L'Echo de la Fabrique : 30 septembre 1832 - Numéro 49

Sur l’affiche du jugement qui condamne le sieur Tiphaine à dix francs d’amende, pour avoir insulté le conseil des prud’hommes.

Nous prions nos lecteurs de revoir le N° 40 du journal, en date du 29 juillet dernier, qui rend compte de la séance du conseil des prud’hommes, en laquelle le sieur Tiphaine s’étant, ainsi qu’il en avait le droit, présenté, assisté de deux ouvriers pour les défendre, en fut empêché arbitrairement par M. le président du conseil. On sait qu’une polémique s’est engagée, et qu’il a été démontré, pour tout homme de bonne foi, que la force seule pouvait interdire à un citoyen la faculté d’en assister un autre.

Nous ne pensions pas que M. le président mettrait à exécution le jugement qu’en vertu de son pouvoir discrétionnaire il rendit alors contre le sieur Tiphaine ; car il est vrai de dire que si ce dernier eut tort de s’emporter, M. le président avait encore plus tort de le mettre dans ce cas, en lui refusant brutalement l’exercice d’un droit légitime.

On a sans doute été étonné de voir au bas de ce jugement la signature de MM. Labory, Charnier, Falconet, Perret, Sordet, Verrat, Bourdon et Martinon, prud’hommes chefs d’ateliers. Ils nous ont expliqué que c’était par erreur qu’ils avaient signé ce jugement. Lorsque le secrétaire du conseil le leur présenta, il était revêtu de la signature de leurs collègues, et ils crurent que c’était un jugement ordinaire ; ils signèrent de confiance suivant l’usage. Nous devions cette explication au public et au sieur Tiphaine qui, dans cette circonstance, a fait le devoir d’un bon citoyen, et n’est coupable que d’avoir prononcé des paroles un peu vives, mais excusées par la conduite arbitraire employée à son égard, et par ce scandaleux déni de justice que nous ne nous lasserons pas de signaler jusqu’à ce que l’intervention de l’autorité l’ait fait cesser.

Voici la lettre que M. Tiphaine nous adresse :

AU RÉDACTEUR.

Monsieur,

Ce n’est pas sans surprise que j’ai vu placardé sur les [2.2]murs de cette ville un extrait seul du jugement contre moi rendu par le conseil des prud’hommes de Lyon, le 26 juillet 1832 ; car la loi exige que le jugement en entier soit affiché.

J’ignore quel motif on a eu d’en agir ainsi, mais comme je sais fort bien qu’en ne faisant pas connaître les causes de ma condamnation, le public pourrait être amené à tirer des inductions fâcheuses du laconisme du contenu de l’affiche ; je crois lui devoir, ainsi qu’à moi-même, l’explication succinte des faits qui ont amené ma condamnation, les voici :

Chargé devant le conseil des prud’hommes de défendre officieusement les intérêts de deux ouvriers, je m’y présentai le 26 juillet 1832, assisté de ces derniers. M. Goujon, président du conseil, refusa de m’entendre. J’insistai pour user de mon droit ; l’ordre fut donné de m’expulser ; je résistai en m’écriant que c’était la force qui triomphait et non pas le droit. Ce fut alors que M. Goujon, en sa qualité de président, prononça ce jugement, que le respect que l’on doit à la chose jugée m’empêche de qualifier.

Aux audiences suivantes, je reparus devant le conseil, et je n’ai pu faire triompher devant ce magistrat le principe inviolable et sacré de la libre défense, malgré que les journaux de cette ville, une consultation d’avocats et une lettre de M. Odilon-Barrot, aient résolu la question contrairement à la volonté de M. le président.

Déjà une lettre, par moi publiée le 28 juillet dernier, a donné une connaissance plus étendue des faits qui précèdent ; mais, comme un grand nombre de personnes pourraient les avoir oubliés, et que la lecture du seul extrait affiché pourrait laisser, comme je l’ai dit plus haut, une impression défavorable sur mon compte, j’ai cru devoir vous adresser la présente, pour que vous ayez la bonté de vouloir l’insérer dans le plus prochain numéro de votre estimable journal.

Agréez, etc.

tiphaine.

 

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