique d’une efficace régulation politique de l’évolution économique. Bouvery, chef d’atelier, plus circonspect et sans doute plus conscient de la complexité des questions économiques et sociales, estimait également indispensable une régulation politique de l’économie. Toutefois il ne considérait pas que l’installation d’un régime républicain pouvait constituer en soi une garantie suffisante et il craignait que le progrès et les diverses transitions économiques soient payés socialement au prix fort par les plus vulnérables. Historien et économiste, Jean-Charles-Léonard Simonde de Sismondi (1773-1842) avait d’abord retenu les principes de l’économie smithienne (De la richesse commerciale, 1803). Mais heurté par la misère des ouvriers anglais il publie en 1819 ses Nouveaux principes de l’économie politique, ou de la richesse dans ses rapports avec la population, dans lequel il s’oppose aux arguments de J.-B. Say, analyse la possibilité de crises économiques générales dues à la sous-consommation chronique des travailleurs et propose un certain nombre de réformes. Il s’opposait à Say sur la question du machinisme, même s’il n’était pas entièrement hostile à leur usage. L’emploi des machines est critiquable lorsqu’il n’y a pas croissance de la demande et que leur introduction se fait au détriment du travail et donc de la masse salariale. Sismondi insistait lourdement sur les risques de chômage à court terme et sur la chute des salaires et de la consommation populaire. À long terme il y aura bien hausse simultanée de la production, de la consommation et de l’emploi mais au prix d’une transition douloureuse pour les gens du peuple. De plus l’emploi des machines suscite une surproduction d’une part et hausse des revenus des entrepreneurs d’autre part aggravant l’inégale répartition des richesses. Référence : Alain Barrère, Histoire de la pensée et de l’analyse économiques, Paris, Cujas, 1994, tome 1, p. 560-562.
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