L'Echo de la Fabrique : 14 octobre 1832 - Numéro 51

La Glaneuse au conseil des prud’hommes.i1

Eh quoi ! ma jolie fille, tu veux aussi fréquenter l’antre des plaideurs ; ne crains-tu pas de te fourvoyer. Crois-moi, le bonnet doctoral gâtera ton joli front, et tes doigts si mignons seront sâlis par l’encre de la chicane. [5.1]Toi, caustique, sémillante et légère, pourras-tu retenir ton rire à la vue de ce spectacle satanique des misères humaines ; et alors, prends garde, tu le sais, nous avons des hommes si susceptibles. Malgré ces sages observations d’un sien ami, la pétulante Glaneuse a monté d’un pas ferme l’escalier tortueux qui conduit à la salle où Messieurs les prud’hommes font leurs affaires en décidant celles des autresii. Mais au bruit confus des voix, au tumulte des spectateurs, ressemblant au bruit que font les vagues de l’Océan en courroux, la jeune fille a pris la fuite, laissant là juges et auditeurs, et est allé achever paisiblement sa soirée au théâtre, où reine aimable et respectée, elle coquette avec un joli papillon que nos lecteurs connaissent. Cependant elle avait promis de rendre compte de la séance, elle ne voulait pas qu’on la prît pour une de ces femmes légères qui se font un jeu de manquer à leur parole. Comment faire ? Vous et moi serions embarrassés ; mais une jeune fille qui a de l’esprit ne l’est pas, elle ne doute de rien. Notre Glaneuse a jugé, aparte, une des causes qu’elle savait soumises au conseil ce jour-là, et a donné cela pour son compte-rendu de l’audience. Espérons que les prud’hommes confirmeront sa décision, et, comme il faut lui rendre justice, et qu’elle a très bien jugé cette affaire, nous n’avons qu’un regret, c’est qu’elle n’ait pas pris sur elle de décider toutes les causes en instance : nous lui aurions l’obligation d’une jurisprudence équitable que les prud’hommes avaient promis dans le programme de leur élection, et qu’ils ont oublié depuis qu’ils savourent les douceurs du pouvoir, tant il est difficile d’exécuter un programme.

Notes de base de page numériques:

1 L’auteur de ce texte est Marius Chastaing d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).

Notes de fin littérales:

i La GlaneuseLa Glaneuse dans son n° 92, rend compte de la séance du conseil des prud’hommes, 4 octobre4 octobre 1832, et annonce que le conseil a admis conformément à l’art. 2271 du code civil, et sans s’arrêter à un règlement de 1744 tombé en désuétude, la demande d’un ouvrier menuisier réclamant à son maître son salaire après un laps de cinq mois. Il n’y a qu’une petite erreur ; le conseil n’a rien décidé, la cause n’est pas encore jugée. Espérons qu’elle le sera conformément aux prévisions de la GlaneuseLa Glaneuse.
ii Pour prévenir toute interprétation fâcheuse, nous expliquons cette phrase de la manière dont nous l’avons conçue : il est évident que Messieurs les prud’hommes à la différence des autres juges, sont juges et parties dans les affaires qui leur sont soumises ; le prud’homme négociant a intérêt à diminuer le salaire, et le prud’homme chef d’atelier, a l’augmenter.

 

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