L'Echo de la Fabrique : 25 novembre 1832 - Numéro 57

 

Nous empruntons à l’Industriel, journal éminemment libéral qui se publie à Verdun (Meuse), l’article suivant :

Lorsque les ouvriers de Lyon protestaient si énergiquement, il y a un an, contre l’organisation sociale actuelle qui les condamne à mourir de faim ; lorsque, les armes à la main, ils firent entendre dans les rues, sous les fenêtres de l’opulence alarmée, la voix terrible du peuple mécontent, poussé par la misère, par de-là les limites de la patience humaine ; quel cri se fit entendre, couvrant tous les autres ? quelle devise portait l’étendard qui ralliait ces malheureux : du travail ou la mort ; cependant l’impassible Moniteur, les complaisans organes du ministère, quelques journaux même de l’opposition annonçaient naivement qu’heureusement la politique était étrangère au mouvement de Lyon. La peur bientôt gagnant le camp ministériel, le langage changea, et ce ne fut pas sans quelque surprise qu’on lut dans une phrase semi-officielle, que : Les événemens qui se passaient dans la seconde ville du royaume, pouvaient bien être l’indice des souffrances de la classe ouvrière, que le gouvernement, par des mesures sages, allait procéder à l’examen des causes purement sociales qui avaient préparé ces événemens ; qu’il y en avait de plus d’un genre, les unes se rattachant à la morale publique…, les autres, a l’economie politique entièrement changée dans ses bases.

Certes, c’était là un langage raisonnable, il y avait dans ce peu de mots de grandes vues, tout un avenir pour les peuples : qu’importait que l’article du Moniteur fut dicté par la crainte ; l’essentiel, c’était que le gouvernement reconnût enfin la véritable cause de la révolte des ouvriers ; qu’il vit clairement que cette cause, c’est la misère affreuse qui ronge les classes inférieures, les jette dans la rue, ce dénuement absolu qui force leur douleur à s’exhaler en cris tumultueux ; l’aveu était précieux, mais il ne suffisait pas, il fallait en venir aux actes, suivre la voie indiquée, s’occuper des intérêts matériels et moraux des masses, amener par des mesures sages, par des réformes successives les améliorations si hautement réclamées, si solennellement promises, embrasser enfin franchement et sans arrière pensée, une politique nouvelle, puisqu’on reconnaissait à la face du monde, que les bases de l’ancienne étaient entièrement changées.

Qu’est-il advenu ? Le danger passé, on a bien vite oublié la leçon : on a destitué un préfet, changé un commandant militaire, doublé la garnison. Le peuple rassuré, confiant dans les belles phrases qu’on lui adressa, croyant aux pompeuses promesses dont on ne fut point avare, déposa ses armes menaçantes. Alors on proclama que force était restée à la loi, que l’ordre était rétabli dans Lyon, et le ministère monta au Capitole, pour rendre grâces aux dieux. Tout fut fini ; quant aux promesses elles sont où sont tant d’autres.

Voila pourtant ce que nos habiles d’aujourd’hui, nos faiseurs de lois, nos grands hommes d’état, comme chacun sait, entendent par gouverner. Que leur fait la misère du peuple, ils n’entendent pas du fond de leurs somptueuses demeures le cri déchirant de la faim ; leur regard dédaigneux ne s’est jamais abaissé sur l’humble réduit du pauvre ; si quelquefois la voix importune de l’indigence vient frapper désagréablement leur oreille, si cette voix, grossie par le désespoir, éclate en accens de rage, en injures, en menaces ; alors, spectacle horrible, [6.1]ils la font étouffer par leurs bourreaux, et la baïonnette protectrice, remise aux mains du soldat pour défendre les citoyens, devient l’instrument coupable de leur aveugle et absurde politique.

Telle est la méthode du jour, en face des émeutes à chaque instant renouvelées : frapper, punir des malheureux égarés, exaspérés par la misère, poussés à la révolte par la vue du luxe effréné qui contraste si cruellement avec leur triste dénuement. Et vous voulez qu’à la fin le peuple ne se lasse pas de souffrir sans pouvoir embrasser l’espérance de voir arriver le terme de ses maux ! Gardez de laisser venir le jour de sa colère : hâtez-vous, il est temps, hâtez-vous de prévenir les malheurs affreux que peut amener sa terrible vengeance ; hommes d’état, vous tous qui gouvernez, travaillez à adoucir sa souffrance ; faites-lui place au somptueux banquet que vous a fait en juillet sa main redoutée. Interrogez ses douleurs, sondez ses blessures, occupez-vous de lui enfin, car le peuple c’est l’état, c’est lui qui fait tout ce qui se fait, qui produit tout ce qui se consomme, qui construit vos palais, dore vos équipages, chamarre vos livrées, c’est sa sueur qui dote vos enfans ; le laisserez-vous donc à jamais naître dans l’opprobre, vivre dans la fange, mourir de faim, livrer ses filles à la prostitution, ses fils au fer du bourreau…

H.....

 

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