L'Echo de la Fabrique : 2 décembre 1832 - Numéro 58

 CONSEIL DES PRUD’HOMMES.

Audience du 27 novembre,

(présidée par m. goujon.)

Le conseil vient de prononcer dans l’affaire des sieurs Garcin et Berger, un jugement auquel se rattachent plusieurs points essentiels de la jurisprudence.

*** Première question. – Un négociant a-t-il le droit de fixer le déchet des matières laines et coton, au dessous de 45 gr. par kil., lors même qu’il a écrit en tête du livre du maître, convenu et d’accord à 30 gr. par kil. – R. Non. Le déchet des matières laine et coton ne peut être fixé au dessous de 45 gr.

Le sieur Garcin, chef d’atelier, expose au conseil que le sieur Berger ne lui a porté ses déchets qu’à 30 gr. par kil., et demande qu’ils soient portés à 45 gr. Il réclame en outre que ses avances lui soient payées à 6 fr. 50 cent. le kil. Il appuie cette dernière réclamation sur ce que le sieur Berger a fait payer ce prix à un de ses ouvriers, qui était en solde. Il invoque la règle d’usage, qui veut que les avances et les soldes soient fixés au même prix.

Le sieur Berger dit être très étonné de la demande que lui fait le sieur Garcin, qu’elle ne peut être dictée que par esprit de vengeance, ayant refusé de continuer à lui donner de l’ouvrage. Il présente au conseil, ainsi que le sieur Garcin, ses livres sur lesquels sont écrites les conventions, moyennant lesquelles il a donné de l’ouvrage. De plus, il affirme et offre de prouver que le prix des avances et des soldes est fixé dans son magasin, à 5 fr. ; que tous ses livres sont réglés à ce prix, à l’exception d’un seul, où il s’est cru en droit de se faire payer une solde de 6 fr. 50 c. le kil., exception qui, dit-il, ne saurait être considérée comme la règle de sa maison.

Le sieur Garcin repousse les allégations du sieur Berger, comme mensongères, et déclare avoir de son plein gré refusé son ouvrage, parce que d’après les différentes réclamations qu’il lui avait faites, il s’était vu dans l’impossibilité de continuer à travailler pour lui à des conditions si onéreuses.

Après une délibération fort animée, le conseil a rendu un jugement ainsi conçu :

« Attendu que la dernière pièce n’a pas été réglée depuis un mois, le déchet sera porté sur cette pièce à 45 gr. par kil., ainsi qu’il a été décidé précédemment ;

« Attendu que le prix des matières est payé par le sieur Berger, 5 fr. Le même prix sera payé au sieur Garcin. »i

[4.2] *** Deuxième question. – Le négociant doit-il une indemnité au chef d’atelier, lorsque ce dernier ayant reçu une disposition, en commence l’exécution, et qu’ensuite cette disposition lui est retirée. – R. Oui. Une indemnité est due toutes les fois que la chose commandée a eu un commencement d’exécution et a occasionné une perte de temps.

Cette question vient d’être décidée ainsi sur la demande du sieur Déal, chef d’atelier, contre le sieur Lupin, négociant. Ce dernier a été condamné à payer 10 fr. d’indemnité et aux dépens.

Notes de fin littérales:

i Nous croyons devoir nous arrêter sur les principes qui ont paru servir de base à la jurisprudence du conseil dans ce jugement.
Le conseil accorde au chef d’atelier un mois pour réclamer, après le réglement définitif des comptes, soit de matières, soit celui des prix de façons. Passé ce délai, il y a prescription, sauf erreur et omission.
Le conseil, en se fondant pour décider ainsi sur l’édit désastreux de 1744 et non sur le droit civil, nous paraît être dans l’erreur. Nous ne saurions trop nous élever contre le refus que dans la dernière audience le conseil a fait, d’entendre la plaidoirie de Me AugierMe Augier, sur cette importante question. Ce déni de justice est un scandale que nous rappelerons toujours.
En décidant que le déchet de 45 gr. serait alloué seulement sur la dernière pièce, le conseil n’a pas voulu donner de la rétroactivité à ses décisions, attendu que les autres pièces auraient été fabriquées a une époque antérieure, nous croyons qu’il aurait pu mieux faire.
Par ce jugement, le conseil nous a donc paru vouloir décider : 1° qu’une convention écrite en tête d’un livre par le négociant, ne pouvait être valable, si elle est contraire aux réglemens du conseil. 2° Que cette même convention, quoique écrite, n’a de force qu’autant que l’ouvrier n’a pas réclamé contre, pendant le mois qui suit le règlement définitif des comptes. 3° Que le mois écoulé, il y a prescription, c’est-à-dire, que l’ouvrier ne peut plus avoir recours que sur des erreurs ou omissions.
L’on peut considérer comme erreur ou omission, les déchets qui ne seront pas portés à la valeur fixée, et les tirelles qui ne seraient pas marquées.

 

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