AVIS.
LYON. 21, 22 ET 23 NOVEMBRE
C'est le cœur navré et la tête couverte d'un crêpe pour le deuil de nos frères et de nos amis que nous allons rendre compte des événemens qui se sont passés dans notre ville ; à Dieu ne plaise que nos larmes soient exclusives, elles seront pour tous ; et si l'égoïsme ou l’erreur de quelques hommes a entraîné cette cité dans des malheurs imprévus par eux, cette erreur a été expiée. Nous écrirons donc sans haine et sans passion. Oubli pour le passé, voilà ce que nous ne cesserons de proclamer, et nous rendrons compte de tous les faits avec calme, déplorant seulement que tant de sang, qu'un sang aussi pur, n'ait point été versé en défendant nos foyers pour la sainte cause de la patrie1.
[1.2]Les chefs d'ateliers et les ouvriers voyant que le tarif n'était qu'une clause illusoire2, que beaucoup de négocians ne voulaient point le reconnaître, et humiliés par quelques-uns qui ne prévoyaient point toutes les conséquences d'une conduite quelquefois répréhensible, se rassemblèrent à la Croix-Rousse le dimanche 20 novembre pour aviser au moyen d'obtenir une sanction définitive du tarif. Ils décidèrent que dès le lundi matin tous les métiers cesseraient de travailler, et que les ouvriers descendraient pour réclamer auprès de l'autorité l'exécution des clauses stipulées par MM. les membres des commissions des négocians et des chefs d'ateliers en présence de M. le préfet, de M. le maire, des membres de la chambre du commerce et du conseil des prud'hommes. La journée se passa ainsi assez tranquille, et personne ne prévoyait les scènes qui ont eu lieu.
Le lundi 21, dès le matin, quelques groupes s'étaient formés sur la place de la Croix-Rousse, ces groupes n'avaient aucun caractère hostile ; les ouvriers qui les composaient étaient sans armes et discutaient le moyen d'obtenir justice par la modération. Vers les dix heures un fort piquet de gardes-nationaux de la 1re légion se présenta sur la place de la Croix-Rousse, et au lieu d'employer la persuasion pour dissiper les groupes, il voulut employer la force ; on résista : le piquet croisa la baïonnette, mais bientôt entouré et désarmé en partie, [2.1]il fut forcé à la retraite, poursuivi à coups de pierres ; ce premier acte de la force armée exaspéra les ouvriers. Depuis long-temps ils étaient menacés, on leur disait (et nous ne parlons point ici de l'autorité) qu'on recevrait leurs demandes à coups de fusils ; cependant aucune démarche hostile ne fut encore faite par eux, et vers les onze heures quelques groupes se mirent en marche se tenant par le bras, dans le dessein de se promener à Lyon comme au 25 octobre ; mais bientôt devait commencer une série de malheurs, malheurs incalculables qui devaient porter pendant trois jours la désolation dans notre ville. Des gardes-nationaux de la 1re légion, principalement des rues habitées par le commerce, s'étaient rassemblés dès le matin ; moins pacifiques que les ouvriers, ils s'étaient munis de cartouches et étaient décidés à les disperser par la force des armes. Ils étaient échelonnés depuis le bas de la Grande-Côte en longeant la rue des Capucins jusqu'à la place de la Croix-Paquet ; ce fut vers les onze heures et demie que les ouvriers de la Croix-Rousse furent en vue du piquet établi dans la Cour du Soleil à la Grande-Côte ; là, sans aucune sommation, ils furent accueillis par une fusillade... Aveuglement inconcevable ! funeste initiative que le Précurseur a voulu pallier en laissant dans le doute de quel côté était venue l'agression. Dans cette première décharge huit ouvriers furent grièvement blessés ; ainsi surpris sans défense ils remontèrent la Grande-Côte en toute hâte et portèrent l'alarme dans la ville de la Croix-Rousse ; des cris aux armes ! se firent aussitôt entendre de toute part ; la population presque entière s'arma, on ne pensa qu'à la défense ; des barricades furent élevées sur tous les points, et les ouvriers qui dans l'imprévoyance de tels événement n'avaient songé à se procurer ni armes ni munitions, ne durent plus que se dévouer à la mort comme leurs frères.
Ce fut après cette première scène que M. le préfet et M. le général Ordonneau, commandant en chef la garde nationale, se rendirent à la Croix-Rousse pour juger par eux-mêmes et de la situation des esprits et des dangers qui semblaient vouloir menacer notre cité. Tandis que MM. le préfet et le général cherchaient à concilier les esprits, leur autorité était méconnue et une colonne de gardes nationaux et de troupes de ligne vinrent attaquer les barricades de la Croix-Rousse ; les assiégés se croyant trompés retinrent MM. le préfet et le général en ôtage. Ici, sans doute, le peuple aurait dû penser que le préfet était ce magistrat qu'il avait appelé son père, titre justement mérité, et que le général était étranger aux débats qui avaient lieu ; mais un peuple à la misère duquel on ne répond que par des feux de pelotons ne raisonne pas toujours juste. Cependant (et nous pouvons le dire sans craindre d'être démentis ni par le magistrat ni par le général) aucune insulte ne leur fut faite ; des ordres pacifiques étaient à chaque instant envoyés par eux, on n'en fit aucun cas. Alors un combat sanglant s'engagea entre la ligne, la garde-nationale et les ouvriers ; et les assaillans combattant contre des hommes sans munition et la moitié sans armes, restèrent [2.2]maîtres de toutes les positions qui dominent la place de la Croix-Rousse. La nuit mit enfin un terme au combat ; à huit heures du soir M. le préfet se présenta aux ouvriers sur la porte du Louvre, et après une allocution où se peignait l’ame généreuse du premier magistrat, il leur dit ces propres paroles : Ouvriers, écoutez-moi ! Si vous croyez un seul instant que j'aie trahi vos intérêts, gardez-moi en ôtage ; mais si vous croyez que je puisse vous être utile, laissez-moi retourner à mon administration. Ces paroles furent accueillies par des cris de vive le préfet ! vive notre père ! Aussitôt une vingtaine d'hommes armés s'offrirent pour lui servir d'escorte, et il partit accompagné par une foule attendrie qui répétait les cris de vive le préfet ! vive le père des ouvriers ! Le général Ordonneau resta encore en ôtage et ne fut mis en liberté qu'à deux heures du matin, après avoir promis de faire cesser le feu.
Le mardi la fusillade recommença dans les rues qui aboutissent à la Croix-Rousse ; les ouvriers se voyant trompés d'après les promesses du général Ordonneau, sonnèrent le tocsin et firent battre la générale ; alors un combat acharné commença pour durer toute la journée. Pendant cette lutte sanglante féconde en traits de courage et de générosité, les ouvriers combattirent comme des héros, et, nous le répétons, il est à déplorer que tant de nobles actions n'aient point eu pour but le salut et la gloire de la patrie. Tandis que le combat était ainsi engagé, les ouvriers de la rue Tholosan et des rues adjacentes prirent aussi les armes et se portèrent vers la côte des Carmélites où montaient des troupes de ligne et quelques gardes nationaux ; des barricades furent élevées. Divers combats eurent lieu dans cette direction, dans la rue de l'Annonciade dominée par la place Rouville et la maison Brunet, où les ouvriers avaient pris position, à la côte des Carmélites et au Jardin des Plantes. Là une poignée d'hommes soutint le choc de plusieurs compagnies. Cette défense imprévue des ouvriers et maîtres de la rue Tholosan fit faire une diversion qui fut très-utile aux ouvriers de la Croix-Rousse. Enfin le combat devint général ; la population ouvrière des Broteaux, de la Guillotière et de St-Just se mit en mouvement. Des barricades de planches et de madriers furent construites sur les quais de la Saône et du Rhône, sur les ponts de la Saône, dans les rues, etc. Vers les dix heures le général Roguet3, qui avait fait établir une batterie sur le port St-Clair, pour empêcher le passage du pont Morand et du pont Lafayette, ordonna de tirer sur les Broteaux, d'où les ouvriers entretenaient un feu nourri, dirigé sur le quai du Rhône. Toute la ville fut bientôt un vaste champ de bataille ; pas un seul quartier qui n'eût son combat ; les rues étaient dépavées et une grêle de tuiles tombait sur les troupes de ligne. Les compagnies entières mettaient bas les armes, et les ouvriers étaient maîtres des casernes des Collinettes et de Serin. Enfin les troupes repoussées de partout ne songèrent qu'à la retraite.
Dans ces journées où l'on a calomnié les intentions, où l'on a voulu donner un but politique à ce qui n'était [3.1]que la misère secouant ses haillons, un fait seul justifie la classe ouvrière. Dans un combat partiel qui se livra le mardi sur la place des Cordeliers, le peuple monté sur les toits lançait des pierres sur la troupe de ligne ; les soldats ayant mis bas les armes, les pierres ne cessaient de tomber, quand un homme, pour faire terminer le combat, sortit un mouchoir blanc et l'agita en signe de paix, en s'écriant à ceux qui étaient sur les toits : Cessez ! cessez ! ils ont mis bas les armes ! Une grêle de pierres tomba de nouveau et tout le peuple se mit à crier : Cachez cette couleur ! qu’elle disparaisse ! nous n’en voulons point !
Le soir, les forces militaires, et ce qui restait de la garde nationale en armes étaient resserrés sur la place des Terreaux et dans l'Hôtel-de-Ville où se trouvaient réunies les autorités de la Lyon et du département.
Après une journée de mort, la nuit devait être affreuse. Le feu avait pourtant cessé, mais les rues étaient jonchées de cadavres, et la désolation était dans tous les cœurs.
Le mercredi, à deux heures du matin, deux détachemens d'ouvriers s'emparèrent de la poudrière et de l'arsenal. C'est à cette même heure qu'une alarme générale se répandit dans tous les quartiers. Les autorités civiles décidèrent M. le général Roguet à quitter la ville avec les troupes qu'il commandait, et qui se composaient du 66e et de plusieurs bataillons des 40e et 13e de ligne. Les ouvriers avaient un poste à la barrière de St-Clair, qui tenta d'arrêter la colonne en retraite. Une décharge générale fut faite par la ligne, le poste se replia et le général passa avec sa colonne ; mais arrivée le long du quai d’Herbouville, elle fut accompagnée par des feux et une grêle de tuiles jusqu'au bout du faubourg de Bresse où, se croyant toujours poursuivie, elle tira quelques coups de canon à mitraille. La nuit était obscure, on entendait des feux nourris qui se mêlaient aux cris aux armes ! et au tocsin que sonnaient presque toutes les cloches. Ce fut la dernière scène de ce drame épouvantable, drame affreux où le sang français a été versé à flots, où des concitoyens se sont déchirés entre eux… Ah ! que n'est-il en notre pouvoir de jeter un voile sur tant d'erreurs ! que n'est-il en notre pouvoir de faire oublier ces journées de désastre et de deuil ! Hommes de toutes les classes qui avez échappé au trépas, tendez-vous la main ! oubliez le passé ! c'est cette patrie que vous aimez tous qui vous en conjure ! Que les haines s'éteignent, et que des jours plus heureux succèdent enfin à ces jours de détresse et de mort.
Dans la matinée, tout était calme, mais d'un calme affreux ; les boutiques étaient toutes fermées, et les combattans erraient par les rues avec leurs armes ; cependant on voyait déjà que Lyon n'avait rien à craindre des vainqueurs ; des sauve-gardes avaient été placées par les ouvriers à la porte de plusieurs négocians, principalement de ceux qui avaient provoqué le plus la classe industrielle. De fortes gardes furent établies dans les quartiers commerçans, et les autorités reprirent leurs fonctions. [3.2]Au point du jour, elles firent placarder l'affiche suivante :
« Lyonnais !
« Nous avons voulu faire cesser l'effusion du sang ; et le général, mu par un sentiment d'humanité, a consenti à la retraite de la garnison. Toujours dévoués au maintien de l’ordre, c'est à vous à nous apprendre si la voix de vos magistrats ne doit plus être entendue. Craignez l'anarchie ; songez au bien de vos familles et de la cité. Nous sommes restés pour écouter vos plaintes et concerter avec vous les mesures d'ordre convenables à tous les intérêts ; et, à cet effet, nous demeurerons en permanence réunis en l'hôtel de la préfecture. »
Le Préfet, Du Molart.
Le Maire, Boisset, adjoint.
Duplan, E. Gautier, M. B. Gros4.
Dans la même matinée, les deux proclamations suivantes furent affichées :
Ouvriers !
Vos présidens de sections vont se rendre auprès de moi pour rechercher, de concert avec vos magistrats, les moyens de soulager votre malheureux état de souffrance. Ce sont de bons citoyens ; placez en eux toute votre confiance. Ecoutez-les quand ils vous diront que votre premier besoin comme le nôtre est le maintien de l'ordre et le rétablissement de la tranquillité publique.
J'invite MM. vos présidens à se concerter pour se rendre ensemble auprès de moi le plus tôt possible. Je suis prêt à les recevoir à toute heure du jour et de la nuit.
Ouvriers, respect à la loi, respect à la propriété. Ne souffrez pas que des malveillans se glissent dans vos rangs pour faire calomnier vos intentions. Vous m'avez appelé votre père, et je veux l'être de bons enfans.
Lyon, en l'hôtel de la préfecture, le 23 novembre 1831.
Le Préfet, Du Molart.
Lyonnais !
Nous soussignés, chefs de sections, protestons tous hautement contre le placard tendant à méconnaître l'autorité légitime, qui vient d'être publié et affiché avec les signatures de Lacombe, syndic ; Charpentier Frédéric et Lachapelle.5
Nous invitons tous les bons ouvriers à se réunir à nous, ainsi que les citoyens de toutes les classes de la société, qui sont amis de la paix et de l'union qui doit exister entre tous les vrais Français.
Lyon, le 23 novembre 1831.
Boferding, Bouvery, Falconnet, Blanchet, Berthelier, Biollay, Carrier, Bonard, Labory, Bret, B. Jacob, Charnier, Niel, Buffard, Sigaud, Farget.
Approuvé par le préfet, Du Molart.
Vers les dix heures du matin, les détenus à la prison de Roanne qui avaient été instruits des troubles qui se passaient par la fusillade continuelle qui avait eu lieu pendant deux jours, et qui avaient fait une ouverture la nuit précédente à l'un des murs de la prison, tentèrent [4.1]de s'évader. Ils étaient déjà parvenus à monter sur le toit, lorsque l'alarme fut donnée ; aussitôt des ouvriers du quartier accoururent, et les firent rentrer dans l’ordre par quelques décharges de mousqueterie. Le reste de la journée fut assez tranquille ; les ouvriers s'étaient organisés en garde civique, et, comme nous l'avons dit, avaient placé des postes dans tout le quartier du commerce pour la sécurité des négocians. Leçon admirable pour ces hommes qui les avaient montrés comme des gens sans aveu, ne demandant que le pillage et la dévastation. Eh bien ! que la France sache que ce long duel n'a été provoqué que par les insultes que l'égoïsme adressait à la misère ; qu'aucun but politique n'a fait mouvoir les ouvriers ; que ces ouvriers respectent la dynastie issue de juillet, à l'élévation de laquelle ils ont participé ; que son drapeau sera toujours leur drapeau, et que leurs cœurs généreux sont palpitans d'amour pour cette France leur chère patrie. Que la France sache enfin que ce n'est point le pillage et la dévastation qui les ont fait agir ; que, vainqueurs, leur conduite est toute généreuse, et que leur premier soin a été de tendre la main aux vaincus et de leur prêter aide et protection.
Pour nous qui sommes voués aux intérêts de la classe ouvrière, nous nous applaudissons d'être les défenseurs de tant d'hommes vertueux ; car, si après le combat on eût porté atteinte soit à la sureté des propriétés, soit à celle des citoyens, nous n'aurions pas hésité un moment à déverser le blâme sur ceux qui nous auraient trompés. Ouvriers de Lyon, continuez à vous montrer généreux ; adoucissez, s’il se peut, la douleur de ceux qui, un moment vos ennemis par erreur, sont devenus vos frères. Que l'union, la paix et la concorde renaissent entre vous et le commerçant ! Ne vous laissez point égarer par des ennemis de la patrie et du trône constitutionnel. Alors, ouvriers de Lyon, vous trouverez toujours dans nous des organes courageux prêts à défendre vos intérêts.
Jeudi 24, la tranquillité était tout-à-fait rétablie ; les boutiques et les cafés étaient ouverts, et on circulait dans la ville en tous les sens. Les proclamations suivantes ont été affichées dans les rues.
mairie de la ville de lyon.
Union, fraternité, oubli du passé.
Lyonnais !
Trop de malheurs ont affligé notre cité ; ne portons pas plus long-temps la joie dans le cœur des ennemis de notre industrie : Citoyens ! ralliez-vous à vos magistrats, qui sont et seront toujours à leur poste, pour maintenir l'ordre et la tranquillité publique.
Que notre devise soit dès à présent et pour toujours : Union, fraternité, oubli complet du passé.
Les chefs d'ateliers sont invités à présenter sur-le-champ à la Mairie, l'état des ouvriers qu'ils employaient, afin qu'on puisse aviser aux moyens de faire distribuer immédiatement quelques secours aux nécessiteux.
[4.2]M M. les présidens des sections des ouvriers sont invités à se réunir de suite à l'Hôtel-de-Ville.
Le Maire de Lyon, Boisset, adjoint.
Lyonnais !
Quelques hommes, sans consistance, veulent élever un pouvoir usurpateur à côté de l'autorité protectrice de vos magistrats, ou plutôt ils veulent l'anéantir. Lyonnais, le souffrirez-vous ? voulez-vous retomber dans l'anarchie ? subirez-vous le joug d'une poignée de factieux ? Non, vous m'entourerez pour me donner la force de rétablir l’ordre et la tranquillité. Votre ville a éprouvé assez de malheurs ; arrêtons-en le cours. Aucune attaque n'est à craindre de l'extérieur ; j'en réponds sur ma tête.
Braves ouvriers, qui m'avez appelé votre père, aidez-moi à sauver la ville des malheurs qui la menacent encore, afin que je puisse m'occuper de vos intérêts. Vous n'abandonnerez pas la cause de l'ordre, c'est la vôtre ; parce que sans ordre, point de travail. Nos ennemis de l'intérieur et de l'extérieur jouissent de nos dissensions ; ils sont prêts à en profiter.
J'ordonne les dispositions suivantes :
Art. 1er L'autorité supérieure ayant seule le droit de donner le mot d'ordre, les postes ne reconnaîtront que celui qui leur sera envoyé cacheté de la préfecture.
Art. 2. Tout individu qui distribuerait des ordres du jour qui ne viendraient pas de la préfecture, sera arrêté et conduit devant moi, pour rendre compte de ses intentions.
Art. 3. Je requiers, au nom du salut de la ville, tous les bons citoyens de prendre les armes pour assurer l'exécution des mesures que je serai dans le cas de prendre dans l'intérêt de l’ordre.
Art. 4. J'invite les citoyens zélés, capables de faire les fonctions d'officiers d'état-major, à m'offrir leurs services.
Lyon, le 24 novembre 1831.
Le conseiller-d’Etat, préfet du Rhône,
Du Molart.
mairie de la ville de la croix-rousse.
Aux habitans de cette ville !
Sur la réclamation qui nous a été faite par MM. Charpentier et Lachapelle aîné, que des personnes mal intentionnées avaient abusé de leurs noms en les faisant figurer comme signataires d'un placard tendant à méconnaître l'autorité des magistrats, et à prêter aux habitans de cette ville des sentimens qui ne les ont jamais animés, nous publions la pièce suivante :
Lyonnais !
Nous soussignés Charpentier et Lachapelle aîné, déclarons que nous protestons contre une adresse aux Lyonnais, en date du 23 novembre 1831, commençant par ces mots : Des magistrats perfides, et finissant par ceux-ci : Que son éclat ne soit point obscurci.
Cette adresse manifestant des sentimens qui n'ont jamais été les nôtres, et nous osons le dire, ni ceux de nos camarades, il est de notre honneur et de notre patriotisme de protester contre cet acte d'autant plus [5.1]lâche, que nous n'avons jamais posé notre seing sur cette adresse.
Fait à l’Hôtel-de-Ville de Lyon, ce 23 novembre 1831.
Signé Charpentier et Lachapelle.
Pour copie conforme :
Le Maire de la Croix-Rousse, Richan. A la mairie de la Croix-Rousse, ce 24 novembre 1831.
mairie de la ville de lyon.
Lyonnais !
Des circonstances que nous déplorons tous ont causé la suspension des travaux. Le bon esprit de la population nous a garantis des fâcheux résultats qu'elle pouvait avoir ; l’ordre règne ; le calme existe parmi nous, et déjà le vœu général demande la réouverture des ateliers. Fabricans, chefs d'ateliers et ouvriers, que chacun de vous ait confiance ; que le passé s'efface ; bientôt cette ville reproduira le tableau de la bonne harmonie et de son heureuse activité.
En conséquence, j'invite tous les habitans à r'ouvrir leurs ateliers et magasins, et à reprendre le cours de leurs occupations habituelles.
Fait à l’Hôtel-de-Ville, le 24 novembre 1831.
Le Maire de Lyon, Boisset, adjoint.
Approuvé par le préfet du Rhône, Du Molart.
Vendredi 25, la tranquillité était si parfaite pendant toute la journée, que les Lyonnais eux-mêmes semblaient oublier les scènes terribles des trois journées. A la nuit, la lettre suivante, adressée par le général Roguet à M. le préfet, fut affichée dans toute la ville.
Lyonnais !
Pour dissiper les bruits que la malveillance s'efforce de répandre, dans l'intention de retarder le retour de l’ordre et la tranquillité, je m'empresse de porter à votre connaissance la lettre que je reçois à l'instant de M. le Lieutenant-Général comte Roguet, j'y ajoute que j'ai expédié des ordres sur les routes de Bourgoin et de Vienne, pour faire rétrograder les troupes qui arrivent spontanément de ces côtés, sur les seules nouvelles de nos troubles.
Mon cher Préfet,
Je vois avec un douloureux chagrin que la malveillance cherche par tous les moyens à dénaturer mes actions, j'ai donné à la population lyonnaise toutes les assurances sur mes intentions, et elle sait très-bien que les malheurs qui ont eu lieu n'ont pas été provoqués par moi et que j'ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour l’empêcher ; j'ai donné ma parole d'honneur que les positions que nous occupons n'avaient rien d'hostile à la population de votre ville, et cependant l’on a l’air de nous voir ici comme ennemis. Pour diminuer les souffrances de la classe ouvrière, et, sur votre invitation, j'ai ordonné la reprise des travaux des fortifications, j'ai même prescrit aux officiers du génie de se transporter sur les travaux ; c'est, je pense, une mesure que l'homme de bonne foi verra toute pacifique ; sans doute, que si quelque insensé venait me provoquer, je ne suis pas homme à le souffrir impunément ; mais je suis loin d'une pareille supposition. Que les bons citoyens, que les hommes réellement mus par des idées patriotiques et qui ont le cœur français ouvrent enfin les yeux. Je le [5.2]répète, rien, absolument rien n'est ici hostile à la ville de Lyon. Tous ceux qui cherchent à insinuer le contraire sont les ennemis de cette intéressante Cité, ils veulent par leurs intrigues, perpétuer le désordre.
Envoyez-moi, je vous en supplie, au nom de la paix publique, un de MM. les Membres du Corps municipal, auquel vous pourrez adjoindre le nombre de députés que vous croirez convenable, ils recevront de moi la nouvelle manifestation des sentimens que vous me connaissez. Je désire que cette démarche ait lieu dans la journée, son résultat pourra vous mettre en mesure de pouvoir mener à bonne fin les projets de pacification que vous et moi avons à cœur d'obtenir dans ce seul intérêt de la ville de Lyon.
Un bataillon du 49e a eu l’ordre de marcher sur Lyon, je lui adressai, au moment de l'évacuation, celui de rentrer à Montbrison. Il paraît que ce dernier ordre n'avait pas été suivi, puisque j'ai appris qu'il était hier à Francheville ; je lui ai renouvelé l’ordre de rentrer à Montbrison, dans le cas où il serait encore en position ; soyez assez bon pour transmettre au Chef cette disposition, pour qu'il l'exécute à l'instant.
Agréez, etc.
Signé Comte ROGUET.
Pour copie conforme :
Le Conseiller-d'Etat, Préfet du Rhône,
DU MOLART.
A Reilleux, le 25 novembre 1831.
La lettre de M. le lieutenant-général comte Roguet fait naître de pénibles réflexions. Ne serait-il pas permis de demander à M. le général quelles assurances de ses intentions il a données à la population lyonnaise ? Les malheurs, s'ils n'ont pas été provoqués par lui, du moins devait-il les prévoir. Nous lui demanderons donc par quels moyens il a cherché à les empêcher. Il était prévenu par les négocians de tout ce qui devait se passer, puisque la garnison sous ses ordres avait reçu d'eux de l'argent pour se battre avec acharnement et sans ménagement contre les ouvriers révoltés ou plutôt la misère irritée. N'a-t-il pas dit plusieurs fois qu'il n'avait jamais reculé devant l'ennemi, qu'on ne le verrait pas fuir devant une poignée de mutins ? N'a-t-il pas en effet donné les assurances de ses intentions en faisant fusiller et mitrailler des gens sans armes et inoffensifs, des femmes, des enfans, etc. ? N'était-ce point pour justifier ces mêmes intentions, que sur toutes les routes des estafettes avaient été expédiées pour faire arriver sur Lyon toutes les troupes en état de marcher ? Il ne pourrait le nier, car sa correspondance saisie à la tête du pont de Tilsitt le mardi à onze heures et demie du matin en est une preuve authentique ; elle était adressée au général commandant à Mâcon ; la voici :
Lyon, le 22 novembre 1831.
Monsieur le général,
Je vous invite à faire partir sur-le-champ par le bateau à vapeur toutes les troupes du 24me de ligne qui se trouvent à Mâcon en état de marcher, et de les faire pourvoir des munitions nécessaires.
Recevez, monsieur le général, l’assurance de ma considération très-distinguée et de mon attachement.
Le lieutenant-général commandant supérieur des 7me et 19me divisions militaires,
Comte Roguet.
Une autre lettre faisant partie de la dépêche, et dans les mêmes termes, était adressée au colonel du 24me de ligne.
[6.1]Samedi, après dîner, la mairie a fait poser l'affiche suivante :
mairie de la ville de lyon.
Nous, Maire de la ville de Lyon,
Vu la délibération prise hier par le conseil municipal de celle ville, au sujet des moyens propres à assurer l'exécution du tarif du 1er novembre courant ;
Prenant en considération les observations qui nous ont été faites, soit par les fabricans, soit par les chefs d'ateliers-ouvriers en soie, sur la nécessité de réviser quelques articles de ce tarif, lequel avait été fait avec précipitation, et d'y comprendre plusieurs articles omis,
Donnons avis,
Que MM. les fabricans d'étoffes de soie seront immédiatement convoqués pour désigner leurs représentans dans cette opération ;
Que ces représentans seront invités à débattre les prix du tarif avec les délégués de MM. les chefs d'ateliers-ouvriers de la fabrique, de manière que le tarif complet soit signé par les parties, d'ici au 15 décembre prochain ;
Que jusqu'à cette époque la ville s'engage à prendre, s'il en était besoin, sur la caisse municipale les fonds nécessaires pour assurer aux chefs d'ateliers-ouvriers, le paiement de la différence sur les façons des pièces livrées à la fabrication depuis le 21 du courant pour atteindre le prix du tarif du 1er novembre.
Fait à l'Hôtel-de-Ville de Lyon, le 26 novembre 1831.
Le Maire de Lyon, Boisset, adjoint.
Vu et approuvé :
Le conseiller-d'Etat, préfet du Rhône,
Du Molart.
Quelques personnes ayant lu ce placard un peu légèrement, avaient cru que le tarif ne recevrait son exécution qu'à dater du 15 décembre prochain. Nous devons leur expliquer que le tarif subsistera tel qu’il est jusqu’au 15 décembre, et que ce n’est qu’à cette époque que, révisé et rectifié, il sera signé par les négocians et les ouvriers délégués.
Après ces jours de fureur, de désespoir et de deuil, qui de vous ne croit sortir d'un rêve pénible, avoir eu l'ame oppressée sous un long cauchemar ?
Oh ! c'est que c'était horrible à voir ! la misère avec ses bras sanglans, ses yeux ardens de vengeance, aux prises avec la richesse frémissante de colère ou tremblante de peur ! Du sang, des blessés, des cadavres jonchant la terre, la trahison embusquée sous le nom de légitime défense, des concitoyens (horreur !) égorgeant leurs concitoyens, ça et là des femmes forcenées, à l'œil hagard, à la voix rauque, achevant des blessés qui leur criaient merci… la guerre civile, enfin, la plus terrible, la plus hideuse, déchaînée sur nous avec toutes ses horreurs !… Oh ! le cœur me saigne, mon ame se noie dans la douleur, tirons un voile épais sur ces jours de vertige !
Maintenant l'ordre est rétabli, Lyon est tranquille, mais d'une tranquillité sourde, mais d'une tranquillité d'effroi qui contemple des cadavres ! le sang des victimes fume encore dans les deux camps, réunis en un seul bûcher. Eh bien ! ces victoires cruelles qui font tressaillir de douleur et de regrets ceux-là même qui les ont remportées, quelle en fut la cause ?
[6.2]On entend déjà proclamer je ne sais quel parti d'un pouvoir déchu, je ne sais quels partisans d'un système que redoute le ministère. Erreur... le moteur de ce duel affreux a été la misère, et le provocateur l’égoïsme.
Toutes les classes heureuses de la société voyaient avec inquiétude les approches de l'hiver, de cette saison si étrangement rude pour le pauvre peuple qui se transit de froid au coin de la borne, qui sent ses membres se roidir, grelottant à la bise, tandis que le riche se chauffe, boit, danse, court de fête en fête, étourdi qu'il est de bonheur et de plaisir, et qui croit avoir assez fait pour le pauvre, en lui jetant dédaigneusement l'obole de l'aumône.
Ceux dont les sympathies se dessinaient aux classes populaires, étaient plongés dans l'anxiété de l'avenir.
Tout-à-coup excitées par leur commun malheur, les masses se réunirent, demandèrent au riche, dont leurs sueurs entretenaient les plaisirs, du pain pour vivre, et crurent avoir trouvé moyen de l'obtenir ; ce ne fut qu'une longue et amère déception. Ceux-là même, dont l'égoïsme avait causé la misère publique, prirent à tâche de retourner ce poignard dans la plaie qu'ils avaient creusée ; ils virent le peuple s'abîmant dans une fausse mesure et se prenant à rire d'un infernal rire, ils lui dirent : Tu mourras !
Que vous dirai-je ?
Ce peuple, la misère le prit au cœur, le désespoir lui serra la gorge, une pensée affreuse, cruelle, rouge de sang lui troubla le cerveau, et ivre de malheur, de souffrance, devancé par des scélérats qui voulaient profiter de son délire, il se rua en furieux contre la main barbare qui s'ouvrait pleine d'ironie pour le condamner à mort. Le choc fut horrible, un ruisseau de sang innocent coula inutilement, et la victoire ne remédia pas au mal.
Honte donc, honte à ces infâmes égoïstes dont la cupidité seule a causé tous ces malheurs ! Anathème à leur nom, et que l'on sache bien que dans la seconde ville de France, la misère était devenue si grande, et la rapacité si intolérable, qu'un millier d'innocens tomba victime de l'avarice de quelques-uns, sans que leur sang pût sceller une paix durable. Ces journées de deuil qui ont plongé dans l'affliction tant de familles, sont un coup fatal porté à notre industrie ; chancelante déjà, il lui faut aujourd'hui pour la relever un prodige ; à qui la faute ? aux misérables dont l'opinion publique fait sévère justice, qui se sont ri des douleurs de leurs frères et ont payé la misère par d'amers sarcasmes ou de criantes injustices.
On doit avoir compris aujourd'hui que le temps des déceptions était passé. Qu'on agisse donc franchement une fois au moins avec la classe ouvrière, qu'on ne lui promette que ce qu’on peut tenir, mais qu’une fois promis on le tienne, et la tranquillité fera place à l’agitation, l’ordre au désordre, et peut-être des jours plus propices pourront-ils encore luire sur notre ville infortunée !
Un fabricant.1
COUPS DE NAVETTE.
ANNONCES DIVERSES.
AVIS ESSENTIEL.