L'Echo de la Fabrique : 14 octobre 1832 - Numéro 51

Réponse des Prud?hommes1

chefs d?atelier.

AU RÉDACTEUR.

[2.2]Monsieur,

Dans vos deux derniers numéros, tout en vous livrant à des recherches sur les causes qui empêchent le conseil des Prud?hommes de suivre une marche décisive, et d?entrer dans la carrière des améliorations par des réglemens justes et équitables (comme s?il était autorité législative), vous semblez jeter du doute sur la conduite des prud?hommes chefs d?ateliers, car, dans l?énumération que vous faites des entraves qu?ils ont a supporter et qu?ils auraient dû franchir, entraves sur lesquelles les convenances nous interdisent toute discussion ; vous dites qu?ils ne sont pas exempts de blâme, et vous terminez en leur demandant une réponse, attendue par des milliers de lecteurs. Vous nous permettrez, Monsieur, de voir dans cette phrase un peu du charlatanisme littéraire, auquel vous semblez vouloir accoutumer vos lecteurs depuis quelque temps. Vous faites dévier l?Echo de sa marche primitive, vous ouvrez une arène aux passions, quelle gloire vous en reviendra. Cependant, comme ce que vous nous demandez est facile pour nous, nous allons vous satisfaire :

Ainsi, commençant à répondre au premier reproche que vous nous adressez, celui de n?avoir pu obtenir la liberté de la défense devant le conseil, ou autrement que les parties aient la liberté de se faire assister d?un défenseur. Sérieusement, est-ce aux prud?hommes chefs d?ateliers que vous faites ce reproche, ainsi que celui de n?avoir pas appelé l?investigation de la presse sur ce sujet. Non, cela ne saurait être, vous connaissez les démarches qu?ils ont faites et qu?ils font même encore pour l?obtenir. Vous les accusez, eux, qui, plus persévérans, n?ont pas suivi votre exemple, vous qui avez abandonné la lutte, disant ne plus devoir vous en occuper, et cela pour parer les colonnes de votre journal d?articles qui peuvent avoir leur agrément, même leur utilité, mais qui sont totalement étrangers à sa spécialité et à sa mission. Comment, vous prétendez que la presse a une force invincible, et vous abandonnez la partie ; quel courage !? Vous reprochez à quelques membres du conseil de n?avoir pu l?obtenir, par le fait qu?ils n?ont pas appelé le journal à leur aide, ne serait-ce rien le cas de dire : Vous êtes orfèvre, M. Josse. Revenez-un peu sur vous-même, et concluez avec nous, que le reproche que vous nous adressez, vous serait mieux appliqué. Vous eussiez fait beaucoup plus de plaisir à vos lecteurs de toutes classes, en leur annonçant que la liberté de se faire assister d?un défenseur, ne pouvait tarder d?être permise par le conseil, puisqu?elle est également réclamée par toutes les classes et que l?on ne saurait, sans injustice criante, maintenir long-tems un réglement semblable. C?est peut-être à votre acrimonie et à vos formes hautaines que le non succès doit être imputé, vous prêchez la liberté avec un ton despotique, qui est peu propre à lui faire des partisans.

Dans votre second article, c?est plus qu?un reproche, que vous nous adressez, disant, que n?ayant pu franchir les difficultés qui se sont présentées à nous, vu notre infériorité numérique, nous passerons sous les fourches caudines du négociantisme. Vous vous servez-là d?une expression malsonnante aux yeux de bien des gens ; pourquoi affecter ce langage que nous n?osons qualifier. Nous sommes en minorité, c?est vrai, mais sachez, monsieur, que la minorité ne s?effraie jamais lorsqu?elle combat ses adversaires par des argumens de raisons irrésistibles, et auxquels il faut bien que tôt ou tard la majorité se rende, sans pour cela l?effrayer par de sinistres prévisions. Sachez aussi que lorsqu?on est sous l?influence de sa conscience, et que l?on connaît toute la portée de sa mission, on est toujours fort, tranquille et sans crainte. Nous vous prions donc, de croire sincèrement, que nous ne sommes pas plus sous l?influence du négociantisme, que disposés à passer sous les fourches caudines du journalisme. Vous auriez voulu que sur toutes les questions nous eussions appelé l??il vigilant de la presse. Y pensez-vous ? Aurions-nous dû, nous, municipes de paix, rallumer les brandons de discorde dans notre cite, qui est loin d?avoir cicatrisé ses plaies, et oublié des jours douloureux pour tout bon citoyen ; faut-il traduire toutes les questions en provocations à la guerre civile ? Faut-il faire décider sur la place toutes celles que des intérêts divers empêchent de concilier à l?instant. Eh bien, oui, nous n?avons pas eu ce courage, osez nous en faire un crime !?

Vous prétendez aussi, que comme chefs d?atelier notre position n?est pas assez indépendante. C?est bien vague, Monsieur le rédacteur ; étiez-vous sous l?influence de votre conscience lorsque vous avez écrit ces lignes perfides. Il y a là quelque arrière pensée. Il serait indigne de nous de chercher à l?approfondir. Réfléchissez-y sérieusement, quels autres chefs d?ateliers, également élus par leurs confrères, pourraient être plus indépendans que nous, pourraient présenter plus de garanties ? Nous présentons à nos concitoyens, sans orgueil mais sans crainte tous [3.1]nos antécédens. Nous ne serions pas personnellement indépendans ; et pourquoi ? Serait-ce par la raison que nous sommes obligés de faire valoir nos ateliers, de vendre aux fabricans notre main-d??uvre ? c?est là une objection bien futile et plus spécieuse que vraie. Qui donc n?est pas sous l?influence d?une autre personne ? Voudriez-vous par hasard exclure les fortunes médiocres, les travailleurs de toute participation à la défense de leurs droits et confier ce soin aux hommes riches. Nous aimons mieux ce publiciste dont vous avez parlé dans un numéro de votre journal, qui a demandé une représentation pour la classe prolétaire. Nous vendons bien le produit de nos ateliers aux fabricans, mais nous ne leur vendons pas notre conscience, veuillez le croire ; et si nous négligions de réclamer et de faire adopter par le conseil les réglemens qui peuvent être utiles et avantageux à notre industrie, n?en subirions nous pas nous-mêmes les conséquences ? Pour être indépendans, selon vous, faudrait-il que le conseil ne fût composé que de personnes étrangères à l?industrie. De légistes, auxquels on donnerait un traitement suffisant pour subvenir a leurs besoins, et qui devrait être assuré par une loi, tout cela, nous l?avouons, est bien pensé ; mais alors ce ne serait plus un conseil de prud?hommes, mais bien un tribunal de justice de paix pour les ouvriers. Nous ne croyons pas devoir entrer dans la discussion de savoir laquelle de ces deux organisations serait la meilleure, et présenterait le plus d?avantage à la classe industrielle, nous devons nous abstenir, ce serait de notre part blesser toutes les convenances.

Nous ne craignons point d?exposer franchement notre position, ni de livrer nos actes et notre conduite à l?investigation du public, et nous serions prêts à en rendre un compte fidèle, s?il nous était demandé par nos commettans eux-mêmes. Ceux dont la conscience est tranquille n?ont point de reproches à redouter. Nous ne prétendons pas pourtant être infaillibles, et que le conseil ne se soit jamais trompé, mais nous préférerions encore, à cet égard, encourir tous ensemble, ou individuellement, les reproches qui pourraient nous être adressés, que de divulguer ce que tout homme d?honneur doit taire.

Enfin, vous dites que les ouvriers sont plus malheureux depuis l?installation du nouveau conseil qu?ils ne l?étaient précédemment ; nous savons tout cela aussi bien que vous ; si le commerce et l?industrie sont dans un état de langueur : si les ouvriers en général sont malheureux, ne subissons-nous pas avec eux le même sort ? Il y a donc injustice et même inconséquence de votre part, à nous accuser de leur état. Car, qui plus que nous, s?il était en notre pouvoir, aurait à c?ur de ranimer notre industrie, depuis si long-tems languissante et dans le dépérissement ? Quel intérêt et quelle gloire n?en retirerions-nous pas !?

Nous ne chercherons pas à faire notre éloge, en rappelant ce que le conseil, depuis cinq mois, peut avoir fait d?avantageux dans l?intérêt de la fabrique. Nous n?étalerons pas non plus les propositions que nous avons pu faire, ni les refus que nous avons eu à essuyer, il ne nous appartient pas de parler de ce que nous n?avons pu obtenir.

Nos séances sont publiques, votre journal est destiné à en rendre compte, qu?il continue à remplir sa tâche, nous sommes amis de la publicité et de la liberté de la presse autant qu?on peut l?être, notre conduite, n?a jamais rien eu à redouter de l?une ni de l?autre.

Si, comme vous le dites, vous avez reçu contre nous beaucoup de plaintes de la part des ouvriers, veuillez ne pas les dédaigner, et ne pas dire que c?est par convenance que vous ne dites pas tout ce que vous auriez à dire. Nous vous sommons d?insérer leurs lettres, cela servira à éclairer vos lecteurs, qui, par ce fait, pourront facilement voir si les plaintes sont fondées ; comme de même, en remontant à la source des faits, il sera facile de reconnaître, si ce n?est point un germe de division que l?on cherche à introduire entre les prud?hommes et leurs commettans, lequel semé à dessein, parmi les travailleurs d?une même profession, serait la source de nouveaux malheurs.

Nous esperons qu?il n?en sera pas ainsi, et que, fidèle à votre mission, vous maintiendrez l?harmonie entre les industriels en général ; harmonie d?autant plus désirable qu?ils en ont grand besoin, puisque c?est le seul moyen de parvenir à un avenir plus prospère.

Vous avez le droit, et nous ne vous le contestons pas de critiquer le conseil ; vous devez également l?éclairer de vos réflexions, et même, dans certains cas, indiquer ce que vous croyez convenable, nous vous invitons à ne pas vous lasser.

Nous ne vous avons pas fait attendre notre réponse, votre devoir est de l?insérer, nous espérons que vous n?y manquerez pas. Vous serez fâché vous même de ce que vous avez écrit contre nous, et que nous pourrions à bon droit regarder comme injurieux. Nous pensons qu?à l?avenir vous ne vous égarerez plus en vains reproches, reproches qui, sans fondement comme ceux dont vous nous avez gratifié, ne sauraient nous inspirer de sentimens pénibles. Nous regardons cette polémique comme nuisible, moins à nous qu?à vous peut-être, mais surtout à l?industrie. C?est assez vous faire entendre que notre dessein n?est pas de la continuer, d?autres soins réclament notre temps, nous ne [3.2]devons pas oublier que la principale de nos fonctions est de concilier les intérêts et de rechercher tout ce qui peut être utile à nos concitoyens ; nous ne devons donc pas le perdre en de vaines disputes.

falconnet, labory, martinon, bourdon, perret, sordet, verrat.

Note du rédacteur. Cette réponse nous est remise trop tard pour pouvoir l?examiner et y faire une réponse convenable, nous la ferons dans notre prochain numéro.

Notes de base de page numériques:

1 L?auteur de ce texte est Joachim Falconnet d?après la Table de L?Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).

 

Contrat Creative Commons

LODEL : Logiciel d'édition électronique